Avec un seul succès à domicile depuis le coup d’envoi de la saison, le Standard n’a pas encore réussi ses retrouvailles avec Sclessin après une année de tribunes confinées. Visite d’une maison abandonnée.
Un obus d’ Obbi. Presque un vestige du monde d’avant. Le 22 février 2020, le colosse aux pieds d’argile des Rouches fête dans les bras de Michel Preud’homme et Mbaye Leye un but qui envoie le Standard en play-offs 1. Dans les tribunes d’un Sclessin gonflé à bloc, avec 27.143 sièges occupés, l’ampleur de la fête ressemble à ces soirées folles qui ne se soucient pas du lendemain. Comme un présage. Parce que depuis ce jour, entre une crise sanitaire qui vide les gradins et une trajectoire sportive en berne, les travées les plus chaudes du pays n’ont plus eu l’opportunité de fêter une victoire de prestige. L’élimination de Bruges en quart de finale de la dernière Coupe de Belgique s’est célébrée dans l’ambiance calfeutrée du huis clos, et aucun des visiteurs de renom passés par la Principauté en ce début de saison n’est revenu les mains vides.
Avec le poids énorme qu’il fait peser sur une rencontre, le stade du Standard est un acteur majeur.
Depuis ce début de soirée de février 2020, le Standard a disputé 28 rencontres de championnat à domicile, en phase classique ou en play-offs 2. Les Liégeois n’en ont remportées que neuf. Même pas un match sur trois. « On doit enflammer un peu plus le match, mais à aucun moment on n’a réveillé nos supporters », déplorait ainsi Leye après la défaite contre Saint-Trond, dernier hôte en date à avoir quitté les bords de Meuse avec trois points dans la soute du car. Par moments, l’atmosphère hors normes de l’Enfer liégeois semble même plus facilement paralyser ses propres joueurs que les visiteurs. Un paradoxe qui coûte cher, et transforme en mirage les prophéties de Zinho Vanheusden, qui estimait l’an dernier dans les colonnes du Nieuwsblad l’apport des supporters rouches à environ quinze points par saison. À l’heure actuelle pourtant, sur les 21 points mis en jeu à domicile depuis le coup d’envoi de l’exercice 2021-2022, les équipiers d’ Arnaud Bodart n’en ont empoché que six. À peine 29%. Le contraste avec le dernier titre, flashé à 89% de points pris à Sclessin, est vertigineux.
« Ce public est un avantage gigantesque pour nos joueurs », affirme pourtant Mbaye Leye dans la foulée du partage initial face à Genk, pour les retrouvailles avec des tribunes pas encore combles. Deux semaines plus tard, l’Antwerp de Michael Frey remet déjà le constat en question. Même le nouveau souffle incarné par l’arrivée de Luka Elsner ne suffit pas à offrir aux fans rouches leur deuxième succès de la saison en Principauté. Un partage contre OHL, un autre face à Courtrai, et une réalité qui s’installe: Sclessin semble avoir perdu son pouvoir.

SÉRIES DU PASSÉ
« Je crois qu’il manque quelqu’un pour mettre le feu. Retourner Sclessin pour chauffer le public », constate Junior Edmilson dans les colonnes de La Meuse. « Quand je jouais au Standard, je savais ce qu’il fallait faire pour exciter le bazar. Un dribble, une action ou un gros duel. C’est ce que les supporters attendent. » Jamais aussi impressionnant que quand l’ambiance montait d’un cran, avec en point d’orgue ces play-offs de 2018 bouclés avec sept buts et trois passes décisives, le Belgo-Brésilien a connu les derniers balbutiements d’un vaisseau rouche invincible. Sous Ricardo Sá Pinto puis Michel Preud’homme, le Standard enchaîne en effet 24 rencontres de championnat devant son public sans connaître la défaite, entre un douloureux 0-4 infligé par Zulte Waregem sous les ordres du Portugais à la fin de l’été 2017 et un 0-2 contre l’Antwerp au début du mois de novembre de l’année suivante.
La série s’arrête à un souffle de celle du grand Standard de la fin des années 2000, invaincu dans son antre entre le 10 mars 2007 (0-1 contre Gand) et le 30 octobre 2008 (1-2 face à Chareroi). 25 matches sans défaite, série initiée par Preud’homme et poursuivie par Laszlo Bölöni à cheval sur un doublé annoncé en championnat. Avec MPH, les Rouches bouclent même la saison du titre sans connaître la moindre défaite à la maison, et avec une moyenne défensive exceptionnelle: onze buts encaissés en 2007-2008, douze l’année suivante, et l’impression laissée aux adversaires que chaque but inscrit sur la pelouse liégeoise a des airs d’exploit.
Si le retour du coach à succès initié par Bruno Venanzi à l’été 2018 laisse un moins bon souvenir au palmarès, sa deuxième saison ramène un peu de cet hermétisme défensif qui était à la source des heures de gloire mosanes: peu de cadeaux à l’adversaire derrière, et des talents qui enflamment les tribunes et font trembler les filets à l’autre bout du terrain. Avortée par le Covid, la saison 2019-2020 marque toutefois un tournant, expliqué en partie par le fait qu’elle s’arrête après quinze matches joués au stade Maurice Dufrasne: pour la première fois depuis 2010, le Standard boucle sa saison avec moins de dix succès à domicile (mais tout de même une moyenne de 69% des points pris).

