
Préparer un marathon, c’est très bien, mais “la course en elle-même n’est pas bonne pour la santé”
Le marathon est à la mode, mais le courir n’est pas sans risque pour le cœur. Même un champion d’Europe potentiel a dû renoncer à son rêve.
Michael Somers voulait remporter l’or devant les siens lors des Championnats d’Europe du marathon, le 13 avril, à Louvain. A la mi-mars, il a annoncé que son rêve s’était brisé. Et même toute sa carrière sportive, puisqu’un examen a révélé la présence de tissu cicatriciel sur son muscle cardiaque. Il est donc contraint d’arrêter le sport de haut niveau avec effet immédiat. Les quelque 12.000 coureurs amateurs qui prendront le départ à Louvain n’auraient-ils pas intérêt à se faire dépister en masse? Et courir un marathon est-il vraiment si bon pour la santé? Kristof Lefebvre, spécialiste de l’insuffisance cardiaque et cardiologue du sport au sein des services hospitaliers Vitaz, à Saint-Nicolas, nuance. L’entraîneur de Koen Naert, champion d’Europe 2018, sait forcément de quoi il parle.
Selon le Dr. Lefebvre, les problèmes cardiaques chez les sportifs d’élite et les sportifs amateurs peuvent être très divers. «Chez les athlètes amateurs adultes –principalement les plus de 40 ans– le coupable le plus courant est le rétrécissement d’une artère coronaire. Ce rétrécissement est dû au tabagisme, à l’obésité, à l’hypercholestérolémie ou à l’hypertension artérielle, au diabète ou à un mode de vie malsain. Une crise cardiaque, au cours de laquelle une partie du muscle cardiaque meurt en raison d’un manque d’oxygène, peut laisser des cicatrices. Parfois, on ne le sent même pas: pas de douleur, pas de tension… Mais les dégâts sont là. Ce n’est que lorsqu’ils provoquent des arythmies ou une insuffisance cardiaque qu’ils deviennent dangereux. Comme pour quelqu’un qui fume pendant des années, puis arrête et s’entraîne pour un marathon à 50 ans. Une crise cardiaque survient alors en raison d’une rupture soudaine d’une artériosclérose déjà existante, ou parce qu’une vieille cicatrice d’un infarctus antérieur déclenche des arythmies. C’est la principale cause de mort cardiaque subite chez les adultes sportifs.
Chez les jeunes athlètes, la myocardite est plus souvent à l’origine des problèmes cardiaques. Elle peut être causée par un virus tel que la grippe, le rhume ou le Covid. J’ai même vu des cas où une grippe intestinale s’était propagée au cœur», explique le docteur Lefebvre.
«Il y a aussi les maladies congénitales du muscle cardiaque, dont la cardiomyopathie hypertrophique est la plus fréquente. Il s’agit d’un épaississement pathologique du muscle cardiaque, qui touche 1 personne sur 500. Lors d’un effort (extrême), elle peut entraîner des arythmies et même une mort subite. Il s’agit d’un mélange de facteurs liés au mode de vie, à la génétique et à l’environnement, tels que les virus. Chez les sportifs, l’effort vient s’ajouter à tout cela.»
Les problèmes cardiaques peuvent-ils être mieux détectés aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans?
Auparavant, ces lésions n’étaient visibles que lorsqu’elles étaient importantes et évidentes, par exemple lors d’un simple électrocardiogramme (ECG) chez le médecin généraliste ou le cardiologue. Aujourd’hui, avec les techniques modernes, les choses sont différentes. L’échographie s’est considérablement améliorée et l’IRM, en particulier, change la donne. Elle permet de voir des cicatrices de quelques millimètres. Il y a quinze ans, l’IRM cardiaque était réservée à des centres spécialisés. L’expertise pour interpréter ces images était également limitée. Aujourd’hui, nous pouvons être beaucoup plus précis. En outre, la détection des arythmies cardiaques a également été grandement améliorée par les smartwatchs et les systèmes de surveillance sophistiqués.
Tous les sportifs amateurs devraient-ils subir un dépistage des problèmes cardiaques?
Non. La population belge bouge trop peu. Si nous incitons plus de gens à faire de l’exercice, nous réaliserons d’énormes progrès en matière de santé. Bien plus que les rares cas que l’on détecterait si l’on dépistait tout le monde. Le risque de problèmes cardiaques liés au sport est faible et concerne principalement les athlètes d’élite qui mettent leur corps à rude épreuve.
