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Stades de football: pourquoi la Belgique est «un des pires élèves» d’Europe

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’Easi Arena de La Louvière est le premier stade sorti de terre en Belgique depuis plus d’une décennie. Pourtant, les projets ne manquent pas. Alors, pourquoi ça coince?

L’invité d’honneur n’a pas le prestige escompté. Il faut dire que dans ces périodes de préparation où chaque effort se calcule aujourd’hui au millimètre près, les «Head of Performance» font souvent la moue quand on leur parle d’ajouter un match de gala à leur équation physique. Ce sont donc «seulement» les Luxembourgeois de Differdange qui sont les hôtes de Salvatore Curaba pour inaugurer le nouveau stade de sa RAAL, tout juste promue en première division. Plus de Tivoli, mais une Easi Arena (du nom de l’entreprise créée par l’ancien footballeur du Sporting de Charleroi, sponsor de son enceinte contre un naming de cinq ans) posée à La Louvière, quatre ans seulement après l’annonce du projet. Même si la modestie de l’arène, garnie de 8.000 places, est loin des projets d’ampleur dont rêvent certains depuis de longues années, toute la Belgique du football applaudit en chœur.

Il faut dire que quelques mois plus tôt, quand il était encore CEO de la Fédération belge de football (RBFA) avant d’en être évincé, Piet Vandendriessche était sorti d’une rencontre avec l’UEFA en rappelant la dure réalité des infrastructures nationales. «Un des pires élèves de la classe»: voilà comment les instances européennes dépeignent la Belgique. Associée à l’Allemagne et aux Pays-Bas dans le cadre du projet d’organisation de la Coupe du monde de football féminin en 2027, le pays n’aurait reçu que les affiches les moins attrayantes en raison d’un parc de stades éculé en comparaison avec les enceintes allemandes et néerlandaises. Sans compter que l’UEFA a toujours en travers de la gorge la réorganisation tardive de son Euro 2020. Si le report d’un an pour cause de crise sanitaire avait fini par détourner l’attention de ce contretemps, la grande fête européenne imaginée en son temps par Michel Platini n’avait pas pu s’ouvrir comme prévu à Bruxelles, capitale continentale. Le projet d’Eurostadium était certes sorti de quelques réunions, mais jamais de terre, ne laissant au pays que son défraîchi stade Roi Baudouin comme stade doté d’une affluence suffisante pour entrer en ligne de compte.

Au-delà des supporters des Loups, c’est donc un peu tout le football belge qui fait la fête ce samedi 28 juin 2025, illuminé par un spectacle de Franco Dragone en marge de la double affiche sportive, les féminines de la RAAL ayant également affronté celles d’Anderlecht. Parce que l’Easi Arena est le premier stade d’un club de football professionnel à sortir entièrement de terre depuis la Ghelamco Arena (devenue Planet Group Arena) de Gand, dont l’inauguration remonte déjà à 2013. Avant cela, il faut remonter à trois décennies pour trouver la trace d’une nouvelle arène footballistique en Belgique. Quand on sait que l’Euro 2000, co-organisé avec les Pays-Bas au tournant du millénaire, est passé par là, le contraste avec les pays voisins interpelle.

Les stades au menu de Mannaert

Vincent Mannaert ne disait pas autre chose à la presse sportive nationale, une journée plus tôt, à l’heure de présenter les détails de son masterplan pour la modernisation du football belge. Un plan en cinq volets, l’un d’eux concernant la problématique des infrastructures. «Je suis bien placé, avec l’enlisement du dossier du futur stade de Bruges, pour mesurer combien il est difficile de faire sortir de terre une enceinte digne de ce nom en Belgique», souligne le sports director de la Fédération.

Ancien CEO du Club de Bruges, Mannaert a effectivement suivi de près le chemin de croix du président Bart Verhaeghe, lancé depuis son arrivée en 2011 dans un projet de stade qui n’a pas encore abouti. Il pourrait parler de ses galères avec Mehdi Bayat, homme fort du Sporting de Charleroi qui a annoncé au début de l’automne 2019 sa volonté d’investir la future Zebrarena à l’horizon 2024. La présentation du projet, initialement espéré pour 2023, avait déjà été repoussée suite à de longs palabres avec les autorités communales. Un an après l’échéance initialement fixée, le site de Mont-sur-Marchienne n’a pas encore accueilli la pose de la première pierre du futur stade carolo. Il n’y a pas beaucoup plus d’évolution à Anderlecht, où le déménagement du Lotto Park est un serpent de mer récemment émergé par le président Wouter Vandenhaute, ni à l’Union Saint-Gilloise, où l’idée d’un stade sur le site du Bempt à Forest reste confinée à des plans d’architecte.

Vincent Mannaert connaît à merveille les dénominateurs communs de ces projets qui s’enlisent: l’argent et les débats politiques. C’est ainsi qu’en vue de l’année 2030, il espère pouvoir mettre en place un fonds d’investissement destiné à soutenir les projets, ainsi qu’une relation avec les pouvoirs publics qui simplifiera les lourdes procédures d’autorisation. Car quand l’argent et la volonté politique sont rassemblés à table, tout peut aller très vite: l’ascension supersonique de l’Antwerp de Paul Gheysens –patron de Ghelamco qui avait donc bâti le stade de Gand– avait ainsi été accompagnée d’une impressionnante rénovation des tribunes d’un Bosuil décrépi, grâce au soutien du bourgmestre Bart De Wever. Ce dernier est pourtant loin d’être un amateur de football, mais aime trop l’histoire antique pour ne pas connaître les vertus du panem et circenses («du pain et des jeux»).

