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«Rien ne dit que Remco Evenepoel va durer»

En février dernier, dans ce magazine, José De Cauwer et Serge Pauwels préfaçaient la saison 2022. Neuf mois plus tard, nous les confrontons à leurs prévisions de l’époque. Et ils reviennent sur la superbe année belge.

La scène se joue sur le parking d’un hôtel de la région de Gand. José De Cauwer (73 ans) enlace chaleureusement Serge Pauwels (38 ans). Les deux hommes viennent de nous accorder un long entretien, puis ils ont continué à refaire le monde pendant deux heures. L’ancien n’a pas arrêté de donner des conseils au jeune. Et donc, il y a d’abord eu cette conversation grand format entre le plus populaire des consultants flamands, De Cauwer, et le co-commentateur, Pauwels.

Les prévisions que vous nous avez faites en début d’année vont être le fil rouge de cette interview. Prêts?

JOSÉ DE CAUWER: Ouille…

Pas de panique, José, ça devrait bien se passer! Tu avais souhaité que la lutte permanente entre Wout van Aert et Mathieu van der Poel s’arrête enfin. Tu ne parlais pas pour les téléspectateurs, mais pour eux. Et effectivement, ils ne se sont plus tiré la bourre. Même si des circonstances bien précises expliquent l’arrêt des hostilités.

DE CAUWER: On a eu un Van der Poel boiteux cette année. J’attends toujours une saison où il ne fera aucune erreur, dans aucun domaine. Ou, pour être plus clair, une saison où il n’aura aucun contretemps dans sa préparation. Même avec des bases limitées, il arrive à faire des résultats dont beaucoup rêvent en étant en pleine possession de leurs moyens. Mais dans la durée, tu finis par payer tout ça. Van der Poel est un cheval de course et il est donc capable de rouler au-dessus de ses moyens. Ce qui n’est pas faisable pour un cheval de trait. Il a tellement de talent qu’après quelques entraînements, il peut réussir des trucs dingues, comme gagner le Tour des Flandres. Quand il réussit une démonstration pareille, on pense qu’il est parti, qu’il va enchaîner. Mais non, il ne le fait pas.

Julian Alaphilippe félicite Remco Evenepoel, son coéquipier chez Quick-Step, après son succès au Mondial de Wollongong.
Julian Alaphilippe félicite Remco Evenepoel, son coéquipier chez Quick-Step, après son succès au Mondial de Wollongong.

SERGE PAUWELS: Pendant l’hiver, on avait entendu qu’à cause de sa chute aux Jeux Olympiques et ses problèmes de dos, il ne serait jamais capable d’être au départ de l’Amstel Gold Race. Mais il était là parce que, comme José le dit, son talent lui permet d’être prêt en un temps record et d’être directement au taquet. Après ça, son parcours a été chahuté avec des hauts et des bas. C’est tout à fait logique à partir du moment où il n’avait pas les bases.

Alors que Wout van Aert a roulé à un très haut niveau pendant toute l’année.

DE CAUWER: C’est impossible de tirer encore plus de lui que ce qu’on a tiré cette année. Ce qu’il a fait, c’était phénoménal. Quand il s’agit d’être sérieux dans le boulot, Van Aert est l’exemple à suivre.

PAUWELS: J’ai une bonne anecdote sur ce thème-là. La veille du championnat du monde, après le repas du soir, il est allé à la table du staff. Il s’est adressé à Martijn Redegeld, le diététicien qui accompagnait les Belges en Australie, composait les menus en calculant tout, pesait chaque aliment. Van Aert lui a dit: «Il reste un yaourt aux fruits sur le buffet, je vois qu’il contient neuf grammes de graisse, tu es sûr que c’est bon?» Pour te dire à quel point il est maniaque et méticuleux dans sa préparation.

DE CAUWER: Qu’est-ce que je suis content d’avoir roulé à mon époque et pas aujourd’hui! Je ne suis pas sûr que j’aurais pu être aussi consciencieux. Et je pense que Van der Poel a du mal à faire tout ça. Je ne dis pas qu’il ne vit pas pour son métier, qu’il n’est pas sérieux. Il l’est, sans quoi il ne pourrait pas réussir ce qu’il fait. Mais je reste sur ma faim quand j’analyse ses prestations. J’aimerais savoir ce qu’il a vraiment dans le ventre.

