
«Je suis à Anderlecht pour me réconcilier avec le football»
Kemar Roofe, Lukas Nmecha, Christian Kouamé, Joshua Zirkzee, c’était hier. La star à Anderlecht aujourd’hui, c’est Fábio Silva. Il a éclaté à la vitesse de l’éclair. Rencontre avec un homme «né pour marquer des buts.»
Les caméras de Mauve, un docu filmé actuellement sur les coulisses anderlechtoises, tournent autour de lui. Pendant ce temps-là, Fábio Silva se fait photographier avec des supportrices et avec le sourire. Il prend la pause devant la brasserie Green Park, face au stade. Une institution pour les fans du Sporting, une maison qui vient d’être reprise par un patron portugais. Au moment où il repart, les «Obrigado» fusent. C’est (déjà) le prix à payer pour un joueur qui n’a mis que quelques semaines pour arriver en haut de l’affiche.
Que ce joueur porte le maillot d’Anderlecht, c’était finalement une évidence. En 1996, son père, Jorge Silva, a disputé le fameux Tournoi de Toulon, en Espoirs, et il a affronté Stéphane Stassin. Qui entraîne aujourd’hui des jeunes au Sporting et est le paternel de Lucas Stassin, l’attaquant vedette des RSCA Futures. Fábio Silva a joué, il y a trois ans, avec les U19 du Portugal, contre Lucas Lissens et Antoine Colassin, deux autres piliers des U23 mauves aujourd’hui. «Je me souviens aussi d’Anouar Ait El Hadj, j’ai disputé un match international contre lui en U16, il y a cinq ans. On avait gagné et j’avais donné deux passes décisives. J’ai aussi en mémoire un match contre Sebastiano Esposito. Je retiens tout, je peux citer pratiquement tous les joueurs avec lesquels je me suis retrouvé sur une pelouse. Tout est stocké dans ma tête. Je pars du principe qu’on ne peut rien oublier de ses matches internationaux.»
Ton père a joué deux matches avec l’équipe A du Portugal, avec notamment Fernando Couto, Beto, Vitor Baía, Luís Figo, Rui Costa, Pedro Pauleta, Sérgio Conceição et Nuno Gomes. Ton frère aîné est aussi footballeur professionnel. C’était comment, la vie dans ta famille?
FÁBIO SILVA: À la maison, tout était placé sous le signe du foot. On regardait du foot, on jouait au foot, et quand on partait en vacances, on ne faisait que jouer sur la plage. En grandissant, j’ai appris de mon père ce qu’il fallait faire et ce qu’il fallait éviter pour faire une carrière. Il m’a bien expliqué les pièges, comment rester sur le bon chemin. C’était très pratique de grandir dans un environnement pareil.
Tu es né en 2002, un an après le titre national historique de ton père avec Boavista. Qu’est-ce que ça t’a apporté?
SILVA: Je sais qu’il a joué avec Boavista en Ligue des Champions contre le Borussia Dortmund, Manchester United et le Bayern. Je sais aussi qu’il avait une bonne technique. Les souvenirs que j’ai de lui remontent plutôt à la fin de sa carrière. Sur le plan du foot, on n’a pas de points communs. Mais je lui dis souvent que s’il avait joué contre moi, il n’aurait eu aucune chance. (Il rigole).
Tu as été formé à l’académie du FC Porto et ton père dit que tu es un fan inconditionnel de ce club. On a du mal à croire que tu sois passé par Benfica en 2015.
SILVA: Toute ma famille supporte Porto, et lors des matches à domicile, je n’étais pas loin du noyau dur. Porto, c’est mon club. Mais quand j’ai eu l’occasion de suivre mon frère à Benfica à l’âge de treize ans, je n’ai pas hésité. Mes parents ont vu partir deux gamins, mais on pensait vraiment que c’était le bon choix d’aller dans ce club. Sur le plan humain, j’ai appris beaucoup de choses à ce moment-là. Des choses qui me sont encore bien utiles aujourd’hui. Mais la rivalité entre Porto et Benfica est tellement intense que certaines personnes ne comprennent pas quand je dis que mon passage à Lisbonne m’a été bénéfique. J’ai beaucoup apprécié ces deux années et je ne remercierai jamais assez les gens qui se sont occupés de moi là-bas. Ils ont eu un impact très positif sur mon parcours.
Tu es rentré à Porto en 2017 et tu as commencé à accumuler des records. Tu as été le plus jeune joueur du championnat du Portugal, le plus jeune joueur en Europe, le plus jeune titulaire, le plus jeune buteur du championnat. Comment as-tu vécu cette période un peu folle?
SILVA: Après notre victoire en Youth League, il y a eu beaucoup d’intérêt de clubs étrangers, mais au moment où j’étais rentré de Benfica, je m’étais dit que je ne quitterais pas Porto avant d’avoir joué en équipe première. Quand j’ai disputé mon premier match à domicile, j’avais la chair de poule. J’étais incroyablement fier. Je m’étais battu pour en arriver là et je me sentais prêt pour conquérir Porto.
