Anderlecht n’a toujours pas trouvé la paix. Entre un nouveau président, un directeur sportif qui fait grincer les dents et le retour attendu d’une ancienne légende locale, la stabilité mauve n’est pas encore pour demain.
Wouter Vandenhaute n’est plus là, et ce changement libère visiblement bien des discours. Sans que ce soit spécialement lié au récent départ présidentiel, actualité sportive adoucie par la trêve internationale et les deux victoires des Diables Rouges, les langues se sont déliées au Lotto Park, à l’occasion de la réception de Genk. Casquette sur la tête, comme contaminé par les manies américaines après son passage à la direction sportive du CF Montréal, Olivier Renard a pris la parole devant les micros de DAZN.
Plus qu’une interview, c’est une plaidoirie. Olivier Renard y va sans avocat. Maintenant que la tempête sportive consécutive à la double élimination européenne –contre Häcken en Europa League puis face à l’AEK Athènes en Conference League– est passée, ayant balayé le président Wouter Vandenhaute sur son passage, le directeur sportif raconte un été mouvementé. L’ancien gardien la joue caustique, entre un «je laisse les autres critiquer» et un «si Anderlecht vend un joueur pour un certain montant, c’est de la chance, si d’autres le font, c’est un coup de génie». Entre les bravades, Renard glisse toutefois le fil rouge de ses deux premiers mercatos dans la cellule sportive bruxelloise: «On devait absolument investir sur des jeunes, car l’effectif était assez âgé. On a voulu changer le fusil d’épaule.»
Le changement, c’était aussi le thème de l’intervention de Marc Coucke face aux médias. Actionnaire principal du Sporting, l’homme d’affaires s’est donné «deux à cinq semaines» pour chambouler une fois de plus un organigramme sans cesse mouvant depuis son arrivée à la tête du club. S’il a «libéré de l’espace dans l’agenda pour ce magnifique club», c’est bien pour changer les choses. Et s’il se dit ému de «constater combien de personnes sont prêtes à nous aider», c’est pour rappeler à qui veut bien l’entendre que malgré le spectre d’une neuvième saison consécutive sans soulever un trophée, Anderlecht compte toujours sur la scène nationale.
«C’est mon club de cœur, ça fait du mal qu’ils soient dans cette situation.»
Lukaku après Kompany
Quand il avait fallu éteindre l’incendie d’une saison sans Coupe d’Europe officialisée au printemps 2019, dans la foulée de play-offs catastrophiques, Marc Coucke avait fait monter à bord Vincent Kompany. Dans un rôle flou, d’abord, de joueur-entraîneur-inspirateur philosophique, avant de devenir un coach plus classique au début de la saison 2020-2021, puis de se voir montrer la porte de sortie à l’image d’un entraîneur comme les autres à l’aube de l’été 2022. La main était alors passée à Wouter Vandenhaute, sorti vainqueur d’un duel d’ego avec l’ancien défenseur des Diables pour un virage qui, avec le recul, a pris des airs de dérapage.
Wouter Vandenhaute n’est plus là, mais Vincent Kompany non plus. Désormais à la tête du Bayern de Munich, «Vince The Prince» est bien trop haut pour faire de la place à Anderlecht dans son agenda. Qu’importe, puisque les rapprochements entre Marc Coucke et une autre figure majeure de l’imaginaire collectif des supporters mauves sont désormais de notoriété publique. Dans les tribunes avant le coup d’envoi contre Genk, la casquette d’Olivier Renard s’est entrechoquée, le temps d’une accolade, avec celle de Romelu Lukaku. Présent en Belgique pour sa revalidation, à la suite d’une blessure à la cuisse survenue au cœur du mois d’août, le meilleur buteur de l’histoire des Diables Rouges n’a pas manqué l’opportunité de venir soutenir son club formateur. Et de relancer les rumeurs.
En juin, il avait lui-même pris la parole face aux caméras de RTL, pull mauve sur les épaules, évoquant un potentiel retour aux sources qu’il fixe hypothétiquement en 2027, au terme de son bail napolitain, avec la volonté de le faire sur le terrain plutôt que dans les bureaux: «C’est mon club de cœur, ça fait du mal qu’ils soient dans cette situation. L’essentiel, c’est qu’il y ait la paix en interne. Quand ce sera le cas, ça descendra sur les joueurs et ils pourront être performants.»