Pour les amateurs qui courent ou font du vélo trois fois par semaine, le dépistage de masse n’est pas utile. Cela n’a pas de sens sur le plan médical, ce n’est pas faisable sur le plan logistique et on trouve souvent de petites anomalies –un peu de tissu cicatriciel, par exemple– dont on ne sait pas ce qu’elles signifient exactement. Cela ne fait qu’engendrer de l’anxiété. Chez les sportifs de haut niveau qui s’entraînent 20 heures ou plus par semaine, un ECG annuel et un test d’effort avec éventuellement une échographie peuvent être envisagés. Plus vous vous entraînez, plus vous devez surveiller l’apparition de symptômes.
Comment un sportif amateur peut-il savoir qu’il pourrait avoir un problème et qu’il doit se faire dépister?
Ecoutez votre corps, c’est l’essentiel. Présentez-vous des symptômes tels que des palpitations persistantes, une douleur thoracique oppressante qui dure plusieurs minutes ou des évanouissements pendant l’exercice? Votre montre affiche-t-elle soudainement des pics de fréquence cardiaque bizarres, de 130 à 180? Etes-vous soudainement essoufflé sans raison? Consultez votre médecin généraliste. Si vous présentez des facteurs de risque –tabagisme, diabète, hypertension artérielle, père ou frère ayant eu un problème cardiaque à un jeune âge– un examen est également recommandé.
Quel est le coût d’un dépistage et quelle est la part remboursée?
Cela dépend de l’indication. Avec un médecin du sport, cela commence par un questionnaire, un examen physique et un ECG. Cela coûte 50 à 70 euros et n’est pas remboursé s’il s’agit d’un dépistage purement préventif, c’est-à-dire sans plainte ni référence. Si vous consultez un cardiologue pour un examen, une échographie et un test d’effort, le coût est de 170 à 200 euros, selon le médecin. S’il y a une indication médicale, des plaintes telles que des palpitations ou un ECG anormal chez le médecin généraliste, l’Inami contribuera et le patient paiera environ 20 euros. L’IRM n’est pas nécessaire pour le dépistage. Elle n’est pas non plus réalisable, coûte trop cher et n’est pratiquée que dans des cas spécifiques.
Le risque de problèmes cardiaques liés au sport est faible et concerne principalement les athlètes d’élite.
Kristof Lefebvre
Cardiologue du sport
Si un athlète amateur se voit diagnostiquer un tissu cicatriciel lors d’un dépistage, peut-il continuer à faire du sport?
Ce n’est pas une règle simple: toutes les cicatrices n’interdisent pas le sport, mais il vaut mieux éviter les efforts extrêmes. Cela dépend surtout de la gravité, de la localisation de la cicatrice et des conséquences. Si elle entraîne des arythmies ou des troubles de la fonction cardiaque, le sport de haut niveau est exclu.
Si la cicatrice est petite et qu’elle n’a pas d’incidence sur le rythme cardiaque ou la force de pompage, il est souvent possible de faire une heure de jogging doux, trois fois par semaine. Dans le cas de certaines pathologies du muscle cardiaque, le sport est totalement déconseillé car l’effort peut aggraver la pathologie sous-jacente. Après une période de repos prolongée, le cœur peut parfois se rétablir. La cicatrice demeure, mais le risque diminue, ce qui permet de reprendre une activité physique légère.
Que conseilleriez-vous aux parents qui s’inquiètent de ces problèmes cardiaques? Devraient-ils faire dépister leurs enfants s’ils pratiquent une activité physique intensive dès leur plus jeune âge?
Non, les risques de santé sont extrêmement faibles et les bénéfices de la pratique sportive énormes. Il vaut mieux avoir un enfant qui fait du sport qu’un enfant qui s’assoit sur le canapé et regarde un écran. Si un enfant de 16 ans commence à faire du vélo ou des courses de fond, il n’est pas nécessaire de consulter un cardiologue tout de suite. Sauf en cas de symptômes tels que des évanouissements ou des palpitations, ou en cas d’antécédents familiaux de problèmes cardiaques à un jeune âge.
