
Vertonghen: comment il est devenu le plus Hollandais des Belges avant d’être le taulier des Diables
Jan Vertonghen vivra avec Anderlecht le dernier grand moment de sa carrière en finale de la Croky Cup. Le point final d’un parcours forgé au caractère. Avec une pointe d’arrogance amstellodamoise.
La génération dorée quitte progressivement les terrains et les adieux sont toujours déchirants. Un jour, il y aura de la nostalgie pour ce que Vincent Kompany et ses coéquipiers ont signifié pour le football belge, et une grande reconnaissance. La génération dorée était composée de quatre groupes de talents qui, par une heureuse coïncidence, sont apparus à peu près à la même époque.
Le premier est composé par deux «kets» aussi doués que sûrs d’eux, Kompany et Anthony Vanden Borre, qui se révèlent en 2003 à Anderlecht, imités quelques années plus tard par Romelu Lukaku. Le second vint d’un miracle, celui du Germinal Beerschot: un groupe de jeunes joueurs dont personne n’attendait grand-chose, mais qui ont tous réalisé une grande carrière. Le troisième est né du retour au sommet d’un géant endormi. En 2008, Axel Witsel, Marouane Fellaini et Steven Defour replacent le Standard de Liège sur le trône du royaume footballistique belge. Enfin, trois ans plus tard, Thibaut Courtois et Kevin De Bruyne ont fait de même avec le Racing Genk pour composer le quatrième groupe. Leur contemporain le plus doué, Eden Hazard, avait déjà quitté le plat pays, à peine sorti de l’adolescence, déjà courtisé par les plus grosses cylindrées européennes. Les autres, qui n’ont pas fait partie de ces groupes, comme Dries Mertens, Nacer Chadli et Thomas Meunier, ont emprunté d’autres chemins plus tortueux pour devenir membres de la génération dorée.
Jan Vertonghen, qui refermera le livre de sa carrière à Anderlecht dans quelques semaines, est un des rejetons du Germinal Beerschot. Personne ne comprend ce qui s’est passé dans cette merveilleuse équipe de jeunes qui s’est formée au début des années 2000. Dans le carnet des recruteurs, c’est le nom de Mousa Dembélé qui était le plus souvent inscrit. Ce n’était pas le cas de Thomas Vermaelen, Jan Vertonghen, Toby Alderweireld, Tom De Mul, Radja Nainggolan ou Jelle Van Damme. D’ailleurs, la génération Vermaelen-Vertonghen-Dembélé ne s’est pas distinguée collectivement puisqu’elle n’a remporté aucun championnat de jeunes et était régulièrement battue par le Standard et Anderlecht. A la recherche de renforts, Simon Tahamata (ancienne gloire de l’Ajax qui avait conclu sa carrière au Germinal Ekeren) et Marc Noë ont ainsi sondé Eden Hazard. Son père, Thierry, a bien discuté avec les deux entraîneurs du GBA, mais le jeune Eden ne se sentait pas à l’aise parmi les néerlandophones.
L’amour à Amsterdam
A l’époque, le Germinal Beerschot avait aussi conclu un accord de coopération avec l’Ajax Amsterdam, donnant au cador néerlandais le premier choix pour se servir parmi ses jeunes talents. Mousa Dembélé, déjà titulaire avec le matricule 3530, n’entrait déjà plus dans le cadre de cet accord, tandis que Radja Nainggolan s’était déjà confronté à ses entraîneurs et était parti à Piacenza, en Italie. Tous les autres adolescents de la cuvée sont partis pour la capitale néerlandaise, où, en dépit des faibles attentes à leur égard, ils s’épanouissent. À 17, 18 ans, ils débutent l’un après l’autre avec l’équipe première de l’Ajax. Un joueur se démarque: Jan Vertonghen, le plus amstellodamois de la bande, se sent comme un poisson dans l’eau aux Pays-Bas. D’autres ont le mal du pays ou se montrent plus réservés. Pas Vertonghen qui s’éclate à l’école du Bijlmer et trouve immédiatement une amoureuse amstellodamoise, aujourd’hui son épouse.
Jan Vertonghen est prêté au RKC Waalwijk et marque contre l’Ajax, ce qui prive son employeur du titre. Il retourne ensuite dans le club amstellodamois et est rapidement promu capitaine. «Jan Vertonghen est un dieu à Amsterdam. Ils le tiennent en très haute estime, déclarait son coéquipier Toby Alderweireld lors d’une interview accordée à Knack. Cela tient à son flair, à son charisme, mais surtout à son assurance. Un vrai bonhomme: tout ce qu’aiment les Amstellodamois. Y a-t-il quelqu’un qui dégage plus l’impression d’être le patron sur un terrain de football que Jan?»
