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À bas la polarisation: vive la nuance

Stefanie Van den Broeck Journaliste Knack

Qu’il s’agisse du Père fouettard, de féministes ou du Pacte d’excellence, notre opinion est prête, et généralement, elle est catégorique. Cependant, cette attitude est de plus en plus critiquée : à bas la polarisation, la nuance c’est bien aussi.

Celui qui veut s’imposer sur Twitter, qu’il soit ouvrier ou Secrétaire d’État, sait ce qu’il doit faire: être aussi véhément que possible en 140 signes, ne pas craindre les mots durs et surtout adopter une position claire (comprenez : catégorique). Avec un peu de chance, les médias traditionnels le relaient et tout s’enchaîne. Rien de plus facile que de polariser. Mais à présent que Monsieur Tout le Monde maîtrise la technique, le vent contraire se fait de plus en plus sentir. Rien de plus facile que de nuancer. L’année dernière, des étudiants de l’Université d’Utrecht ont lancé la campagne Dare to be Grey. « Nous étions en pleine crise de réfugiés, et ce sujet alimentait des débats très vifs, parfois même violents », raconte le cofondateur Edwin Van de Scheur. « À terme, cette polarisation endommage durablement une société. Dans une démocratie, il faut continuer à communiquer, sinon cela tourne mal. »

Et donc Van de Scheur et ses collègues plaident en faveur de plus de nuance et de ‘gris’, pas nécessairement synonyme d’ennui. « Nous parlons souvent de gris coloré ou de gris prononcé. Le noir et le blanc sont des extrêmes, mais entre les deux il y a beaucoup de teintes de gris, pour reprendre la référence obligatoire. (rire) Les personnes « grises » ont donc certainement une opinion. Je suis socialement engagé et je ne vais donc pas hésiter à exprimer mon opinion. Cependant, être gris ne signifie pas seulement hurler qu’on a raison, mais aussi écouter les autres et s’ouvrir à leur opinion. Il faut chercher ce qu’on a en commun avec ses interlocuteurs, car le but est tout de même de progresser en tant que société. »

Dare to be Grey a commencé sur les réseaux sociaux, et entre-temps la campagne possède aussi un magazine, des ateliers et des événements. Cependant, le monde en ligne, où la polarisation se fait le plus sentir, demeure tout de même son « corebusiness ». « Ainsi, nous avons des vidéos dans lesquelles des gens connus racontent à quel point ils sont ‘gris’. Et nous réalisons également des vidéos ludiques. Bien entendu, nous ne pouvons pas résoudre tous les problèmes, mais en essayant de se mettre à la place de l’autre, on fait un premier pas. Et quand je vois à quel point le nombre de nos followers continue à augmenter, je caresse l’espoir d’un avenir plus gris. »

Uniquement des tomates

Cela reste à voir, déclare le professeur en sciences de communication Jeroen Van Laer (Université d’Anvers) qui est spécialisé en réseaux sociaux. « Pour l’instant, il n’y a aucune indication qu’il y ait plus de nuance sur les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter, bien au contraire. Une étude révèle que l’internet facilite la fragmentation et le ‘cocooning’ : les gens se sentent de plus en plus confirmés dans leur opinion et sont moins ouverts aux autres. C’est dû notamment aux algorithmes qui, sur Facebook et Google par exemple, vous montrent uniquement ce qui vous intéresse. Cela peut sembler positif, mais il y a aussi un revers de la médaille : on ne voit et on n’entend plus d’autres visions. Comparez cela à de la nourriture : si vous n’aimez que les tomates, c’est agréable d’en manger tous les jours. Mais il serait plus sain de consommer de temps en temps des haricots ou des choux. »

Manifestement, la nuance en ligne est possible uniquement quand on modère, raconte Van Laer. « Quelques journaux et magazines ont fait l’expérience, mais comme celle-ci était trop chronophage, beaucoup de sites d’informations ont fermé leurs sections commentaires. Et sur Facebook, il n’est pas question du tout de modération, là il n’y a que les utilisateurs qui puissent signaler les réactions inappropriées : une procédure compliquée. »

Cependant, il y a une autre solution : miser davantage sur la sagesse des médias et l’étiquette en ligne. « Tous les utilisateurs d’internet, de tout âge, doivent comprendre qu’en ligne ils doivent se comporter aussi poliment que dans le monde « réel ». Derrière son écran, il est très facile d’envoyer des messages haineux, mais on ne le ferait pas chez le boulanger, non ? » Non, là on commande simplement un bon pain gris.

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