Nafissatou Thiam manque de présence médiatique tout au long de l’année pour devenir le puissant moteur du sport belge qu’elle mérite d’être. © PRESSE SPORTS

La Belgique et le sport: pourquoi notre pays vend si mal ses champions

La Belgique n’apparaît pas dans le Top 25 du premier Global Sport Soft Power Index, contrairement aux Pays-Bas, au Portugal ou à la Norvège. Explications sur un lourd retard.

Il va de la promotion d’une station balnéaire transformée en temple des sports d’hiver par Vladimir Poutine le temps d’une olympiade (les JO de Sotchi en 2014) à l’organisation d’une Coupe du monde de football en plein hiver dans des stades climatisés au Qatar. Il passe par des championnats du monde de cyclisme prévus au Rwanda, pays qui s’affiche aussi sur la manche gauche du maillot des Gunners d’Arsenal, demi-finaliste de la Ligue des champions. Lui, c’est celui qu’on appelle le «soft power». Une façon d’utiliser le sport à des fins de promotion, voire d’influence géopolitique, se rachetant parfois une image grâce à l’organisation parfaite d’un grand événement ou la symphonie sportive proposée par des athlètes sur les plus grandes scènes médiatico-sportives.

Le phénomène devient un objet d’études. En l’occurrence, celui de Skema Publika, un groupe de réflexion international lié à la Skema Business School, une école de commerce française à l’initiative de ce Global Sport Soft Power Index. Avec l’aide de 60 spécialistes internationaux, Skema a établi un classement des 25 premiers pays sur la base de dix critères, dont la taille de l’industrie du sport, les politiques gouvernementales, les investissements, les médailles de haut niveau passées et présentes, les infrastructures, l’organisation d’événements, les sponsors et les partenaires commerciaux, ainsi que la présence sur les réseaux sociaux.

Sans surprise, les Etats-Unis, dominateurs à (presque) tous points de vue sur la scène sportive, occupent la première place. Leur gigantesque industrie du sport, la foule de grands événements organisés chaque année sur le sol américain et les classements de médailles olympiques systématiquement dominés par la bannière étoilée n’y sont pas étrangers. L’existence de ligues de haut niveau ne concernant que des villes américaines mais suivies à l’échelle mondiale, comme la NBA en basket ou la NFL de football américain, complètent cet arsenal de puissance sportive.

Deuxième, le Royaume-Uni peut notamment compter sur la plateforme mondiale que représente sa Premier League de football, championnat le plus suivi du sport roi, alors que la France s’installe sur la troisième marche du podium en surfant sur la vague de ses Jeux olympiques, mondialement salués comme une réussite organisationnelle. Suivent la Chine, l’Allemagne, l’Australie, l’Italie, l’Espagne, le Brésil et le Japon, pour compléter un Top 10 aux portes duquel se retrouve la Russie, malgré l’absence de participation de ses athlètes aux grandes compétitions ces dernières années. Plus loin dans ce Top 25, on trouve encore trace du Qatar (15e), de l’Arabie saoudite (16e) et des Emirats arabes unis (21e).

Ce n’est pas une coïncidence si les pays riches d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Océanie dominent le haut du classement. Avec un monde du sport qui penche de plus en plus vers le Moyen-Orient et des tendances émergentes telles que l’e-sport et les sports virtuels, cette prépondérance pourrait toutefois évoluer dans les années à venir.

Le plus grand handicap de notre pays? Sa politique sportive fragmentée entre les trois Communautés.

Où est la Belgique?

En parcourant le Top 25, on trouve toutefois la trace de pays plus modestement peuplés, à l’image des Pays-Bas, du Portugal, de la Norvège ou de la plus lointaine Nouvelle-Zélande. Pas de Belgique, en revanche. «Elle se situe entre les places 26 et 50, parce qu’elle est moins performante que ces pays dans plusieurs domaines», justifie le professeur Simon Chadwick, l’un des experts à l’origine du classement.

«Les pays dont la population et le produit intérieur brut (PIB) sont beaucoup plus élevés ont logiquement quelques longueurs d’avance dans de nombreux domaines, mais ce ne sont pas nécessairement de bonnes indications du soft power. Il s’agit plutôt des valeurs d’un pays, de la manière dont il se présente et de l’engagement du gouvernement à développer l’influence du soft power», poursuit-il.

Il en va de même pour le smart power. Des pays comme la Belgique doivent ainsi réfléchir soigneusement à ce qui les distingue et à la manière dont ils se positionnent dans le monde du sport. D’autres petits pays ont un profil beaucoup plus solide à cet égard. L’exemple de la Nouvelle-Zélande est frappant. Parce que même à l’autre bout du monde et sans entretenir une passion particulière pour le rugby, tout le monde connaît ses All Blacks et leur célèbre haka d’avant-match.

Fragmentation

Le plus grand handicap de notre pays est sa politique sportive fragmentée entre les trois Communautés. «La Flandre, la Wallonie et Bruxelles ont chacune leurs propres priorités et budgets, ce qui complique la mise en place d’une stratégie nationale cohérente et d’une image de marque, y compris sur les réseaux sociaux», note Simon Chadwick. Les Pays-Bas doivent ainsi leur 17e place à une identité sportive bien plus reconnaissable, incarnée par leur symbolique et presque unique couleur orange qu’ils transposent dans tous les événements sportifs d’ampleur, sur les terrains comme dans les tribunes.

En Belgique, le dernier grand événement international, le championnat d’Europe de football organisé conjointement avec les Pays-Bas, date déjà d’un quart de siècle. «Tous les autres événements sont liés à une région du pays. Ceux qui ont un attrait mondial sont également limités: principalement le Grand Prix de Formule 1 à Spa-Francorchamps (Wallonie), dans une moindre mesure l’Allianz Memorial Van Damme (Bruxelles), et les classiques de cyclisme en Flandre. La Jupiler Pro League de football est trop locale pour peser à l’échelon mondial.»

Jusqu’à il y a deux ans, la Belgique a pu se vendre grâce à la génération des Diables Rouges, mais cette étoile est elle aussi en train de pâlir. Même la montée en puissance de la Belgique aux Jeux olympiques ne suffit pas. Parce qu’en tant qu’heptathlonienne, Nafissatou Thiam n’est pas assez présente sur le devant de la scène médiatique au cours d’une année sportive, tandis que le cyclisme, qui reste le principal pourvoyeur belge de médailles, est principalement un sport d’Europe occidentale.

Comment la Belgique pourrait-elle donc faire mieux? Le professeur Chadwick ouvre une piste: «La Belgique doit regrouper le sport à l’échelon politique, adopter une stratégie de marque et construire sa propre histoire. Sans ça, elle restera à la traîne dans ce classement.»

La remontée n’est sans doute pas pour demain.

Le Top 25 du Global Sport Soft Power Index

1. Etats-Unis

2. Royaume-Uni

3. France

4. Chine

5. Allemagne

6. Australie

7. Italie

8. Espagne

9. Brésil

10. Japon

11. Russie

12. Afrique du Sud

13. Canada

14. Argentine

15. Qatar

16. Arabie saoudite

17. Pays-Bas

18. Inde

19. Corée du Sud

20. Portugal

21. Emirats arabes unis

22. Norvège

23. Mexique

24. Turquie

25. Nouvelle-Zélande

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