Bâtisseur sportif du nouveau Standard, Marc Wilmots a traversé son premier mercato comme à sa période en crampons: droit au but, tête baissée et rarement en finesse.
Les discours sont si enflammés de passion qu’on se croirait à la table d’un restaurant bondé, un soir de Saint-Valentin. Le rouge des murs n’est pourtant pas celui des cœurs qu’on dessine sur tous les supports à la mi-temps du mois de février, mais bien celui de la salle de presse de Sclessin. Dans l’antre du Standard de Liège, Pierre François et Marc Wilmots se relaient dans leur style respectif, sans jamais oublier une forme de lyrisme pour raconter leur retour dans ce club marquant de leur passé.
Pierre François, tout juste revenu du RFC Liège voisin après un mandat à la tête de la Pro League, dégaine le premier: «Mes projets étaient faits pour les six prochains mois. Il était question de jardin et de voyages. Il n’y avait pas d’autre proposition que celle-ci que je puisse prendre en compte pour les changer.» Marc Wilmots a d’autres mots, mais le même discours: «On parle d’un club que j’aime. On a un public formidable, il faut le faire revenir, en jouant vers l’avant et en donnant du spectacle.»
Un duo de «fous du club», comme les définit Pierre François, ramenés en Cité Ardente par Giacomo Angelini. Chahuté par les tribunes qui ne voyaient pas avancer son projet de reprise, l’ancien directeur financier du club a frappé fort en deux temps: c’est lui qui a convaincu Pierre François, homme fort des années glorieuses sous les ordres de Lucien D’Onofrio, de revenir en terres rouches. Charge ensuite au nouveau directeur général de trouver un patron sportif. La ligne vers Marc Wilmots, dont le fils Reno a porté les couleurs du RFC Liège quand Pierre François en était le gestionnaire, est directe et efficace. Un jeu en triangle qui fait des heureux dans les gradins, où le nom de Wilmots est toujours resté très populaire, mais des sceptiques dans les bureaux. Giacomo Angelini avait promis une gestion plus moderne et ses premiers choix semblent surtout se faire avec les yeux rivés sur les rétroviseurs.
Qu’importe, visiblement. Puisque même si les fameux «investisseurs» n’ont toujours pas posé leurs valises –de billets– à Sclessin, plus personne n’évoque des problèmes financiers au cours d’un mercato où le Standard ne lésinera pas sur les dépenses.
Wilmots entre vitesse et précipitation
Il faut dire que Marc Wilmots a prévu d’aller vite. Il ne s’en cache d’ailleurs pas, profitant de la présentation de Mircea Rednic dans le costume de nouveau coach du Standard pour expliquer fièrement qu’il n’a fallu que «36 heures pour se mettre d’accord», ou d’une interview avec Sudinfo pour raconter que Marco Ilaimaharitra «a été convaincu en 24 heures». Une façon de montrer le pouvoir d’attraction du Standard en même temps que sa force de conviction, mais une méthode difficilement compatible avec la réalité d’un club censé faire des économies.
En l’absence de Pierre François, profitant de quelques jours de vacances, c’est ainsi le directeur sportif qui négocie directement les aspects financiers du contrat de Josué Homawoo. Le Togolais obtient un contrat proche des 800.000 euros annuels, profitant d’être libre de tout engagement pour négocier des émoluments à la hausse. Une aubaine pour le défenseur formé à Nantes, jusqu’ici sociétaire du Dinamo Bucarest, qui surprend même la presse roumaine. Forcément, la négociation est rapide, tout comme celle menée entre le Standard et Casper Nielsen. A 31 ans et après trois saisons essentiellement passées dans l’ombre à Bruges, le Danois et son entourage ne s’attendaient pas à voir débarquer sur la table un contrat de trois ans assorti de si généreuses conditions financières. En cas de pépin, ce «deal» pourrait peser lourd dans la balance des comptes.