«Van Aert est un peu prisonnier chez Jumbo – Visma»

Wout van Aert vient encore de réussir une saison fantastique mais tu disais en début d’année, Serge, qu’il ambitionnait de gagner deux ou trois fois le Tour des Flandres et Paris – Roubaix. À cause du Covid, il n’a pas pu prendre le départ du Ronde, et à Roubaix, il a trouvé plus fort que lui. Il doit râler de ne pas encore avoir remporté une de ces deux courses.

PAUWELS: Comme José l’a dit en février, ce n’est pas pour ça que Van Aert n’est pas un tout grand. Mais pendant que Van Der Poel a déjà deux victoires au Tour des Flandres à son palmarès, Van Aert n’a encore gagné qu’un monument, Milan – Sanremo.

DE CAUWER: Il est tellement au-dessus du lot qu’on se dit qu’il va inévitablement gagner, mais il y a toujours un petit grain de sable dans la machine.

PAUWELS: J’ai aussi eu cette impression au Tour de France, même s’il a fait des trucs fantastiques là-bas. Il était tellement fort qu’on pensait qu’il pouvait gagner plein d’étapes, mais il oubliait de concrétiser. Tu ne trouves pas, José?

DE CAUWER: Oui, il faisait partie d’une équipe extraordinaire, mais d’un autre côté, ça le bloquait, il était un peu prisonnier. En tout cas, il donne plus à son équipe que ce qu’il ne reçoit. Mais bon, ça n’explique pas ses échecs dans les classiques, parce que là, il était super bien entouré et aidé.

Je reviens à la différence d’approche du métier entre Van Aert et Van der Poel, et aux événements en Australie la veille de la course en ligne. Plusieurs personnes du milieu s’étonnent que Van der Poel ait partagé sa chambre d’hôtel avec sa petite amie, Roxanne Bertels. Qu’en pensez-vous?

DE CAUWER: Mais enfin les gars, avec quoi vous venez? Il y a une autre bonne question à se poser: pourquoi n’y avait-il personne de la fédération néerlandaise avec lui? Et où logeaient les coureurs de cette équipe? À 150 kilomètres de l’arrivée, dans un hôtel où il y avait plein d’autres personnes. Bref, est-ce que les gens de la Fédé ne feraient pas mieux d’analyser la situation dans son ensemble, les résultats de leurs Juniors compris, au lieu de revenir sur cette histoire avec Roxanne? Je signale que quand Greg LeMond a gagné le Tour de France en 1989, sa femme logeait avec lui.

PAUWELS: Je trouve aussi que la fédération néerlandaise a commis des erreurs. Ses responsables n’ont vraiment pas bien organisé le séjour en Australie. Je donne un exemple. Quand les Juniors sont allés repérer le parcours, ils ont dû faire une heure et demie de voiture. Un bus devait amener les vélos au circuit. Mais quand les coureurs sont arrivés sur le site, ils ont appris que le bus n’avait pas encore démarré.

DE CAUWER: Pour ce qui est de Van der Poel, il a maintenant deux options. Soit il tire les leçons de cette histoire, se met devant un miroir et se dit que la récré est finie, qu’il va maintenant respecter toutes les règles. Soit il se persuade qu’il est dans le bon et continue ses écarts. Au risque de rencontrer encore les mêmes déconvenues.

PAUWELS: Enfin bon, avec ou sans Van der Poel, le résultat du Mondial aurait été le même. Remco Evenepoel était tout simplement trop fort.

«Evenepoel a carrément pris Quick Step de vitesse»

À propos de lui, tu disais, José, qu’il allait devoir apprendre à plus écouter, et les bonnes personnes. Il faut croire qu’il a compris le message?

DE CAUWER: Je suppose, oui. J’ai vu peu de coureurs qui avaient appris autant en une seule année.

