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« Bart De Wever prend peu à peu des allures de messie »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Si on demande au politologue Carl Devos si le gouvernement a bien travaillé cette année, sa réponse a tout d’une réponse de jésuite : « Le gouvernement a vraiment fait de son mieux, cependant le résultat n’est pas vraiment spectaculaire ».

« On devrait vivre une période historique » déclare le politologue Carl Devos. Parce que le gouvernement Michel est le premier qui depuis 1830 va potentiellement pouvoir gouverner 5 ans de suite. 2015 est, en effet, la première année d’un cycle de trois ans sans aucune élection à l’horizon. On pouvait donc s’attendre à ce qu’une partie de mesures annoncées avant les élections soient déjà mises en application ou en bonnes voies de l’être. Or, on ne peut que remarquer que ce n’est pas vraiment le cas. Le gouvernement a travaillé dur, c’est vrai, mais a surtout fait beaucoup d’économies. C’est compréhensible: ils ont pris la décision de résoudre les problèmes budgétaires en début de mandat. Faire d’importantes purges et réaliser de grosses réformes, ce sont deux choses difficilement compatibles. Le gouvernement espère que dans la seconde partie de son mandat la croissance aura repris et qu’il y aura moins urgence à faire des économies juste avant les élections.

Le président du CD&V a dit du tax shift que c’était la plus importante réforme depuis le plan global de Jean-Luc Dehaene dans les années nonante…

L’année dernière, la question était de savoir si ce gouvernement était celui du changement (la promesse de la N-VA) ou celui de la continuité (la vision du CD&V). Alors à quel point la gouvernance du gouvernement est-elle extrême ? Est-ce vraiment « l’horreur sociale » comme le dit Marc Leemans de la CSC ou est-ce plutôt « business as usual », comme le soutien Gert Peersman professeur d’économie à l’université de Gand. La réponse la plus judicieuse à cette question vient peut-être de Wouter Beke qui résume plutôt bien le dilemme : « il y a eu quelques changements, mais on ne peut parler de véritable rupture ». Cette description est effectivement assez juste puisque si le gouvernement a pris des décisions d’un genre nouveau, elles n’ont jamais été radicales. Pas une fois, il n’a mis le pays sens dessus dessous. Et cela, alors que c’était l’espoir de l’électorat de la N-VA. Tout ce qui a été réalisé par le gouvernement l’a été dans un contexte belge.

La N-VA a-t-elle dès lors échoué ?

Non, je ne dirais pas ça. Le CD&V marque effectivement un point lorsqu’il dit que la N-VA n’a pas tenu sa promesse que tout serait « différent et mieux ». Sauf qu’il avait aussi prédit que le parti de Bart De Wever se brûlerait les doigts en acceptant de rentrer dans le gouvernement. En réalité, la moitié de la rue de la loi pensait tout bas ce que Karel De Gucht a dit tout haut. Soit « que ceux de la N-VA n’étaient que des caractériels têtus incapables de gouverner ». Sauf, qu’après un an, l’image négative s’est estompée et que les ministres de la N-VA ont démontré qu’ils étaient de bons gestionnaires, certainement autant que ceux du CD&V et plus présents que ceux de l’Open VLD. Même les sondages ne punissent pas la N-VA.

Il y a un bémol tout de même. La collaboration entre le fédéral et les régions n’est pas vraiment optimale. Même du côté flamand, où on a pourtant une parfaite symétrie entre les deux niveaux puisque ce sont les mêmes partis qui sont au pouvoir. Il existe au sein de la N-VA des tensions entre les ministres fédéraux et régionaux. Cela se traduit dans les faits par le fait que les ministres s’identifient davantage à leur niveau de pouvoirs qu’à leur parti.

Il n’y a qu’une exception : Bart De Wever. Il est presque le seul à encore tenir le discours cassant auquel les électeurs de la N-VA étaient habitués.

C’est pour cela qu’il est d’une valeur inestimable pour son parti. Néanmoins, s’il continue sur cette voie, cela va mener à un véritable schisme dans le parti. Il est impossible qu’un président de parti dise de façon aussi explicite qu’en réalité son parti est en dehors des structures alors que dans un même temps il a des ministres qui prennent autant de responsabilités. Si quelqu’un d’autre se permettait ce genre de discours, on lui dirait de joindre ses actes à sa parole. Celui qui tient ce genre de discours devrait avoir le courage de lancer une crise gouvernementale.

Pourquoi De Wever peut-il se le permettre et pas les autres présidents de parti ?

Parce que l’on regarde Bart De Wever d’une autre façon. Nous le voyons comme un intellectuel provocateur, un idéologue, un stratège qui est devenu plus grand que son propre parti et qui de ce fait a pu se détacher de la politique traditionnelle. C’est pour cela qu’il peut se permettre beaucoup plus que les autres hommes politiques. Il a acquis peu à peu des allures de messie.

Une bonne partie de la presse continue à l’encenser comme l’homme politique le plus doué de sa génération.

On se demande parfois s’il arrive à la N-VA de faire autre chose que de simplement diagnostiquer les nombreux problèmes. Bart De Wever vient bien avec quelques solutions pour les résoudre. Sauf qu’il s’agit souvent de domaines qui se situent à d’autres niveaux décisionnels comme l’Europe. Un niveau où son parti n’a que peu d’influence ce qui les dédouane et leur évite les critiques. Cela n’empêche pas Bart De Wever de se profiler en parallèle sur la scène internationale comme celui qui ose penser « out of the box ». Un exemple est sa suggestion d’une variante belge du Patriot Act américain. En agissant de cette manière, il se positionne en Belgique comme un politicien hors catégorie. Cela lui permet de rester le plus important politicien de notre pays. Car après tout, Charles Michel, contrairement à lui, n’a pas été invité pour le thé chez Cameron. Alors qu’importe si les sondages ne le donnent plus premier.

C’est Maggie De Block qui occupe le haut du podium…

Maggie De Block a ce génie politique d’aborder les bons dossiers. Elle sait exactement quelles mesures prendre pour faciliter la vie des patients. Tout en s’éloignant scrupuleusement de toute idée de réforme fondamentale du système de santé. Un domaine où elle n’opère au mieux que des améliorations chirurgicales.

C’est un peu ce que fait tout le gouvernement non ?

C’est vrai que le tax shift n’est pas une réforme fondamentale de notre système de taxation. Tout comme on n’a toujours pas vu de travaux de fonds ou ne fût-ce qu’un plan de route indiquant d’importantes réformes. La barre était haute et le gouvernement est tout simplement passé en dessous. Je m’étais attendu à une approche plus ambitieuse et plus planifiée. Je ne vois que des ministres qui font des trucs dans leur coin et encore, ce ne sont que des actions à l’impact très limité.

Le gouvernement Michel est en réalité un gouvernement incrementaliste. L’incrementalisme est une méthode de travail qui consiste à ajouter à un projet plusieurs petits changements souvent non planifiés, en lieu et place de quelques grands sauts planifiés. Si les changements sont légers, leur accumulation peut tout de même provoquer un vrai changement. Faire ce constat d’incrementalisme n’est même pas une critique, tant le gouvernement Michel n’a d’autre choix que de procéder de cette façon s’il veut contenter ses ambitions « révolutionnaires ».

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