Si près, si loin des titres à Tottenham
Sacré champion et élu joueur de l’année, le gaucher quitte les Pays-Bas en 2012 pour rejoindre Tottenham. Les «Spurs» disposent d’un excellent effectif mais déçoivent toujours dans les moments décisifs. En 2013, ils sont favoris pour remporter l’Europa League, mais en quart de finale, contre le modeste FC Bâle, Jan Vertonghen se fait exclure et les Suisses se qualifient aux tirs au but. En 2015-2016, les autres grands clubs anglais connaissent une saison pourrie et le titre de champion semble promis à Tottenham. C’était sans compter sur le modeste Leicester qui va le devancer sur la ligne d’arrivée. En 2019, les Spurs peuvent prendre une revanche dans la plus prestigieuse des compétitions européennes, mais sont sanctionnés d’un penalty après seulement deux minutes pour une faute de main avant d’être achevés en fin de match par Divock Origi, lui aussi membre de la génération dorée belge. La presse anglaise invente alors le terme «spursy» pour désigner le fait de trébucher alors que le succès est à portée de main. Jan Vertonghen ne sera pas parvenu à changer cette réputation et quitte Londres après huit belles saisons, sans le moindre trophée dans sa valise.
Curieuse constante: Vertonghen se heurte à tous les entraîneurs qui s’asseyent sur le banc de Tottenham. André Villas-Boas a déploré son langage corporel, Tim Sherwood a estimé que sa concentration était trop faible, Mauricio Pochettino a déclaré que son attitude devait s’améliorer. Un désaccord avec José Mourinho, juste pendant les négociations d’une prolongation de contrat, c’en est trop. En 2020, à l’âge du Christ, «Sterke Jan» poursuit son chemin à Benfica, au Portugal. Visiblement sans rancune pour le technicien portugais. Après Fenerbahçe-Anderlecht, celui qui est désormais à la tête du club stambouliote a reçu un maillot de Vertonghen: «Jan est un grand footballeur et un être humain encore plus sympathique».
Le Diable et le boulanger
Sous le maillot des Diables Rouges, Jan Vertonghen connaît aussi des années de vaches maigres. International depuis 2007, il doit attendre 2014 pour participer à un tournoi majeur avec sa sélection nationale. Pendant ces sept années, les Belges jouent des matches auxquels ils n’aiment pas repenser: défaite 2-1 en Arménie, défaite 2-0 contre la Finlande et match nul 2-2 contre le Kazakhstan. Les Diables chutent même à la 71e place du classement Fifa. «Les résultats étaient décevants, donc tout le monde partait de mauvaise humeur, se souvient Nicolas Lombaerts, concurrent de Vertonghen sur le côté gauche de la défense. Il fallait constamment faire attention à ce que l’on disait ou faisait, car si quelque chose était mal interprété, cela se retournait contre vous. Et pour ne rien arranger, le public nous laissait tomber: chaque fois que vous alliez à la boulangerie, on se moquait de vous parce que vous étiez un Diable Rouge.»
Les membres les plus âgés de la génération dorée ont été forgés par ces années d’adversité. Elles ont renforcé des liens qui, plus tard, lorsque les succès sont arrivés, ont relégué toutes les plaintes à l’arrière-plan. Thomas Vermaelen, Dries Mertens et même Romelu Lukaku et Kevin De Bruyne se sont parfois retrouvés sur le banc de touche, sans que cela ne fasse la Une des journaux. Jusqu’au dernier championnat d’Europe, les Belges jouaient très haut, laissant d’énormes espaces dans le dos de la défense. La défense doit être capable d’y faire face, mais elle doit surtout oser le faire. En cela, Vertonghen a été vraiment imbattable grâce à son intelligence, sa hargne et son dynamisme.
Blagueur et animateur de jeux
Hors du terrain, les autres internationaux le connaissaient comme un incorrigible amuseur. Thomas Vermaelen se méfiait lorsqu’on l’a appelé pour lui dire qu’Arsenal était intéressé: il soupçonnait une blague de la part de Jan Vertonghen. A l’approche de la Coupe du monde au Brésil, Vertonghen a mis en scène une caméra cachée: un acteur s’est fait passer pour un officiel, prétendument furieux contre Vincent Kompany parce qu’il était souvent en retard.
Passionné de jeux, Vertonghen était aussi le moteur des interminables parties de Risk ou des Colons de Catane avec lesquelles les Diables occupaient leur temps libre. Vertonghen en était l’animateur, même si les internationaux ont finalement dû arrêter de jouer au jeu des Loups-Garous. Dans ce jeu, il faut accuser les autres joueurs d’être les méchants. Cela risquait de devenir personnel à certains moments.
Les dernières années de Vertonghen au Benfica et à Anderlecht n’ont pas été couronnées de succès, si l’on en croit le palmarès. Le vainqueur pur-sang qu’est Vertonghen a dû en souffrir. De plus, 19 années de football professionnel ont démoli son corps: même monter les escaliers lui fait mal, a-t-il déclaré lors de l’annonce de ses adieux. Depuis l’âge de 26 ans, Vertonghen contrôle la douleur de ses tendons d’Achille à l’aide d’injections et de paracétamol. Il a cessé de le faire depuis qu’il a décidé de mettre un terme à sa carrière.
Que deviendra-t-il? Pas entraîneur, a révélé le recordman de sélections chez les Diables. Il a pourtant suivi le cours accéléré d’entraîneur organisé durant le Covid dans le giron de l’équipe nationale, et on disait qu’il était l’un des meilleurs élèves. Mais aujourd’hui, Vertonghen trouve la profession incompatible avec sa famille, qu’il a déjà dû tant renier. Lorsqu’on lui demande quel est son principal héritage, le footballeur évoque la fondation Jan Vertonghen, qui construit des terrains de jeu inclusifs et achète des équipements sportifs pour les services pédiatriques des hôpitaux.
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