PAUWELS: Il n’a pas fait un pas en avant cette saison, mais quatre. Il a carrément pris sa propre équipe de vitesse.

DE CAUWER: Sa victoire dans Liège – Bastogne – Liège lui a apporté toute la sérénité dont il avait besoin. Avant ça, il voulait trop montrer ce qu’il valait. Maintenant, il y a encore des petites choses qu’il ne maîtrise toujours pas. On l’a vu quand il a passé la ligne d’arrivée en Australie, avec le doigt sur la bouche. Pour dire qu’il fallait maintenant se taire. Mais pourquoi devrions-nous la fermer? Qu’avons-nous dit de mal? Son message, encore une fois, était: «Regardez comme je suis bon». Mais ça, on le sait, il l’a entretemps suffisamment prouvé, il nous a bien convaincus. J’ai discuté récemment avec un gars qui a parlé avec Alexey Lutsenko après le Mondial. Le Kazakh lui a dit: «Je savais qu’il allait me lâcher dans la dernière ascension». Evenepoel avait fait la même chose avec Simon Yates à San Sebastián. Les mains sur le dessus du guidon, il s’en va, personne ne peut rien faire. C’est presque du jamais vu.

Arnaud De Lie a décroché neuf succès pour sa première saison chez les pros.
Arnaud De Lie a décroché neuf succès pour sa première saison chez les pros. © belga

PAUWELS: Il a tué Lutsenko. Victor Campenaerts m’a expliqué ce qui lui est déjà arrivé deux fois au Tour de Belgique: «J’étais le deuxième plus costaud, mais le premier m’a ridiculisé. Il peut tenir un tel tempo que je dois puiser au plus profond de mes réserves et je ne m’en remets pas». C’est devenu la recette favorite d’Evenepoel. Tous ses adversaires le savent, mais aucun ne trouve la parade.

DE CAUWER: À Liège – Bastogne – Liège, il s’y est pris autrement. Alors que dans les autres courses, il imprime subitement un tempo intenable, là il a placé un vrai démarrage dans la Redoute. C’était tellement puissant que sa roue arrière a carrément sautillé. À l’approche de la Roche aux Faucons, et dans l’ascension, quelques coureurs sont revenus avec l’aide de leurs coéquipiers, mais Evenepoel a alors remis une couche. Incroyable.

En février, on se demandait comment il allait pouvoir battre Tadej Pogacar au Tour de France. Peut-on dire aujourd’hui qu’on a la réponse à cette question, après sa démonstration au Tour d’Espagne?

DE CAUWER: Le Tour de France, c’est encore autre chose. Pogacar n’est pas n’importe qui, hein! Je ne voudrais en tout cas pas être à la place de Jonas Vingegaard l’année prochaine. Chez UAE, ils sont occupés à renforcer encore l’équipe, et cette fois, ils vont prendre les meilleurs coureurs. Vingegaard a mérité de gagner le Tour, mais est-ce qu’il pourra le refaire? Est-ce que Primoz Roglic acceptera d’être un équipier? Est-ce que Van Aert roulera toujours de la même façon alors qu’il y aura le championnat du monde à Glasgow quelques semaines plus tard?

PAUWELS: Oui, on peut se poser cette question à propos de Van Aert. Et pour en revenir à Evenepoel, le Tour est quand même un truc pour lui.

DE CAUWER: Mais il aura alors besoin d’une équipe très costaude. Rémi Cavagna et Ilan Van Wilder ont fait un boulot magnifique pour Evenepoel au Tour d’Espagne, mais ça ne suffit pas pour gagner le Tour de France.

PAUWELS: C’est à cause de ça qu’il va choisir d’aller au Tour d’Italie l’année prochaine, à mon avis. Il attendra d’avoir une équipe tout à fait prête pour se lancer sur le Tour de France.

«Je me demande où se situe l’avenir de Julian Alaphilippe»

En début d’année, vous vous attendiez à ce que Florian Sénéchal passe encore un cap et devienne éventuellement le Kasper Asgreen de 2021. Vous disiez aussi qu’il ne fallait pas enterrer Zdenek Stybar. Mais dans les classiques pavées, l’équipe Quick Step – Alpha Vinyl a connu sa pire saison depuis plus de dix ans.

