La migraine est une maladie du système nerveux central à prédisposition génétique. On ne sait toujours pas la guérir, mais on la soigne de mieux en mieux grâce, notamment, à la prise en charge multimodale.
Céphalées, maux de tête, maux de crâne, migraines… Les termes, utilisés parfois à tort et à travers, prêtent à la confusion. Pour clarifier la situation, faisons appel à une image parlante. Les céphalées englobent tous les « maux de tête ». « Il existe deux grandes classes de céphalées : primaires et secondaires, explique le Pr Jean Schoenen, neurologue et neurobiologiste, directeur de l’unité de recherche sur les céphalées à l’université de Liège. Les primaires sont celles où la céphalée constitue la maladie, où il n’y a pas d’autre cause. La migraine en est le type le plus fréquent. Les secondaires comprennent toutes les maladies qui peuvent provoquer les maux de tête. Les critères du diagnostic des différentes céphalées sont définis dans la Classification internationale des céphalées. On y trouve 14 sections, parmi lesquelles 8 consacrées aux céphalées secondaires, dont, par exemple, celles causées par des maladies inflammatoires, musculo-squelettiques, vasculaires ou celles provoquées par les médicaments. En théorie, on peut guérir les céphalées secondaires. La migraine, en revanche, on ne la guérit pas, on la soigne. »
Migraines avec aura
« Ce qui caractérise la migraine, c’est la répétition des crises. Le diagnostic de migraine est retenu lorsqu’il y a eu au moins cinq crises de céphalées ayant duré de 4 à 72 heures et au cours desquelles la céphalée a au moins deux des caractéristiques suivantes : unilatérale, pulsatilité, intensité modérée à sévère, empêchant de fonctionner normalement et aggravation par une activité physique normale : marcher ou monter des escaliers, par exemple », analyse le Dr Schoenen. Mais la migraine, ce n’est pas que le mal de tête. Elle s’accompagne d’autres symptômes, désagréables et handicapants, surtout des troubles digestifs (nausées, vomissements) et de l’hypersensibilité aux stimulations sensorielles. Environ 50 % des migraineux se plaignent de 1 à 2 crises par mois. Les migraines chroniques, les plus invalidantes, provoquent des céphalées plus de quinze jours par mois et sont une complication chez 10 % des patients. « De 16 à 18 % de la population belge souffre de migraine et, chez un cinquième de cette fraction, le mal de tête est précédé par des troubles neurologiques essentiellement visuels, précise le Dr Schoenen. C’est ce qu’on appelle les migraines avec aura. » L’aura apparaît peu de temps avant la crise et est provoqué par un fonctionnement anormal du cortex cérébral, favorisé par un excès de glutamate (acide aminé « excitateur » des neurones). Le patient est victime de troubles visuels et aperçoit des lumières clignotantes ou des zigzags lumineux. Des picotements d’une main et de la moitié de la bouche ou des problèmes d’élocution peuvent également apparaître. Ces symptômes durent en général moins d’une heure. On peut aussi cumuler les deux : des migraines « normales » (sans aura) et des migraines avec aura.
