Vincent Mannaert
Tête pensante sportive des équipes nationales belges de football, Vincent Mannaert esquisse son image du jeu «à la belge». © BELGA

Vincent Mannaert: «Si on parle de jouer entre les deux surfaces, on est déjà triple champion du monde»

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Tête pensante sportive des équipes nationales belges de football, Vincent Mannaert esquisse son image du jeu «à la belge», sans omettre de taper obstinément sur un clou: celui de la victoire, trop longtemps laissée aux oubliettes dans la culture nationale.

La semaine est aussi chargée que le ciel de Tubize, où l’air est plus automnal que glacial. De retour de Washington, où il a pu vivre un échantillon de la conception trumpienne du nouveau monde, Vincent Mannaert a le sourire quand il parle à la presse nationale du sort réservé aux Diables Rouges par la grande cérémonie de la Fifa. Si la Coupe du monde 2026 occupe tous les esprits, le sien compris, dans les vastes bureaux vitrés de la Fédération, le «Sports Director» se doit d’allonger sa ligne d’horizon.

Pour lui, l’avenir du football belge est presque aussi prioritaire que le présent, comme il l’a prouvé lors de sa première année de fonction en jouant les architectes d’un grand plan national dont les retombées sont attendues à l’horizon 2030. Le tout sans attendre pour faire bouger les lignes dans les couloirs brabançons, quitte à faire vaciller des carrières et à froisser des sensibilités. Comme lors de ses longues années dans le costume de CEO brugeois, l’ancien joueur d’Alost affûte ses troupes pour garantir des résultats.

Lorsqu’il avait pris les fonctions de directeur technique, Roberto Martínez répétait que sa mission était de maintenir la Belgique dans les hautes sphères du classement mondial malgré l’extinction progressive de la génération dorée. Des Diables compétitifs à long terme, est-ce toujours le challenge actuel?

Non seulement pour les Diables Rouges, mais aussi pour toutes les catégories d’âge. C’est pour ça que je suis content, même si c’est encore tôt, de voir qu’on a engrangé quelques qualifications pour des Coupes du monde ou Euro ces derniers mois. Il faut aussi que les U19 et les U21 soient à l’Euro en 2026 et 2027. On doit être plus exigeant avec eux en matière de résultats. Ces résultats englobent, pour moi, deux aspects: d’abord se qualifier, puis être performant au-delà des attentes lors de ces tournois. On a vu que des pays comparables au nôtre, comme le Portugal, la Suisse ou les Pays-Bas, en étaient capables. Alors que si l’on regarde nos résultats des dix dernières années, c’est un peu décevant en nombre de participation aux tournois, mais aussi de prestations durant ceux-ci.

«Certains entraîneurs voulaient que leurs joueurs soient à leur service, comme sur une PlayStation.»

Manque-t-il une culture de la gagne à la Belgique du football?

Parfois, les gens me disent que je ne parle que de gagner, de résultat. Mais c’est tout de même de ça dont il s’agit! Evidemment, ce n’est pas la seule vérité. Il s’agit aussi de porter attention à d’autres éléments, mais qu’y a-t-il de mal à dire que l’on doit gagner? J’ai fait le constat qu’avec le talent à disposition, nos résultats étaient insuffisants. Le problème est qu’on se contente un peu trop de juste être là, on dit trop vite qu’on a été malchanceux, que le plus important est l’évolution. Je dis non! L’évolution des joueurs, c’est le travail des clubs, qui y œuvrent chaque jour. C’est aussi à eux de gérer ceux dont la maturité est plus tardive, pas à la Fédération. Bien sûr, on doit participer aux discussions à leur sujet, mais en équipe nationale, on doit gagner.

N’est-ce pas la raison pour laquelle la Belgique peine à former des joueurs dominants dans les deux surfaces, à savoir des défenseurs centraux et des buteurs?

C’est un peu la conséquence de ce manque de finalité, oui. Ou une erreur de priorités dans les choix pour définir notre identité de jeu. Si on regarde les défenseurs centraux le plus souvent sur le terrain récemment, Arthur Theate a été jugé insuffisant par le Standard et Genk, Zeno Debast a été formé comme milieu offensif… Moi-même, j’étais à Bruges lorsqu’on a donné son premier contrat à Brandon Mechele, et personne n’avait l’idée qu’il serait le patron de la défense du Club pendant des années. Ça en dit long.