PAUWELS: Ils ont eu une préparation méchamment perturbée, avec beaucoup de contretemps. Mais c’est clair qu’ils n’ont pas presté au niveau où on les attendait.

DE CAUWER: Leur problème est qu’ils n’ont ni Van der Poel ni Van Aert. Pendant très longtemps, ils ont pu compter sur Tom Boonen, un finisseur dont la présence dans un final donnait aussi la possibilité à des coéquipiers de gagner. Dans le cyclisme moderne, vous pouvez avoir une belle équipe, mais vous avez besoin d’une tête de gondole. Les leaders d’aujourd’hui font exploser les courses beaucoup plus tôt qu’avant et ils éliminent une bonne partie de la concurrence. Il faut se poser cette question: quel genre d’équipe les gens de Quick Step veulent-ils bâtir? Faire des grands résultats dans les classiques du printemps et dans un grand tour, ce n’est pas simple avec le budget dont Patrick Lefevere dispose en ce moment. Dans trois ans, son équipe aura une allure complètement différente. Pendant des années, ils ont dominé les classiques, mais aujourd’hui, ils doivent essayer de dominer les courses par étapes. Et je me demande où se situe l’avenir de Julian Alaphilippe. Un coureur qui coûte autant d’argent peut-il être un porteur d’eau de Remco Evenepoel au Tour de France? Je m’attends à ce qu’il quitte l’équipe dès l’expiration de son contrat.

José De Cauwer et Serge Pauwels livrent leurs verdicts sur la saison cycliste 2022.
José De Cauwer et Serge Pauwels livrent leurs verdicts sur la saison cycliste 2022. © belga

Quand on parle des contretemps de Quick Step en 2022, on doit évoquer Alaphilippe.

PAUWELS: Tout à fait. On doit tenir compte de toute l’énergie que ça lui a coûté pour revenir après sa grosse chute dans Liège – Bastogne – Liège. Mais indépendamment de ça, je pense qu’il aura toujours des hauts et des bas, c’est dans son caractère. Alaphilippe est super doué et il sait se préparer pour une course en peu de temps, mais on ne peut pas le comparer à Van Aert qui est focus sur son métier pour ainsi dire 365 jours par an.

DE CAUWER: Alaphilippe a été dans l’actualité pendant le Tour de France, parce qu’on l’a vu se promener sur le coup de minuit. Il est comme ça. Le coureur parfait, c’est Wout van Aert. Mais on en trouve très peu, on ne peut pas demander à chaque pro d’être toujours sérieux et de toujours écouter. Évidemment, Alaphilippe a eu pas mal de poisse cette année. Il y a aussi eu sa chute à la Vuelta.

«De Lie, quel coureur!»

Serge, tu avais dit en début de saison que chez Lotto – Soudal, il fallait tenir Arnaud De Lie à l’œil. Belle prédiction!

PAUWELS: Au niveau international, la révélation de l’année a été Biniam Girmay, mais en Belgique, c’est Arnaud De Lie. Il a gagné neuf courses et c’est peut-être dans la Famenne Ardenne Classic, début octobre, qu’il a réalisé son plus grand numéro. Il a chuté à 900 mètres de l’arrivée et il a quand même fini quinzième. Quel coureur! Lotto a fait une super affaire en le prolongeant. Avec lui, on peut construire quelque chose.

Mais ses résultats n’ont pas suffi pour que Lotto sauve sa place en World Tour.

DE CAUWER: Le système de répartition des points a été néfaste pour cette équipe. Ce n’est pas comme ça qu’on apprend à des coureurs à bien courir, ce n’est pas comme ça non plus qu’on leur apprend à gagner. Qu’est-ce que Florian Vermeersch ne s’est pas démené!

PAUWELS: Il s’est très peu reposé cette année. Il finissait une course, et cinq jours plus tard, il reprenait déjà du service.