Traitements préventifs
Comme nous disions plus haut, le seuil migraineux subit des fluctuations sous l’influence d’une série de facteurs internes et externes. L’objectif des traitements prophylactiques est de relever ce seuil pour prévenir les crises, diminuer leur fréquence et leur intensité. Les traitements les plus efficaces consistent à administrer des médicaments qui agissent sur l’excitabilité des neurones et la communication entre eux, tels que des bêtabloquants, les antiséro- toninergiques ou des antiépileptiques utilisés aussi dans d’autres maladies. Le hic ? Ils s’accompagnent de nombreux effets secondaires. Une approche plus « soft » vise les anomalies métaboliques. Les compléments alimentaires, connus sous le nom de nutriceutiques, peuvent rendre des services aux personnes souffrant de migraines, à condition qu’ils soient pris à fortes doses : la vitamine B2 ou riboflavine (400 mg par jour, soit l’équivalent de 25 kg de foie de veau !) ou encore la coenzyme Q10 (300 mg par jour). Le but est d’augmenter la production d’ATP (le carburant des cellules). Reste, pour le patient, le coût relativement élevé de ces nutriceutiques qui ne sont pas remboursés par la sécurité sociale. Quel que soit le traitement prophylactique, l’efficacité n’en dépasse pas 50 %. « D’autres solutions sont à l’étude, souligne le Dr Schoenen. On essaie de normaliser le fonctionnement cérébral entre les crises par des neurostimulations, c’est-à-dire des stimulations appliquées à la surface du corps pour influencer le système nerveux. Par exemple, dans une récente étude belge, la stimulation du front tous les jours, pendant 20 minutes, avec un neurostimulateur miniaturisé fabriqué par une firme liégeoise a montré qu’après 3 mois d’utilisation la fréquence des crises de migraine avait diminué de 50 % chez 38 % des patients, et cela sans aucun effet secondaire. La stimulation magnétique à travers le cuir chevelu et la boîte crânienne, ainsi que la stimulation en courant continu font également l’objet de recherches thérapeutiques dans notre unité. »
Lors des crises, certaines familles de médicaments peuvent être employées avec un certain succès. Avec les triptans, les plus efficaces aujourd’hui, on obtient 90 % de bons résultats avec la forme injectable, de 60 à 70 % avec les formes orales. Mais ils ont parfois des effets secondaires désagréables et sont contre- indiqués chez les patients avec des antécédents cardio-vasculaires. Les autres familles, plus anciennes, gardent une place, principalement les anti-inflammatoires. « Dans la mesure du possible, il faut privilégier les anti-inflammatoires et éviter les antalgiques combinés à la caféine et/ou la codéine, et l’ergotamine, note le Dr Schoenen, car ces derniers aggravent la migraine en cas de surconsommation pour la rendre chronique. » Deux nouveaux groupes de médicaments, pas encore commercialisés, sont actuellement à l’étude : les gépants et les ditans. L’avantage ? Ils n’auraient pas d’effets secondaires. « Mais leur efficacité n’est pas meilleure, relève le Dr Schoenen. Ce ne sera pas une révolution, mais une évolution. »
Prise en charge multimodale
Une médecine plus personnalisée n’est pas à négliger non plus. Pourquoi ne pas envisager tirer profit au maximum de l’approche multimodale qui associe un traitement médicamenteux et un traitement comportemental. Les dernières études convergent pour dire que certaines thérapies où le patient est impliqué activement donnent de bons résultats lorsqu’elles sont associées au traitement médicamenteux. La relaxation par biofeedback, par exemple, est une des seules thérapies pour lesquelles on dispose de données concrètes, montrant que le traitement est supérieur au placebo (dont l’effet atteint 30 % dans la migraine). Cette technique fait appel à des appareils informatiques ou électroniques et enregistrent des fonctions nerveuses qui peuvent être modifiées par la relaxation ou l’hypnose. Le traitement comportemental mérite sa place au sein d’un arsenal thérapeutique de plus en plus varié.
En Belgique, nous sommes en retard. Les migraineux sont frappés d’une double peine car la maladie est sous-diagnostiquée et sous-traitée pour des raisons culturelles et financières. Elle n’est pas perçue comme une maladie, mais comme « un ensemble de symptômes limités, et, de ce fait, non essentiels ». La prise en charge des migraineux est souvent inappropriée. « Deux migraineux sur cinq ne sont pas diagnostiqués comme tels, conclut le Dr Schoenen. Moins d’un sur dix reçoit un traitement préventif adapté, alors que plus d’un sur trois souffre de crises fréquentes qui justifieraient amplement la prescription d’un tel traitement. Un migraineux sur dix seulement utilise un triptan, médicament le plus efficace pour traiter les crises sévères, alors que, dans d’autres pays, ce rapport est de 5 à 7 sur dix. Et les centres de traitement multimodal de la migraine sont quasi inexistants dans notre pays. »
Barbara Witkowska