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Avec son coup de poker, Elio Di Rupo renonce au Seize rue de la loi

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

La prise en otage du pays par le PS est machiavélique, choquante et dangereuse. Di Rupo et Magnette ont avancé leur pion pour rester au pouvoir à tout prix. Quitte à renoncer à la stabilité du pays dont ils se disent pourtant les partisans.

Elio Di Rupo et Paul Magnette ont pris tout le monde par surprise en annonçant l’ouverture de négociations avec le CDH en Wallonie et à Bruxelles, où se glisse le FDF. Dans le jeu de poker des formations de gouvernement dans ce pays, les deux coprésidents du PS se sont comportés en Machiavel, prêts à tout pour conserver le pouvoir. Quitte à choquer les électeurs et à saper une stabilité du pays dont ils prétendent être les garants.

Au premier regard, s’agit-il d’un coup de génie politique ? Assurément. Le PS craignait comme la peste la mission d’information royale de Bart De Wever : il redoutait d’être rejeté dans l’opposition au fédéral ou d’être amené à jouer un rôle d’appoint destructeur face aux trois autres formations importantes du pays (N-VA, CD&V et MR). En s’assurant du soutien du CDH et en bloquant la composition des majorités du côté francophone, il se rend incontournable et dicte le ton. Impossible, désormais, de prolonger des négociations fédérales sans le PS étant donné que le CDH a choisi son camp.

Du côté francophone, le PS a pleinement utilisé le mandat qu’il a reçu au soir du 25 mai en restant le premier parti de Bruxelles et de Wallonie. D’une certaine manière, Di Rupo et Magnette ont tenu compte des signaux des électeurs en composant des majorités progressistes, sans le grand perdant Ecolo, pour tenter de casser la dynamique du PTB. A Bruxelles, ils ont embarqué le FDF, troisième parti, auteur d’une belle élection et porteur d’un libéralisme social.

On ne le dit pas assez, mais ce coup de poker intègre une autre dimension. En heurtant de front les partis flamands et le MR, Elio Di Rupo renonce automatiquement au Seize rue de la Loi. Plus personne ne lui fera le cadeau de le soutenir pour le poste de Premier ministre. Mais sans doute le savait-il déjà, et a-t-il préféré prendre les devants en se repliant sur la Wallonie…

Si le coup de poker du PS est machiavélique, il est aussi choquant et dangereux, car il met en péril la stabilité du pays.

Choquant, tout d’abord, car il nie la volonté démocratique émise par une partie de la population. On peut tout d’abord s’interroger sur cette exclusion dogmatique et pratiquement compulsive du MR, sans même avoir pris le temps d’écouter ses arguments. Charles Michel et, surtout, Didier Reynders ont certes raté leur pari de devenir le premier parti à Bruxelles, les coups échangés durant la campagne électorale ont été durs, mais le MR est quand même, avec le PTB, le parti qui a progressé le plus fortement le 25 mai tandis que le PS perdait des plumes et que le CDH s’écrasait à Bruxelles. Tout laisse à penser, du choix posé à la rapidité de la décision, que l’alliance PS – CDH était déjà signée avant les élections. Dans les réactions citoyennes à ce coup de force, un mot revient souvent : « c’est violent ! ».

Dangereux aussi, ensuite, car le choix du PS nie tout simplement la sensibilité de la majorité de la population belge. Les électeurs flamands ont donné un mandat clair à la N-VA et au CD&V, accessoirement à l’Open VLD, pour mener une politique de centre-droit. Avec son coup de poker, le PS donne des arguments à la N-VA qui se nourrit de cette image : les socialistes francophones donnent le ton dans ce pays. Il force la main du CD&V qui tentait en coulisse de tisser des liens de confiance avec la N-VA. Le PS rentre dans cette logique confédérale qu’il dénonce en mettant en place rapidement les gouvernements régionaux, en court-circuitant une mission d’information royale et en donnant des arguments aux séparatistes. Un observateur libéral disait hier : « C’est une prophétie autoréalisatrice : par crainte de la N-VA, le PS agit précisément comme elle le souhaiterait. »

Si le PS était réellement soucieux de la stabilité de la Belgique, il aurait au moins pris le MR dans son attelage wallon et bruxellois pour permettre un lien plus facile avec la Flandre, éviter le blocage de Bruxelles et faciliter la naissance d’une coalition fédérale, quitte à ce que soit la reconduction de la tripartie classique. Avec son geste, il va braquer les partis flamands, légitimer davantage encore une N-VA « responsable » et changer l’agenda politique : le confédéralisme s’impose de lui-même, la poudrière bruxelloise s’enflamme à nouveau.

Peut-être est-ce d’ailleurs cela la clé de ce qui vient de se produire : après avoir réformé l’Etat et déplace son centre de gravité, Elio Di Rupo prend le pouvoir en Wallonie, y enracine le pouvoir du PS pour cinq ans. Avec, pour lui, la perspective de reprendre le boulevard de l’Empereur, à moins qu’il ne s’empare de l’Elysette comme « Dieu » Spitaels l’avait fait en son temps. Comme si le PS avait, au fond, autant fait le deuil du fédéralisme que la N-VA.

Si la partie d’échecs ne fait que commencer, il serait incompréhensible que le tout-puissant PS ait avancé un pion sans savoir d’avance qu’il braquerait ses opposants, qu’ils soient libéraux ou flamands.

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