Cannabis: vrais dangers d’une fausse drogue douce

Quels sont les effets du cannabis sur la santé, les risques psychologiques ou d’addiction? Du type de produit consommé à l’âge, nombre de facteurs comptent. Réponses aux questions clés.

Qu’est-ce que le cannabis?

Il se présente sous deux formes: l’herbe, la « beuh », d’origine européenne ou africaine ou issue d’une production artisanale, et la résine, le « shit », vendu en barrette ou en « pain » – de plusieurs dizaines de grammes – en provenance d’Afrique du Nord. Le taux de concentration global de tétrahydrocannabinol (THC), le principe actif du cannabis, se situe en général aux alentours de 8 à 10%, mais il varie considérablement selon les échantillons: de 0,5 à 20%, parfois même au-delà de 25%, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Ces produits hyperdosés, encore rares sur le territoire, inquiètent les spécialistes en raison de leurs effets sur l’organisme.

Réduit-il les capacités intellectuelles?

Une étude d’une équipe néo-zélandaise publiée l’été dernier a fait grand bruit: menée sur plus de 1.000 enfants pendant près de trente ans, elle atteste une baisse des performances intellectuelles pouvant atteindre 8 points de QI! Certes, cette diminution ne concerne que 5% des consommateurs. Pour autant, « c’est la première fois que ce résultat, incontestable, est démontré de façon scientifique », précise le spécialiste d’imagerie médicale Jean-Luc Martinot, chercheur à l’Inserm et au CEA. Trois facteurs interviennent: la précocité, la quantité et la durée de consommation. Par quels mécanismes? Une consommation « régulière et abondante » altère une zone spécifique du cerveau, la substance blanche, entraînant une baisse d’attention et de la mémorisation. Elle peut aussi provoquer une diminution de l’activité de certains neurotransmetteurs. Le taux de dopamine en particulier, impliqué dans les processus de plaisir, pourrait chuter jusqu’à 20%, un niveau inconnu chez une personne « normale ».

Rend-il dépendant?

Sur le plan physiologique, non. Ce qui ne signifie pas qu’il soit anodin. Le magazine 60 Millions de consommateurs a eu l’idée d’utiliser une « machine à fumer » pour mesurer précisément les effets d’un joint. Conclusion: le « pétard » fait inhaler de 6 à 7 fois plus de goudrons et de monoxyde de carbone qu’une cigarette. D’où un risque de cancers (gorge, lèvres, poumons…) démultiplié. Le vrai problème du cannabis est qu’il peut susciter une réelle dépendance psychologique, avec « craving » (envie irrépressible), manque et perte de contrôle chez « environ 3% des consommateurs ». Moins que l’alcool (5%) cependant et que le tabac (80%), précise le Pr Michel Reynaud, chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif, en France. Les points communs de ces gros fumeurs, qui dépassent parfois les 10 pétards par jour? Une recherche de sensations fortes, une prise de risques et un désir d’éviter l’ennui. A quoi il faut ajouter une mauvaise estime de soi liée à une angoisse dans la relation à l’autre, et sur laquelle le cannabis a un effet apaisant. On ne devient pas « accro » par hasard.

Provoque-t-il la schizophrénie?

La polémique a éclaté en 1985, avec une étude suédoise indiquant un lien de causalité direct entre cannabis et schizophrénie. Depuis, certains travaux sont venus confirmer ces résultats, mais « en partie seulement », tempère le Dr Amine Benyamina, psychiatre-addictologue à l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif. Récemment, les scientifiques ont en effet découvert qu’il existait deux composants dans le THC: le « bon », le cannabidiol, qui aurait un effet protecteur sur le plan psychotique, et le « mauvais », qui provoque addiction et risque plus élevé de développer une schizophrénie. Tout dépend donc de la part relative de l’un et de l’autre, et de la précocité des premières expériences. L’autre facteur, tout aussi essentiel, repose sur les antécédents familiaux de cette maladie, qui induisent une « vulnérabilité supplémentaire importante ».

A-t-il un effet plus nocif à l’adolescence?

C’est « plus que probable », estime le Dr Marc Valleur, médecin chef du centre médical Marmottan, à Paris. Deux points semblent acquis: d’une part, une polyconsommation (alcool, tabac, ecstasy…) constitue un marqueur fort d’un individu qui « va mal et dont la vie a été perturbée au préalable ». D’autre part, un usage précoce provoque des conséquences spécifiques: le cerveau d’un adolescent n’étant pas encore parvenu à maturation, il est particulièrement sensible aux stimuli externes, notamment dans les zones qui contrôlent les centres de motivation, de récompense et de plaisir. En d’autres termes, « plus c’est tôt, plus c’est nocif, et cela est vrai pour tous les produits, légaux ou non », rappelle le Pr Michel Reynaud.

A partir de quand faut-il s’inquiéter?

Il n’existe pas de réponse univoque, car « plusieurs éléments doivent être pris en compte », note Bertrand Lebeau, addictologue à l’hôpital de Montfermeil, près de Paris: l’âge (« chez les 12-13 ans, le joint a parfois remplacé la cigarette »), l’heure du premier pétard (« dès le matin ou le soir seulement ») et, enfin, les circonstances de consommation – « la conduite d’un véhicule sous cannabis ou, pis encore, après un mélange cannabis-alcool est potentiellement dangereuse ». En outre, ne pas prendre en compte le taux de THC d’un pétard revient à dire que « boire un coup de cidre ou un verre de vodka, c’est la même chose! » En définitive, mieux vaut donc s’intéresser aux conséquences, surtout quand elles se traduisent par des difficultés dans le travail, la vie quotidienne, sociale ou familiale. A cet égard, un fléchissement subit et inexpliqué des résultats scolaires constitue un réel signe d’alerte pour les parents. A fortiori s’il s’accompagne de nouvelles fréquentations dans l’entourage de l’adolescent.

Mène-t-il à la consommation d’héroïne ou de cocaïne?

Les experts sont unanimes: il n’existe aucune preuve expérimentale d’un lien de causalité directe entre consommation de cannabis et expérimentation de drogues plus « dures ». « Quitte à chercher une corrélation, elle serait plutôt entre l’alcool et l’héroïne », souligne d’ailleurs Marc Valleur. En revanche, le spécialiste pointe deux dangers liés à l’usage de cannabis. Le premier s’apparente au phénomène de la « porte ouverte »: l’état de conscience étant modifié par la prise de THC, la personne risque d’être moins résistante à des sollicitations éventuelles – « surtout à un moment de vulnérabilité particulier », souligne Marc Valleur. L’autre motif d’inquiétude tient à la dimension sociale de l' »escalade ». Parmi les consommateurs devenus réguliers, beaucoup sont susceptibles d’entrer en contact avec des dealeurs qui ont tout intérêt à leur faire goûter des produits bien plus rentables pour leur business.

Vincent Olivier

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