Déjà lors de son chantier gantois, ce sont les pouvoirs locaux qui avaient poussé Paul Gheysens dans le dos. Alors bourgmestre de Gand et ardent défenseur du projet, Daniël Termont, avait lui-même sollicité le magnat de la construction pour lui proposer les clés des travaux. Le poids des bourgmestres influents n’est pas à négliger, et les dirigeants de club ont tout intérêt à aller dans le sens des influences politiques. S’il voulait initialement installer sa Zebrarena en bord de E42, potentiellement à Gosselies, Mehdi Bayat a ainsi changé d’avis quand Paul Magnette (ex-bourgmestre de Charleroi) l’a incité à se rediriger vers un site abandonné de Mont-sur-Marchienne pour redynamiser ce quartier du grand Charleroi. Cela faisait déjà quelques millions de moins à prendre en charge pour l’aménagement des alentours, notamment des indispensables parkings.

Des stades de football, mais pas que

L’aide locale est précieuse, parce que les projets coûtent forcément cher. Pour ses 8.000 places, l’Easi Arena n’a coûté «que» seize millions d’euros, mais le président Salvatore Curaba a dû les sortir lui-même après avoir sollicité en vain les banques belges. La Ville a donné un coup de main chiffré à quatre millions pour l’aménagement des abords de l’enceinte, mais le club devait toutefois avoir un patron aux reins solides pour honorer l’addition. Chez le voisin carolo, les chiffres sont au moins multipliés par quatre, suite à une facture revue à la hausse dans la foulée de la crise sanitaire puis du conflit russo-ukrainien qui a fait décoller le prix des matériaux. Là aussi, des partenaires privés sont indispensables, et les excellentes relations entre Mehdi Bayat et Marc Raisière, le patron de Belfius, sont très probablement un atout précieux sur le chemin de l’édification de la Zebrarena.

Plus qu’un stade, cette dernière doit devenir «le temple du spectacle en Wallonie». C’est le nouveau refrain préféré du patron du Sporting de Charleroi, homme de slogans autant que de projets. Un équivalent du Sportpaleis anversois qui doit surtout permettre au stade d’être rentabilisé plus d’une vingtaine de fois sur l’année, sans uniquement dépendre des revenus de la billetterie sportive. Mehdi Bayat a ainsi calculé qu’un remplissage de son stade à 60% des 20.000 places prévues suffirait à dégager un bénéfice net de quatre à cinq millions par an pour ses Zèbres. Les concerts ou autres événements feraient en sorte qu’en-dehors des prestations des joueurs carolos, l’enceinte soit autre chose qu’un géant endormi.

«L’objectif c’est qu’un mauvais match ne devienne pas systématiquement un mauvais moment.»

C’est l’un des chevaux de bataille de ceux qui ruminent un projet de stade: en faire un lieu multifonctionnel, à l’image de ce qu’avait déjà imaginé l’homme d’affaires flamand Roland Duchâtelet lors de la modernisation du Stayen de Saint-Trond. Dans ses couloirs, le stade héberge ainsi un supermarché, une salle de sport, un hôtel, un restaurant ou encore des bureaux, pour en faire un lieu central de la vie de cette ville du Limbourg. D’emblée, il était même possible de louer la pelouse synthétique pour y disputer un match entre amis, se retrouvant ainsi dans la peau de professionnels contre quelques centaines d’euros. Le revêtement artificiel est également de mise à l’Easi Arena de la RAAL, afin que le stade serve aussi de centre d’entraînement aux équipes masculine et féminine sans porter préjudice à la qualité d’une pelouse naturelle trop souvent sollicitée. Une preuve supplémentaire que pour pouvoir exister, un nouveau stade doit surtout être un endroit rentable. Même si le fonds imaginé par Vincent Mannaert doit permettre de rassembler des sommes suffisantes pour soutenir les projets, il faudra évidemment que ceux-ci ne soient pas des gouffres financiers pour que l’équation tienne la route.

L’expérience du supporter

Parce que le football reste le core-business de ces stades que de nombreux clubs du pays espèrent voir pousser dans les prochaines années, l’objectif majeur d’une nouvelle enceinte est d’améliorer la fameuse fan experience. Loin de la réalité parfois vétuste de certains stades anciens, le confort des sièges, la vue sur la pelouse pour chacun d’entre eux, l’accès aux buvettes et la connexion internet font désormais partie des priorités des concepteurs.

L’objectif, glisse un dirigeant de club, c’est qu’un mauvais match ne devienne pas systématiquement un mauvais moment. Que les émotions positives venues du terrain, par définition imprévisibles, ne soient pas indispensables pour que la soirée soit réussie. Tous les patrons de clubs vous diront d’ailleurs qu’un nouveau stade attire inévitablement un nouveau public, et que l’enjeu est de mettre ce dernier dans des conditions qui lui donneront envie de revenir.

Fidéliser est la clé. Salvatore Curaba rêve déjà d’un stade louviérois entièrement rempli d’abonnés, histoire d’avoir des certitudes sur l’apport financier et d’éviter l’angoisse visuelle et pécuniaire de trop nombreux sièges vides. Son Easi Arena ne peut qu’être une réussite, à l’image de son projet. Celui qui se pare éternellement d’optimisme, comme au moment de relativiser l’absence de sparring-partner de marque pour ses Loups à l’inauguration de l’enceinte. «La star, ce sera le stade», avait glissé le président. Chez ses concurrents, beaucoup se contenteraient effectivement de la visite d’un club luxembourgeois en échange d’une arène toute neuve.

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