DE CAUWER: Leur façon de rouler était surtout trop nerveuse. Quand des gars de Jumbo – Visma font la course en tête, laisse-les faire et n’essaie pas de prendre les commandes de l’autre côté de la route. Parfois, ils paniquaient.

Qui était responsable de cette façon de courir?

PAUWELS: Des décisions pareilles viennent d’en haut. Dans ce cas, c’est John Lelangue qu’il faut montrer du doigt. Mais je vois un bel avenir pour cette équipe parce qu’il y a assez de jeunes talents. Il y a De Lie, mais je pense aussi à Alec Segaert. Évidemment, tout dépendra de la façon dont l’équipe sera dirigée.

DE CAUWER: Le système était insuffisant. On ne peut pas attendre de jeunes coureurs qu’ils dictent la marche à suivre. Chez Quick Step, il y a Patrick Lefevere, et en dessous de lui, Wilfried Peeters et Tom Steels, des gars avec une grosse expérience. Dis-moi qui prenait les grandes décisions chez Lotto. Il y avait Lelangue, mais qui en dessous de lui? Pas de Peeters, pas de Steels. Qui a la direction sportive dans cette équipe? Maxime Monfort? Nikolas Maes? Je n’en sais rien.

PAUWELS: Effectivement, ce n’est pas clair. Il faut désigner quelqu’un.

DE CAUWER: Quelqu’un qui mettra le pied dans la porte et osera définir une ligne tactique. Je n’ai rien contre Lelangue, mais on ne peut pas dire que son histoire avec Lotto se soit bien terminée. S’il estimait qu’il fallait licencier Marc Sergeant et Herman Frison, il devait le faire, mais il aurait pu communiquer là-dessus beaucoup plus tôt. Et puis il y a eu les recrutements de Philippe Gilbert et John Degenkolb. Gilbert, je pouvais encore comprendre, c’était une bonne façon de séduire le public belge. Mais Degenkolb? Il arrive un moment où il faut pouvoir reconnaître qu’on s’est trompé.

Jasper Philipsen a décroché deux victoires d'étape au Tour de France.
Jasper Philipsen a décroché deux victoires d’étape au Tour de France.

Entretemps, Philippe Gilbert et le peloton, c’est terminé. Et au moment où on parle, il n’y a toujours pas de nouveau patron chez Lotto.

DE CAUWER: Il a fait une très longue carrière et il a donné énormément, plus qu’on pourrait le penser. Il a toujours été très dur envers lui-même.

PAUWELS: Absolument. On ne pourra jamais lui reprocher un quelconque manque de conscience professionnelle. Il s’est toujours battu, souvent à contre-courant.

DE CAUWER: Je comprends qu’il n’ait pas accepté le poste de manager de l’équipe. C’est un boulot qu’on ne peut pas faire à moitié. Si tu acceptes le job, tu dois te donner à 100%. Tu dois te consacrer aux moindres détails, comme Patrick Lefevere le fait, pour que ça devienne ton équipe. Diriger une formation pro, ce n’est pas simplement regarder les moutons qui broutent… Il faut entretenir le feu en continu et mettre en place une structure très claire.

PAUWELS: Celui qui prendra le job devra mettre de la vie. Et il devra préparer l’avenir parce que ce sont surtout des jeunes coureurs.

Pour refermer le thème Lotto – Soudal, vous aviez dit en février que Caleb Ewan serait un candidat sérieux pour le titre mondial. Mais, alors que les Mondiaux se déroulaient chez lui, il n’était même pas dans la sélection australienne. Où est-ce que ça a cloché?

PAUWELS: J’ai entendu qu’il n’encodait pas correctement ses entraînements et que ça manquait de transparence. Si c’est vrai, ça veut dire qu’il y a un problème structurel. Ça permet aux coureurs de se laisser vivre.

DE CAUWER: Ils ont engagé Allan Davis comme directeur sportif, un compatriote de Caleb Ewan qui le flattait et lui rendait la vie encore plus cool. Et je vois un autre problème structurel dans cette équipe. Elle fonctionne avec de l’argent public. Je ne veux pas prendre chaque fois Patrick Lefevere comme exemple, mais lui, il doit trouver lui-même des fonds. Il n’a jamais aucune sécurité, aucune certitude, et il doit travailler encore plus dur.