Entre vitesse et précipitation, le Standard cherche donc son équilibre. Econduits par Karel Geraerts, candidat favori de Wilmots pour le banc de touche (même si l’ancien coach des «Diables» affirmera face à la presse, dans un bluff qui n’a pas trompé grand monde, que ce n’était pas le cas) mais financièrement inaccessible, les Rouches jettent ainsi très vite leur dévolu sur Mircea Rednic. Un choix au nom du fameux «ADN», de revendications salariales modestes et d’une certaine dose d’expérience, mais au détriment du CV récent de l’entraîneur roumain et du décalage important avec son dernier passage à Sclessin, bouclé douze ans plus tôt. Wilmots, pourtant, est en confiance car en terrain connu. C’est le fil conducteur de ses premières décisions: se baser sur les recommandations de personnes qu’il connaît suffisamment pour leur accorder son crédit.
La politique du lien
Pour poser les premières pierres de sa cellule sportive, Marc Wilmots sort ainsi son fils Marten de sa carrière d’agent immobilier. «J’ai besoin de quelqu’un qui parle anglais et qui s’occupe de l’informatique», justifie le «Taureau de Dongelberg», conscient de ses lacunes en la matière et de l’importance de ces aspects dans le football du futur. «Marten est avancé là-dedans et il a l’ADN Standard. Il sera d’un soutien énorme. J’ai besoin de confiance et de confidentialité.» Le tout est évidemment avalisé par Pierre François, lui qui tente déjà de glisser son épouse Dominique dans l’organigramme des Rouches comme il l’avait fait chez les voisins du RFC Liège. Parce que, comme le justifie le directeur général pour prendre la défense de son collègue: «On ne va pas s’interdire d’engager quelqu’un de compétent sous prétexte qu’il est de notre famille.»
La construction du nouveau Standard est donc une histoire de liens. Ceux de Marc Wilmots avec Schalke 04, l’autre club de son cœur, amènent en bords de Meuse le gaucher allemand Tobias Mohr. Ceux avec son autre fils, qu’il a placé au Patro Eisden de Stijn Stijnen un an plus tôt, ont permis au déroutant Adnane Abid de lui taper dans l’œil. C’est donc sûr de son fait que le directeur sportif franchit une première fois la barre du million pour attirer à Sclessin l’une des révélations de la dernière saison de Challenger Pro League.
Même pour constituer sa cellule de scouting, l’ancien puncheur favori de Robert Waseige mise avant tout sur ses connaissances. Ancien équipier de l’époque bordelaise, qui avait vu le Brabançon scorer onze buts au début du millénaire, Jérôme Bonnissel est devenu un spécialiste en la matière, occupant le poste de responsable du recrutement à Bordeaux puis à Rennes, avec une aventure à l’Olympique Lyonnais entre les deux. Selon un proche du dossier menant à l’arrivée de Bonnissel en Cité Ardente, la relation antérieure du duo a été un facteur déterminant: «Wilmots cherchait une personne compétente et un homme de confiance, et Jérôme remplissait ces critères.»
Les lourdes valises de Mircea Rednic
Ex-compagnon d’armes du Standard durant un lustre entamé au début des années 1990, Mircea Rednic est donc devenu le choix naturel pour prolonger sur le banc de touche cette politique du lien. Ce n’est pas pour autant que sa nomination à la tête du vestiaire rouche fait l’unanimité. Depuis son départ de Sclessin en 2013, quand Roland Duchâtelet ne l’avait pas conservé pour le remplacer par l’anonyme Guy Luzon, le Roumain s’est partagé entre deux piges belges (Gand et Mouscron), une aventure saoudienne et surtout sa terre natale, avec notamment trois passages par le FC Dinamo de la capitale. S’il vient de passer deux saisons sur le banc de l’UTA Arad, un club de bas de tableau de l’élite roumaine où militait notamment Paul-José Mpoku, il fait surtout parler de lui hors du pré.
Comme si les affaires de famille servaient de fil rouge, c’est à cause de sa fille que Mircea Rednic alimente les pages sportives des médias locaux. Ancienne joueuse de tennis reconnue à Neupré, Luana s’est offert une reconversion plus fructueuse en embrassant la fonction d’agente de joueurs. Un rôle pour lequel avoir un père entraîneur en première division est forcément une opportunité dont les Rednic auraient légèrement abusé, ce que père et fille ont toujours nié.