Chez les attaquants, Anderlecht a laissé partir Lucas Stassin et peu de gens à Bruges s’attendaient à voir Romeo Vermant percer en Ligue des champions…

Peut-être n’a-t-on pas su reconnaître ce genre de talent pendant plusieurs années à cause du syndrome du 6,5/10 dans l’évaluation des joueurs. On voulait qu’ils l’aient pour chaque colonne alors que dans le recrutement, on sait maintenant qu’on doit aller vers des gens qui sortent du lot. Mieux vaut avoir une compétence à améliorer qu’être trop neutre partout. A Bruges, au démarrage de la structure de recrutement des jeunes, où on est vraiment parti de zéro, les scouts ne nous proposaient que des meneurs de jeu, des milieux techniques ou des ailiers. C’étaient de bons footballeurs, mais on n’allait pas vers les vraies compétences utiles dans le futur à des postes spécifiques.

Roberto Martínez s’étonnait qu’en Belgique, personne ne s’entraînait dans les deux rectangles, là où les matchs se décident.

Je suis tout à fait d’accord. Si on parle de jouer entre les deux rectangles, on est déjà trois fois champions du monde. C’était pareil avec nos U17 à la Coupe du monde: on combine bien entre les lignes puis une fois dans la surface, on manque de finalité. C’est pour ça qu’à tous les niveaux, le résultat doit être intégré dans le développement. Sinon nos défenseurs n’apprennent pas à défendre sur des centres, à être intransigeants pour ne pas encaisser un but sur corner…

Pourtant, même après le départ des cadres de la génération dorée, il fut rarement un joueur important chez les Diables. Est-ce symptomatique du fait que la Belgique demande autre chose que bien défendre à ses défenseurs?

Je vais tourner la question autrement: s’il y a un poste où on a l’embarras du choix aujourd’hui, ce sont les ailiers dribbleurs. S’il arrive quelque chose à Fofana, on a Saelemaekers, Godts, Bakayoko… Enormément de joueurs. Si on parle de vrais défenseurs, en revanche… C’est un constat que je fais, et mon travail est de le signaler aux clubs.

C’est une conséquence assez logique du plan de formation lancé par la Fédération au milieu des années 2000. Tout est clairement fait pour y valoriser le dribble, la dimension individuelle plutôt que collective.

Je ne crois pas en une formation très stricte des jeunes. Si elle l’est, on annihile la créativité individuelle et la nécessité de trouver par eux-mêmes des solutions. C’est un peu comme à l’école, au cours de mathématiques. Il y a deux types d’enseignants: ceux qui livrent le procédé global pour aller du problème vers la solution, et ceux qui disent où est le problème et laissent à l’élève la possibilité de trouver son propre chemin vers la solution. On peut évidemment donner des outils, mais je trouve que dans notre philosophie de formation, on a parfois exagéré en privilégiant un cadre trop rigide. On décidait que celui qui joue à tel poste doit précisément faire ça. Ce n’est pas comme cela qu’on développe ce qui est peut-être le plus important: l’expérience de sortir de certaines situations, et une sorte d’indépendance. Certains entraîneurs voulaient que leurs joueurs soient à leur service, comme sur une PlayStation. Pour moi, former, c’est donner des outils aux joueurs, puis leur laisser de l’autonomie pour ensuite les corriger. Pas créer des robots.

N’oublie-t-on pas, toutefois, de créer des spécialistes?

Il faut savoir rester pragmatique. On a des difficultés à trouver de bons défenseurs qui gagnent leurs duels parce que pendant des années, beaucoup de formateurs ont insisté sur le fait que les défenseurs devaient avant tout casser les lignes, bien jouer au ballon. Aujourd’hui, lorsqu’on voit comment certains jeunes professionnels défendent leur surface, ce sont encore des enfants. Ils ne cherchent pas le contact avec leurs adversaires, ils sont spectateurs. Ma philosophie est que chaque poste a ses compétences prioritaires, il ne faut pas l’oublier. Evidemment, il faut que la formation des joueurs les fasse passer par différents postes, mais on a des choses à améliorer dans le développement. En revanche, ça reste le travail prioritaire des clubs; à la Fédération, on rassemble les meilleurs joueurs belges et on doit atteindre des résultats. Les différentes ailes linguistiques, les clubs professionnels et la Fédération doivent mettre en place une identité belge avec des principes de jeu. Ne pas dire qu’on va jouer en 4-3-3, ça n’a pas de sens de se focaliser à ce point sur un système de jeu. Il faut installer une base commune et soutenue par des études scientifiques.