«Van Avermaet ne comprend pas pourquoi ça ne marche plus»

En évoquant Greg Van Avermaet, vous disiez qu’il était impossible que sa carrière soit terminée. C’est peut-être le cas quand même.

DE CAUWER: On a fait récemment une interview ensemble autour d’une bonne table.

PAUWELS: Et qu’est-ce qu’il t’a raconté?

DE CAUWER: Il ne sait pas lui-même où est le problème. Il dit qu’il s’entraîne dur, qu’il fait tout pour que ça marche. Le Covid ne doit pas être pour rien dans son année compliquée. Et il faut reconnaître que le cyclisme évolue de plus en plus vite.

PAUWELS: Ce serait anormal qu’il soit encore aussi bon à 37 ans qu’il y a quelques années. Mais ce serait bien que des gars de 35 à quarante ans arrivent encore à faire des gros trucs de temps en temps.

DE CAUWER: Je me pose une question par rapport à la nouvelle génération qui brille très tôt. Ça a commencé avec Egan Bernal, ça continue avec Tadej Pogacar, Remco Evenepoel, Tom Pidcock, Magnus Sheffield et d’autres. Jusqu’à quel âge ces gars-là vont-ils courir? On croit tous que Remco Evenepoel est parti jusqu’à 35 ans, mais qui peut le jurer?

PAUWELS: Qu’un Alejandro Valverde soit resté une vingtaine d’années au sommet, c’est du jamais vu. On peut dire la même chose à propos de Vincenzo Nibali et Philippe Gilbert. Je ne m’attends pas à ce que la jeune génération actuelle, les gars qui ont vingt ans ou un peu plus, fassent dans la durée, avec tout ce qu’on leur impose: compter ses calories à tout bout de champ, multiplier les stages en altitude et d’autres contraintes encore.

DE CAUWER: Pendant le Tour d’Espagne, j’ai participé à une émission avec Cian Uijtdebroeks. C’est un gars charmant. J’ai été frappé quand il a expliqué qu’il trouvait normal de faire autant de sacrifices pour son métier. Mais est-ce qu’il trouvera encore ça normal quand il rencontrera une fille, quand il aura peut-être des enfants, quand il devra partager ses émotions entre son boulot et son entourage? Et puis les meilleurs coureurs gagnent beaucoup plus d’argent aujourd’hui. Ça pourrait en inciter certains à arrêter plus tôt parce qu’ils estimeront peut-être qu’ils en ont assez.

«Avec Rickaert, Philipsen aurait gagné quatre étapes au Tour»

Fabio Jakobsen est le coureur qui a le plus triomphé en 2022, derrière Tadej Pogacar et Remco Evenepoel. Une belle histoire.

JOSÉ DE CAUWER: Son retour est effectivement une histoire magnifique. Mais, comme pour Julian Alaphilippe, je me demande s’il a un avenir dans l’équipe de Patrick Lefevere. Est-ce qu’il va l’emmener au Tour de France avec Remco Evenepoel? Et qui sera là pour épauler Jakobsen? Dès qu’une étape devient compliquée, il ne peut plus gagner. Il peut être content de rouler aujourd’hui et pas dans les années septante, quand les délais d’élimination étaient beaucoup plus courts.

SERGE PAUWELS: Si tu vas au Tour de France avec Remco Evenepoel, il n’y a plus de place dans l’équipe pour un pur sprinteur. Un gars comme Jasper Philipsen, tu pourrais le prendre dans une équipe avec Evenepoel. Il sait serrer les dents et sprinter sans poisson-pilote, il l’a suffisamment prouvé.

Au Tour de France 2021, il avait fini six fois dans le top 3. Cette année, il a gagné deux étapes, dont celle des Champs-Elysées. Belle revanche!

DE CAUWER: S’il avait eu Jonas Rickaert à ses côtés, il aurait gagné quatre étapes. S’il avait reçu la même aide que Wout van Aert, il aurait été imbattable dans les deux étapes au Danemark.

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