Le dépistage chez les enfants est délicat: leur cœur est encore en train de changer et les chances de trouver quelque chose en l’absence d’autres indices sont minimes. Mais s’ils s’entraînent comme des semi-pros avec, disons, des programmes d’entraînement de 20 heures par semaine, un examen avec ECG et éventuellement un test à l’effort ou une échographie peuvent être utiles. Les parents ne doivent donc pas s’inquiéter après des histoires comme celle de Michael Somers, mais rester vigilants quant aux signes.
Le marathon est plus populaire que jamais. Un tel effort présente-t-il des risques pour le coureur amateur moyen?
Le marathon en lui-même n’est pas bon pour la santé. On va beaucoup plus loin que dans les séances d’entraînement. C’est un effort extrême. Les études réalisées après les marathons montrent des lésions musculaires dans le sang des coureurs dues à une surpression dans le cœur, en particulier dans le ventricule droit, qui est plus faible que le gauche. Le cœur pompe plus fort et plus vite, la pression augmente, ce qui peut endommager les cellules. Cela peut provoquer un tissu cicatriciel mais chez les coureurs entraînés, le risque est faible et souvent non permanent. Généralement, le tissu cicatriciel se rétablit.
Il y a là un paradoxe: votre préparation de plusieurs mois d’entraînement, une alimentation plus saine et un meilleur sommeil réduisent le risque de maladie cardiaque, de diabète, d’obésité et même de mort subite au cours de votre vie. Mais le marathon lui-même est une charge de pointe avec un risque légèrement plus élevé d’incidents, tels que l’arythmie. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, mais la chose la plus saine à faire est de s’entraîner intensément trois à cinq fois par semaine sans épuiser son corps. Un marathon est motivant, mais si vous ne faites que vous mettre dans le rouge, ce n’est pas l’idéal. Si vous le courez en cinq heures et que vous êtes mal préparé, le risque d’autres problèmes, tels que les tensions musculaires et articulaires, est également plus élevé que pour un coureur entraîné qui met trois heures.
Quels sont les sports les plus sains pour le cœur?
C’est une question de charge. Le golf n’a pratiquement aucun impact: faible intensité, faible endurance. Le cyclisme, le triathlon et le marathon sont les plus difficiles: beaucoup d’endurance et souvent une intensité élevée. Les sports de fitness et de force sollicitent moins le cœur. On pensait autrefois que les squats et les poids épaississaient le muscle cardiaque, mais ce n’est pas le cas. Toutefois, cela est possible si vous utilisez des stéroïdes anabolisants, comme c’est le cas dans le bodybuilding.
Ecoutez votre corps, connaissez vos limites et continuez à vous amuser
Kristof Lefebvre
Cardiologue du sport
Quelle est la règle qu’un sportif amateur doit toujours respecter?
Ne faites jamais d’exercice lorsque vous avez de la fièvre. Cela n’a aucun sens. Vous ne serez pas performant. De plus, votre corps est déjà en train de se battre, alors ne lui donnez pas un coup supplémentaire. Un virus, même un banal rhume ou une grippe intestinale, peut enflammer le muscle cardiaque. Les sports d’endurance intensifs y sont encore plus sensibles: si vous vous entraînez beaucoup, votre immunité diminue et un virus a plus de chances de vous frapper.
Dans ces cas-là, pendant combien de temps est-il préférable de ne pas faire d’exercice?
Jusqu’à ce que la fièvre disparaisse et que vous vous sentiez à nouveau bien. Combien de temps exactement? C’est variable: un jour après la fièvre peut être trop tôt, plusieurs jours ou une semaine de repos sont parfois préférables. Ecoutez votre corps. Si vous avez des muscles endoloris ou si vous vous sentez faible, il vaut mieux rester à la maison.
Enfin, comment s’entraîner au mieux en tenant compte de sa santé?
Faites de l’exercice régulièrement, augmentez progressivement votre effort et n’en faites pas trop. Marcher ou faire du vélo trois à cinq fois par semaine, même de façon assez intense, c’est parfait. Il n’est pas nécessaire de courir un marathon pour être fier. Un 10 kilomètres ou un semi-marathon peut être tout aussi satisfaisant sans mettre votre cœur à rude épreuve. N’ignorez pas les signaux d’alarme. Ne faites pas d’exercice si vous avez de la fièvre ou si vous êtes malade. Ecoutez votre corps, connaissez vos limites et continuez à vous amuser. C’est le moyen le moins coûteux et le plus efficace de vivre plus longtemps et en meilleure santé.
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