Tu n’as finalement joué que 21 matches avec ce club, et seulement cinq comme titulaire. En 2020, un an après tes débuts, Wolverhampton a déboursé quarante millions pour t’attirer en Premier League.
SILVA: Oui, c’est ça. Dans le foot, il y a parfois des paramètres que vous ne maîtrisez pas. Porto avait des problèmes financiers, et pour moi, ce transfert était une façon de les aider. Est-ce que ça aurait été mieux de quitter ce club en étant un vrai titulaire? Je ne regarde pas trop en arrière. Tout s’explique. Encore aujourd’hui, je refuse de dire que j’aurais dû rester à Porto.
Cet été, ton compatriote Matheus Nunes t’a pris ton record de transfert entrant le plus cher de l’histoire de Wolverhampton. Ces quarante millions ne t’ont-ils pas mis une trop grosse pression?
SILVA: Non. Je n’ai pas de souci quand il s’agit de gérer la pression. En fait, ça ne me fait rien. Les gens qui ont la pression, ce sont les Ukrainiens qui vivent la guerre, des gens qui sont en mode survie, des papas qui n’arrivent pas à nourrir leurs enfants. Les situations terribles sont là-bas, pas dans ma vie. Moi, je fais ce que j’aime et je ne vois pas pourquoi j’aurais de la pression. Je ne peux pas empêcher les gens de commenter le prix de mon transfert en Angleterre, je ne peux pas empêcher les supporters d’avoir un avis. Mais si je me focalisais sur des trucs pareils, ça aurait un impact négatif sur mon niveau à l’entraînement et dans les matches.
Pendant ta première saison à Wolverhampton, tu as marqué quatre buts et tu as carrément piqué à Ronaldo le titre de plus jeune buteur en Premier League.
SILVA: C’était un but sur penalty contre Burnley. J’étais entré à une demi-heure de la fin, Wolverhampton était mené 2-0 et ce penalty est arrivé à la dernière minute. Je n’étais pas sur la liste des tireurs, et vu le contexte, ce n’était pas à un gars de 19 ans de tirer ce penalty. Mais j’ai eu un flash, je me suis dit que j’allais le tirer, et un coéquipier portugais a donné son accord après une brève discussion. Quand je me suis élancé, j’ai senti mon cœur s’emballer. Mon moment était venu. Et je l’ai mis dedans.
Mais c’est contre le rival historique, West Bromwich, que tu as marqué tes deux buts les plus importants.
SILVA: Dès mon premier jour à Wolverhampton, des supporters m’ont dit que si on marquait contre West Bromwich, on devenait un dieu. J’ai marqué au match aller, puis à nouveau au retour. Ces fans sont vraiment incroyables. Dès le début, ils m’ont donné plein d’affection. Même quand je ne jouais pas. Ils étaient toujours derrière moi et j’ai toujours essayé de leur rendre quelque chose.
Tu n’as pas marqué la saison dernière. Que retiens-tu de cette période?
SILVA: Tu dois parfois passer par des moments pareils pour avoir un déclic dans la tête. Je devais peut-être modifier certaines choses dans ma façon de jouer, c’est comme ça que j’ai interprété la situation. Quand on est jeune, si on n’est pas bien entouré, on peut sombrer. Heureusement, j’ai toujours pu compter sur l’aide de ma famille, de mes amis, de mon agent.
Anderlecht s’est manifesté très tôt. Les premiers contacts remontent à la fin de l’année 2021. Pourquoi a-t-il fallu aussi longtemps pour que le prêt se concrétise enfin?
SILVA: En janvier, j’ai entendu pour la première fois qu’il y avait une possibilité d’être prêté à Anderlecht. Wolverhampton ne voulait pas en entendre parler, mais je suis resté en contact. Le club nous a invités à la finale de la Coupe de Belgique contre Gand, et à ce moment-là, j’avais déjà décidé de venir ici. J’ai expliqué aux gens de Wolverhampton que c’était une bonne option pour moi, que je pourrais me réconcilier avec le football si je venais ici.
Tu prenais quand même un risque? Entre la finale et l’officialisation de ton prêt, Vincent Kompany est parti. Et on ne savait pas si Anderlecht allait se qualifier pour la phase de groupes de la Conference League. Ça ne t’a pas fait hésiter?
SILVA: Pas du tout. Par rapport à Anderlecht, je n’ai jamais hésité. J’avais d’autres opportunités, notamment un club qui va jouer la Ligue des Champions, mais je pensais que ce club était la bonne opportunité pour relancer ma carrière. Anderlecht me voulait vraiment et c’était réciproque. Après ça, il fallait simplement que les deux clubs s’arrangent.
Tu as directement réussi tes débuts contre Ostende et tu es déjà devenu le chouchou des supporters. Comment as-tu vécu tes premières semaines ici?
SILVA: J’ai savouré. Entendre tout un stade qui scande ton nom, c’est terrible. Dingue. Chaque matin, je me lève avec la banane. Je viens à l’entraînement avec le sourire. Et quand je suis heureux, je suis meilleur sur le terrain.