«Domenico Tedesco a essayé d’installer une philosophie de jeu propre, il n’avait pas les joueurs pour le faire.»

Quelles études scientifiques attirent votre attention?

Jusqu’à l’âge de 10 ans, par exemple, les analyses disent qu’il est important que les jeunes pratiquent plusieurs sports. On a connu une génération, celle de 1993-1994, avec beaucoup de cas précoces d’érosion de la hanche, à force de les faire taper dans un ballon dès l’âge de 5 ans. Tous les experts me disent que la natation, le judo à petites doses, l’athlétisme, la gymnastique acrobatique sont importants pour développer le corps des jeunes de façon harmonieuse. J’espère créer une plateforme où on pourra discuter au mieux avec les responsables des ailes linguistiques et de la ligue professionnelle sur des sujets de ce type.

En hockey et en rugby, sans doute les meilleurs exemples de réussite «programmée» dans le sport belge, le mode de fonctionnement n’est plus régional mais national. Est-ce également votre souhait pour établir vos nouvelles priorités stratégiques?

Etre le prince de ta province et créer des règles pour toi seul n’a pas de sens. Roel Vaeyens, récemment promu responsable sportif de la ligue professionnelle, m’a immédiatement dit que ce n’était pas possible que le contexte de formation soit différent pour Voetbal Vlaanderen et l’Association des clubs de football francophones (ACFF). C’est pour cela qu’une des premières choses que j’ai voulu faire était de retrouver l’unité.

Arthur Theate comme Brandon Mechele ont mis du temps avant d’être sélectionnés en équipe nationale. © BELGA

Vous parliez de principes de jeu qui doivent définir la Belgique. Auxquels pensez-vous?

Avant tout, je pense que la priorité dans la formation de base doit être le travail de la première touche de balle, du contrôle. Elle décide toujours de la qualité de l’action suivante, quelle que soit la position sur le terrain. Ensuite, il faut développer l’intelligence de jeu en laissant les joueurs libres de chercher des solutions. De façon plus collective, la Belgique doit avoir une défense ambitieuse. Ne pas laisser un défenseur libre qui couvre la profondeur, mais oser se retrouver en égalité numérique avec l’attaque adverse. Pour ça, il faut stimuler les jeunes défenseurs dans leur gestion défensive, qu’ils soient dans leur dos ou entre les lignes. Tout ça avec la volonté de marquer un but de plus que l’adversaire, plutôt que d’en encaisser un de moins. Si on travaille ces quatre points, on aura déjà une bonne base.

Le jeu dominant et ambitieux est devenu une mentalité très belge depuis la génération dorée. Auparavant, l’étiquette nationale était plutôt défensive.

Si on regarde la nouvelle génération de coachs belges –Nicky Hayen, Sébastien Pocognoli, David Hubert–, ce sont des entraîneurs capables de bien analyser leur adversaire, mais ils portent également beaucoup d’intérêt à la façon dont ils le feront souffrir. La génération de coachs précédente était plus conservatrice, orientée vers l’organisation. A mon sens, c’est une évolution positive. Sur le terrain, en revanche, l’équipe nationale dépendra toujours du talent dont on dispose. Domenico Tedesco a essayé d’installer une philosophie de jeu propre, mais il n’avait pas les joueurs pour le faire. Il s’est donc retrouvé face à des limites. Or, toute équipe nationale est là pour avoir des résultats avant tout.

Cette culture de la gagne que vous martelez, avez-vous du mal à l’installer?

Tout le monde est d’accord avec le fait que les Diables doivent gagner. Chez les U21 et plus bas, j’ai constaté qu’on s’en remettait souvent à l’évolution quand on ne gagnait pas. Si on veut changer la culture, il faut qu’on aille vers le résultat. A quoi servent tous les investissements dans les datas, dans l’intelligence artificielle, si le but n’est pas d’augmenter nos chances de gagner?

Bio express

1993
Débuts comme footballeur professionnel à Alost, en deuxième division.
2007
Devient manager général du club de Zulte Waregem.
2011
Rejoint le Club de Bruges, et forme un tandem à succès avec le président Bart Verhaeghe.
Avril 2024
Quitte Bruges sur un dernier titre de champion (le sixième), est critiqué pour ses problèmes d’alcool et un management jugé toxique.
Décembre 2024
Nommé directeur sportif de la Fédération belge de football (RBFA).

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