En 2019, alors que le paternel joue le refrain préféré de sa carrière en pilotant la destinée sportive du Dinamo, les transferts de Ioan Filip et Reda Jaadi (Bruxellois passé par le Standard, où il a disputé un match chez les pros) lui offrent des commissions dénoncées quelques années plus tard par le président Florin Prunea. Arrivé gratuitement du club hongrois de Debrecen, Filip s’installe rapidement dans le onze du coach roumain. Jaadi, lui, ne passe que sept mois à Bucarest avant de rejoindre le Maroc. Le média iAMsport révèle que cette brève pige à l’est de l’Europe aurait pu rapporter gros à Luana Rednic. Un document stipule en effet qu’en cas de «futur transfert du joueur Jaadi Nabil du SC Dinamo 1948 SA vers un autre club, via LOR MEDIA SPORT SRL ou un autre agent/intermédiaire, ou même sans agent, LOR MEDIA SPORT SRL recevra une commission de succès». Soit l’équivalent de 10% du transfert sortant, pouvant varier entre 50.000 et 450.000 euros selon le montant de la transaction. Une formule qui contredit les règles de la FIFA, puisqu’il est interdit qu’une tierce partie possède des intérêts financiers sur la vente d’un footballeur.
Déjà venu avec quelques joueurs roumains dans ses bagages lors de son précédent passage au Standard, Mircea Rednic a toujours eu la réputation d’être un coach qui active son carnet d’adresses quand il prend les rênes sportives d’un club. Peu de temps après son arrivée, c’est donc sans surprise que les Rouches ont offert un –juteux– contrat à Josué Homawoo, que le coach avait côtoyé dans le championnat roumain. C’est d’ailleurs Rednic lui-même qui avait évoqué le transfert en Roumanie, avant même qu’il soit officialisé par les Liégeois. Déjà sur les radars du Standard par le passé, l’expérimenté défenseur togolais a encore ajouté une connexion à la fameuse politique du lien.
Wilmots et Rednic: 36 heures pour le convaincre, 57 jours pour le virer
S’il n’est donc pas le premier, le choix aurait été «bien réfléchi», selon les affirmations plusieurs fois répétées de Marc Wilmots. Dans les pages de Sudinfo, le directeur sportif explique d’ailleurs suivre «chaque entraînement, et je peux vous dire que ça marche bien. Il a déjà su créer un ensemble». Une vision visiblement pas partagée par ceux qui vivent les séances crampons aux pieds, puisque l’aventure de Mircea Rednic n’a duré que 57 jours. Après une défaite tactiquement tragique contre le Cercle, marquée par une domination brugeoise face à des Rouches qui paraissent découvrir en temps réel le plan de jeu de leur adversaire, le couperet tombe déjà pour le Roumain, licencié malgré un bilan honorable de 7 points sur 15 possibles.
Dès le partage de la deuxième journée contre Dender, des doutes assez francs avaient commencé à naître au sein de l’organigramme quant à la pertinence du choix posé par Wilmots, qui avait déjà surpris pas mal de monde à son annonce. Le manque de contenu tactique des séances, et même des préparations de matchs, interloque les joueurs et finit par se constater sur le terrain, où des joueurs pourtant expérimentés semblent souvent perdus. L’absence quasi-totale de recours à la vidéo n’aide évidemment pas à faire passer clairement le message footballistique, et le contraste avec ce que les nouveaux tauliers du vestiaire ont connu dans leur club précédent pique les yeux. Lors de ces fameuses «36 heures pour se mettre d’accord», le directeur sportif n’avait visiblement pas pris le temps de creuser minutieusement les méthodes de l’entraîneur roumain. A moins que les recettes «à l’ancienne» soient tout simplement celles qu’il souhaitait instaurer au SL16 Football Campus, sur les hauteurs de Liège?