Tu sens le but et on voit que tu maîtrises toutes les facettes de l’attaquant. Tu as déjà marqué de plusieurs façons différentes.
SILVA: Ceux qui ont vu mon but de la tête contre Saint-Trond n’imaginent sûrement pas que jusqu’à l’année dernière, je ne savais pas jouer de la tête. Je sais dans quoi je suis bon et je fais tout aux entraînements pour encore élever mon niveau. J’ai un bon pied droit mais il y a encore du travail pour perfectionner le gauche. Je me débrouille bien sur les centres mais je dois encore améliorer mon tir de loin. Je saute haut mais mon timing n’est pas excellent. Quand tu travailles dur, tu obtiens toujours une récompense. Je ne veux rien laisser au hasard.
On ne t’a pas encore vu marquer de buts chanceux.
SILVA: Il faut parfois un peu de chance. Mais tu dois la forcer. Je me considère comme un attaquant complet, mais je ne suis pas encore un produit fini. C’est impossible à vingt ans. Mais par rapport à la saison dernière, je me suis amélioré.
Tu as déjà marqué contre Seraing, Ostende, Saint-Trond et Paide. Tu es conscient que les supporters attendent maintenant que tu le fasses dans des gros matches?
SILVA: Je sais ce qu’on attend de moi mais je ne suis pas un attaquant qui ne se préoccupe que de ses statistiques. Je passe dans un autre monde quand je marque, je le reconnais, mais je fais aussi une part du sale boulot. Avec ma combativité et ma façon de mettre les défenseurs sous pression, je me rends utile pour l’équipe.
Tu es toujours en mouvement, que ce soit dans le travail offensif ou le boulot défensif. Tu n’as pas l’impression de dépenser parfois trop d’énergie?
SILVA: C’est mon style. J’aime bien me charger de certaines missions défensives. Si je ne disputais plus de duels aériens, si je refusais les corps à corps avec les défenseurs centraux, si j’arrêtais de batailler pour récupérer des ballons, je ne serais plus le même joueur. Et si je suis au bout du rouleau, je fais signe à l’entraîneur qu’il vaut mieux me remplacer. Mais je ne refuserai jamais un sprint simplement pour pouvoir tenir jusqu’à la fin d’un match. Je ne suis pas comme ça.
Dans des vidéos qui circulent sur Internet, on te voit gamin avec le maillot de Porto et tu portes déjà le numéro 9. Quand as-tu décidé de devenir attaquant?
SILVA: Le football, c’est des buts. Qu’est-ce qui déchaîne le plus les supporters? Les célébrations de buts. C’est quand on marque qu’on ressent les choses les plus fortes. Je voulais devenir attaquant parce que marquer était mon obsession. Dans le passé, ça devenait parfois maladif chez moi. Quand je ratais une occasion, ça m’arrivait d’y penser pendant très longtemps et j’étais frustré. Pour résoudre ce problème, je consulte un spécialiste qui m’aide à canaliser mes émotions négatives. Mettre un but ou donner un assist, ça me procure quelque chose de très particulier, mais je sais aussi que je peux être utile à l’équipe en faisant d’autres choses.
«Refaelov est l’un des meilleurs avec qui j’ai joué»
Ta collaboration avec Lior Refaelov fonctionne bien, il est impliqué dans une bonne partie de tes buts. Comment l’expliques-tu?FÁBIO SILVA : Je n’exagère pas si je dis que c’est l’un des meilleurs avec qui j’ai joué jusqu’à présent. C’est tellement facile de jouer avec un gars pareil dans ton dos. Il lit très bien le jeu, il sait comment alerter les attaquants, il crée des espaces pour ses coéquipiers grâce à son positionnement, et la qualité de ses passes et de ses centres est bien au-dessus de la moyenne. Je dois simplement faire les bonnes courses parce que je sais que le ballon va m’arriver.
Tu t’entends bien avec Sebastiano Esposito dans la vie, mais quand vous avez joué ensemble, vous ne vous êtes pas encore vraiment trouvés.SILVA: On jouera encore des matches ensemble et il y en aura où on marquera tous les deux. Je n’en doute pas une seconde. Ce qu’il se passe sur le terrain n’a aucune incidence sur notre amitié. C’est un pote, un gars que j’aime côtoyer une fois que l’entraînement est terminé. On a un lien spécial, mais j’essaie aussi de construire une relation forte avec mes autres coéquipiers.
Il n’a pas encore réussi à s’imposer. Tu sais ce que c’est, tu as connu ça en Angleterre.SILVA: La différence, c’est que chez moi, ça a duré une année complète. Ici, la saison ne fait que commencer. Il a encore tout le temps pour devenir un pion important de l’équipe. Une fois qu’il aura eu le déclic, ça peut aller vite. En attendant, j’essaie de le pousser dans ses derniers retranchements aux entraînements. Je lui ai encore répété récemment que j’avais connu les mêmes soucis la saison dernière et que je voulais l’aider. Je ne vais pas le laisser tomber.
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