L’ARGUMENT PUBLIC
L’absence de public qui s’annonce, dans la foulée du retrait du coach double champion de Belgique, inquiète d’ailleurs les décideurs liégeois. En quête du remplaçant de Preud’homme, Benjamin Nicaise opte pour son compatriote Philippe Montanier, un routinier des bancs de touche, en espérant que des circonstances favorables pourront compenser l’absence de ce public dont l’impact est aussi difficile à chiffrer qu’à contester. Le départ est réussi, mais le calendrier alourdi et la blessure de Zinho Vanheusden fragilisent les Standardmen. L’aventure se termine sur une double déconvenue à la maison, face à Mouscron et Saint-Trond, sans supporter et sans passion.
Les Liégeois ont pris plus du double de points en déplacement par rapport à leur bilan à domicile.
À l’heure du bilan, dressé sur le plateau de la RTBF, le désormais ex-directeur sportif des Liégeois évoque l’impact des tribunes vides comme circonstance atténuante: « Le public aurait pu lui faire passer un message, celui d’être plus offensif. Il a essayé des combinaisons offensives au début mais à la fin, il était devenu tellement défensif en se disant qu’il allait marquer sur phase arrêtée. S’il avait senti la ferveur de Sclessin, ça aurait été différent pour lui. » Pas vraiment spectaculaire face au bouillant public lensois, et désormais à la tête d’une attaque feu d’artifice dans l’ambiance très feutrée (un peu plus de 8.000 spectateurs de moyenne) du Stadium de Toulouse, le Normand n’arbore pourtant pas le CV d’un coach qui enflamme les foules.
Avec le poids énorme qu’il fait peser sur une rencontre, cette impression que tout est possible une fois que les tribunes émettent des clameurs quand les lignes s’ouvrent et que le rythme du match s’accélère, le stade du Standard est un acteur majeur. Irrationnel et incontournable. Quand Mehdi Carcela prolonge son contrat au coeur de la saison dernière, alors que ses bonnes prestations sont rares et que le poids de son lourd salaire approche de l’échéance, on entend en interne que l’international marocain ne sera plus le même une fois que les tribunes seront à nouveau occupées, parce qu’il a besoin du public pour être performant. Le numéro 10 fait partie de ceux qui ont conquis le coeur des supporters, dans ce profil imprévisible et flamboyant dépeint par Junior Edmilson. Avec son déclin, le départ du Belgo-Brésilien et celui d’un Paul-José Mpoku dont l’impact dans le jeu diminuait, mais qui était toujours capable de faire la différence en un coup franc ou un coup de reins, Sclessin est toujours à la recherche des héritiers capables d’assumer ces moments de folie. Chacun dans leur registre, Abdoul Tapsoba ou Denis Dragus en ont le profil, alors que les états de service passés d’ Aron Dønnum laissent de l’espoir de le voir embraser les travées quand il se sera adapté au football belge. En attendant, Luka Elsner et son staff doivent composer avec une réalité bien différente de celle des grandes années: celle d’un Standard qui est capable de se faire rejoindre au tableau d’affichage à domicile quand il mène encore 2-0 au bout du temps réglementaire.

29% DES POINTS
Cette saison, un seul des sept matches disputés sur la pelouse de Sclessin s’est soldé par une victoire. Les Liégeois ont pris plus du double de points en déplacement par rapport à leur bilan à domicile, aux antipodes d’une maladie du voyage que ne manquait jamais de diagnostiquer Michel Preud’homme lors de son deuxième passage sur le banc rouche.
D’emblée, comme son prédécesseur, le nouveau coach franco-slovène a donc parlé de « sublimer l’enceinte du stade avec des supporters qui, dès que ça commence à chauffer sur le but adverse, redoublent de force et d’énergie », d’un « club qui véhicule des émotions qu’on ne vit pas ailleurs », et de « tout donner pour retrouver des ambitions et le plaisir de venir au stade ». Des objectifs pas encore franchement atteints, notamment dans la foulée d’un partage sans grande saveur contre un Courtrai pourtant loin d’être impressionnant. En interne, on entend que la tâche de redresser le noyau est plus difficile que prévu, après des mois compliqués à gérer sur le plan mental pour un groupe encore très jeune et quelque peu déboussolé tactiquement.
La mission reconquête de Sclessin reprendra après la trêve internationale, avec la visite des Pandas eupenois en perte de vitesse mais toujours galvanisés par la visite chez leur grand voisin et désireux d’accrocher un premier succès en bords de Meuse depuis onze ans. Avec l’espoir, dans le chef des décideurs liégeois, de trouver des tribunes moins clairsemées que lors des deux dernières sorties à domicile, restées loin de la barre des 20.000 spectateurs. Restera alors à savoir si l’enfer se mesure au nombre de braises, ou sur la capacité des joueurs à souffler dessus pour attiser à nouveau les flammes de l’enfer.