Il se dit en tout cas qu’à l’heure de choisir Vincent Euvrard, successeur de Mircea Rednic sur le banc des Rouches, Marc Wilmots a eu moins d’influence que deux mois plus tôt. Ce sont plutôt les fidèles de Giacomo Angelini qui ont soufflé directement son nom à l’oreille du CEO, sans remonter les marches hiérarchiques vers le sommet de la pyramide liégeoise. Ils auraient suggéré de faire confiance au coach de Dender, déjà envisagé en bords de Meuse à plusieurs reprises par le passé. Un choix qui paraît plus en phase avec l’évolution du football belge lors de la dernière décennie, mais qui ajoute quelques dépenses inattendues à l’été liégeois entre une indemnité de licenciement pour Rednic et une autre pour activer la clause de départ du coach d’un club concurrent.
La tentation du rouge
Le bulldozer brabançon ne dévie pas de sa trajectoire pour autant. En quelques jours à peine, Marc Wilmots a imposé son discours et le tempo qui va avec. Un jeu plutôt direct, comme quand celui des Diables passait en priorité par les fronts de Marouane Fellaini et Christian Benteke: on ne traîne pas pour faire des affaires et on évite au maximum les nuances. Les prêts, multipliés jusqu’à la nausée lors de l’ère 777, ne doivent plus avoir droit de cité à Sclessin. On préfère scruter le marché en quête de joueurs libres, ou ouvrir le portefeuille pour attirer des hommes désormais liés contractuellement au projet liégeois. Tant pis si cela implique des investissements plus coûteux.
«Willy» insiste aussi sur un recrutement francophone, parce que «quand on est au Standard, on parle français». Un morceau d’ADN qui se permet toutefois quelques contorsions, le germanophone Mohr et le Danois Nielsen promettant de s’inspirer du capitaine Marlon Fossey pour intégrer au plus vite les rouages de la langue de Molière. Un confort pour Wilmots, aussi, puisqu’il a eu besoin de son traducteur de fils lors des négociations sportives et contractuelles avec Casper Nielsen, menées à toute allure avant de trouver péniblement un accord financier avec Bruges. Des forums de supporters aux colonnes des quotidiens, beaucoup saluent cette mise en place rapide d’un noyau compétitif, comme un soulagement après des années à finir d’esquisser les contours de l’équipe dans les dernières minutes du mercato.
L’ennui, avec la volonté d’aller vite, c’est qu’elle est parfois plus douloureuse quand on trébuche. Arrivé avec le crédit d’une saison exceptionnelle sous les couleurs de Rodez, avec 17 réalisations en Ligue 2, Timothé Nkada s’est blessé au bout de 64 minutes jouées sur le sol belge. Pas vraiment une surprise pour ceux qui l’ont analysé de près depuis plusieurs années, tant le joueur s’est fait une réputation de talent fragile. Encore embryonnaire, la cellule de recrutement du Standard a dû travailler au sprint, peut-être sans prendre le temps de vérifier tous les angles morts.
Parce qu’il fallait être compétitif dès la reprise du championnat pour satisfaire la politique du patron sportif et enthousiasmer au plus vite les tribunes de Sclessin, le matricule 16 n’a pas eu la patience pourtant devenue généralisée dans la plupart des clubs belges à l’heure où le mercato ouvre ses portes. Une méthode à contre-courant, essentiellement axée sur un marché des trentenaires que la chasse à la plus-value a également relégué au second plan. Il fallait du métier et de l’expérience, aux yeux de Wilmots, pour rendre le Standard compétitif dès que possible et alimenter les rêves de top 6 évoqués par le Taureau de Dongelberg et Giacomo Angelini. Puisque c’est également ce raisonnement qui a mené au choix de Mircea Rednic, faut-il s’inquiéter pour l’avenir de ce premier mercato du nouveau Standard?
La certitude, c’est que Marc Wilmots, qui aime se présenter comme «quelqu’un de long terme», a travaillé en circuit court et rapide. Une politique de passionné, ardemment désireux de rendre son Standard compétitif le plus vite possible.
Le risque, c’est que l’amour peut vous faire perdre la tête. Un peu comme un taureau lorsqu’il voit du rouge.