Le discours est celui d’un patron, bien plus que d’un employé que «Big Rom» pourrait devenir en actant son retour comme joueur. Le costume est évidemment trop petit pour lui, comme il l’était pour Kompany, et Marc Coucke a bien d’autres idées derrière la tête. En coulisses, il se dit que le géant belge pourrait devenir actionnaire du club de ses débuts professionnels, et y jouer rapidement un rôle de décisionnaire au sein du centre de formation, pépinière dont le Sporting veut refaire la référence nationale face à la très forte concurrence brugeoise. A Neerpede, on est conscient qu’un tel retour bouleverserait une fois de plus l’ordre que Marc Coucke s’apprête seulement à rétablir, mais qu’il est difficile de louper une telle opportunité de se réconcilier avec les tribunes tout en augmentant la valeur sportive et médiatique de la marque mauve.
Même si Wouter Vandenhaute n’est plus là, tout le monde est encore loin d’avoir fait la paix.
Anderlecht version Renard
D’ici là, il reste donc un peu moins de deux ans pour atteindre cette fameuse paix interne dont parle Lukaku. Le travail est colossal, au terme d’un mercato une nouvelle fois chahuté par des luttes de pouvoir dans les bureaux de la capitale. Au terme de son deuxième grand marché, Olivier Renard ne s’est probablement pas fait que des amis parmi ses associés, le directeur sportif ayant trop souvent joué cavalier seul à l’heure de choisir les recrues à offrir à Besnik Hasi. La cellule de scouting, en bonne partie redessinée par Peter Verbeke lors de son éphémère passage à la tête de la destinée sportive du club, vivrait plutôt mal le fait d’être mise de côté. Négligée sur les profils proposés ou sur les analyses rendues à propos des joueurs validés par Renard, elle n’a donc pas vraiment eu son mot à dire sur un recrutement pourtant axé sur des jeunes peu connus et à fort potentiel. Seul Christophe Lonnoy, ancien bras droit d’Olivier Renard au Standard, échappe à cette atmosphère froide entre le patron sportif et ses scouts.
S’il a souvent été taxé de «loup solitaire» dans ses clubs précédents, le directeur sportif travaille pourtant dans une entente cordiale avec Tim Borguet, le CEO Sports récemment nommé par Wouter Vandenhaute. Plus éveillé aux analyses statistiques que Renard, qui préfère faire parler son flair d’homme de terrain, Borguet a la volonté et l’ambition de faire évoluer Anderlecht vers des accents plus modernes, et son côté très structuré s’avère complémentaire avec les mouvements instinctifs de son associé. Le problème, c’est que la réalité du terrain est cruelle avec ceux qui ont débarqué sans véritablement renforcer le onze anderlechtois, désormais orphelin de Kasper Dolberg et de Jan-Carlo Simić pour retrouver des finances à l’équilibre.
Leur prédécesseur, Jesper Fredberg, avait effectivement tiré au bazooka sur les finances du club. De lourds contrats donnés à des trentenaires, aujourd’hui devenus difficiles à recaser. Envoyé dans le noyau B malgré sa mentalité toujours exemplaire, mais en raison d’un niveau devenu insuffisant pour les aspirations mauves, Mats Rits n’a pas souhaité aller voir ailleurs, témoin majeur d’un été où rien ne s’est passé comme prévu dans la case des ventes du Sporting mauve. Héritier d’une série de directions sportives successives et d’autant de choix marquants fait dans des politiques opposées, Olivier Renard est à la tête d’un noyau aussi large que cher, tout en devant être amélioré pour viser une place sur le podium de l’élite nationale.
Hatenboer, un flop ou un Angulo?
Le problème est que le constat d’amélioration se fait encore attendre. Parce que les deux recrues les plus onéreuses de l’ère Renard, à savoir le virevoltant joueur de couloir Ilay Camara et le buteur Adriano Bertaccini, traînent à l’infirmerie, mais aussi parce qu’à part eux, seul Enric Llansana a véritablement convaincu. Le défenseur Lucas Hey, le milieu créatif Cedric Hatenboer, l’ailier César Huerta ou le buteur Mihajlo Cvetković ont, à eux quatre, coûté plus de dix millions d’euros sans représenter d’évidentes plus-values pour le onze de base des Bruxellois. A l’heure actuelle, Hatenboer passe même l’essentiel de son temps avec les RSCA Futures, Besnik Hasi ne le jugeant pas capable d’être performant dans une rencontre de l’élite belge.
Face aux micros de DAZN, Olivier Renard défend ses choix en prenant l’exemple de l’ailier équatorien Nilson Angulo, aujourd’hui dynamiteur du flanc gauche après trois saisons à balbutier entre les RSCA Futures et des montées au jeu presque sans relief. Un joueur alors amené par Peter Verbeke, dont plus grand monde n’a pourtant envie d’entendre parler dans les couloirs de Neerpede ou dans les tribunes du Lotto Park.
La preuve qu’à Anderlecht, même si Wouter Vandenhaute n’est plus là, tout le monde est encore très loin d’avoir fait la paix.