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RL9 et le chemin vers la gloire

Robert Lewandowski a consacré son examen de fin d’études à lui-même. Plongée dans la vie d’un footballeur qui se mue en légende et va probablement devenir le meilleur numéro neuf de tous les temps.

Malheureusement, Der BomberGerd Müller souffre de la maladie d’Alzheimer et n’est plus en mesure de répondre mais il aurait été intéressant de poser cette question au meilleur buteur de tous les temps du Bayern (508 buts, toutes compétitions confondues) et de Bundesliga (365 goals) : qui est le meilleur avant de l’histoire du Bayern ? Gerd Müller ou Robert Lewandowski, qui a déjà inscrit 214buts pour le Bayern, sur tous les fronts, et ne doit plus en marquer que trois pour rattraper Karl-Heinz Rummenigge ?

En action avec le Borussia Dortmund face à l'Olympiacos.
En action avec le Borussia Dortmund face à l’Olympiacos.© belgaimage

Selon les statistiques, c’est toujours le légendaire Allemand mais en réalité ? N’est-ce pas le Polonais, qui court trois fois plus durant un match que Müller de son temps mais qui se produit depuis beaucoup moins longtemps pour le porte-drapeau de la Bavière ? Müller a porté le maillot du Bayern de 1964 à 1979 et a donc eu quinze ans pour atteindre son total. Lewandowski (31 ans) n’y joue que depuis 2014.

Le parcours du Polonais n’est-il donc pas plus impressionnant ? Miroslav Klose, d’origine polonaise, meilleur réalisateur en Coupe du monde avec seize buts pour l’Allemagne, entraîne actuellement les U17 du Bayern. La semaine passée, il a tenu les propos suivants à France Football :  » Lewandowski a un style similaire au mien mais il est dix fois meilleur que moi à l’époque. Robert est complet : il excelle des deux pieds, il est habile dans les airs et terriblement efficace.  »

On ne pourra déterminer qui a été le meilleur buteur du Bayern que dans quelques années, quand le Polonais quittera le Rekordmeister. On saura alors où il en est dans sa chasse aux records de son légendaire prédécesseur. Lequel en détient quelques-uns. Durant la saison 1971-1972, Müller a inscrit 40 buts en Bundesliga. Karl-Heinz Rummenigge a toujours cru ce record inaccessible.

Chasse aux records

Cette saison, en douze matches, Lewandowski a déjà trouvé le chemin des filets à seize reprises. Qui sait… du moins s’il reste en bonne forme car il doit bientôt être opéré de l’aine. Il avait l’intention de se soumettre à l’intervention cet automne, puisque la Pologne est qualifiée pour l’EURO et que le Bayern est assuré d’accéder au tour suivant de Ligue des Champions, mais elle a été reportée à la trêve hivernale, afin qu’il ne rate quasi aucun match. Pour tenter de battre le record ?

Quelques autres records peuvent tomber cette année ou la suivante. Dans les statistiques globales de la Bundesliga, donc en additionnant ses buts pour le Borussia Dortmund et le Bayern, Lewandowski est quatrième au classement des buteurs avec 218 goals. Jupp Heynckes le précède avec 220 et va certainement être dépassé. La proie suivante sera sans doute pour la saison prochaine, voire dans deux ans : Klaus Fischer est deuxième avec 268.

Lewandowski va rester au Bayern, c’est certain. En 2018, le club a refusé de le transférer quand Pini Zahavi semblait vouloir le caser au Real Madrid et son contrat a été prolongé jusqu’en 2023. Salaire annuel brut : 22 millions. Plus une série de contrats commerciaux. Comme CR7, RL9 est une marque solide, en Pologne comme en Allemagne.

Nike, Huawei, Opel, EA Sports, Oshee et Covergirl (cosmétiques) ont fait appel à lui pour des campagnes publicitaires. Pendant les tournois, ça lui rapporte l’équivalent d’un demi-salaire annuel brut, voire plus. Lewandowski est notamment actionnaire de Protos Venture Capital, qui soutient des start-ups et est actif dans l’e-commerce et les sites web. Il est propriétaire de Stor9, une agence de marketing.

Son coûteux penthouse à Varsovie n’est qu’un des nombreux investissements de son entreprise immobilière LG Investments. À l’intention de ceux qui souhaitent le visiter, l’immeuble s’appelle Zlota 44, il a été conçu par l’architecte américain d’origine polonaise Daniel Libeskind et c’est le plus haut de la capitale polonaise, la ville où tout a commencé pour Robert le 21 août 1988, à la maternité. Dans des conditions bien différentes.

De 2008 à 2010, Robert Lewandowski a défendu les couleurs de Lech Poznan.
De 2008 à 2010, Robert Lewandowski a défendu les couleurs de Lech Poznan.© belgaimage

Barré par Mikel Arruabarrena…

On sait qu’il a hérité de bons gènes sportifs. Son père Krzysztof a été un champion de judo et a aussi joué au football pour Hutnik, un club de D2 de Varsovie. Sa mère Iwona jouait au volley-ball, imitée plus tard par sa fille Milena, la soeur aînée de Robert. Milena a été sélectionnée en U21 polonais.

Le petit Robert s’est donc rapidement adonné au sport, sans qu’on puisse lui prédire immédiatement une grande carrière. Son père rêve de le voir jouer au Legia Varsovie mais Robert, qui a intégré les réserves, n’impressionne guère la direction du club, d’autant qu’il est freiné par une blessure.

Un moment donné, Franciszek Smuda, l’ancien entraîneur de la plupart des grandes équipes polonaises, un fin connaisseur donc, va le voir, sur le conseil d’un scout. Il lui dit ensuite :  » Il ne m’a fallu que quinze minutes pour le savoir. Je crains de ne pas être impressionné. Tu vas me rembourser l’essence que j’ai dépensé. Quand j’ai envie de voir un arbre, je vais dans les bois.  »

Le directeur sportif du Legia, Miroslaw Trzeciak, sera souvent confronté à sa déclaration. Son jugement sur Lewandowski ?  » Nous n’avons pas vraiment besoin de lui. Le Legia a déjà Mikel Arruabarrena.  » Nous avons dû chercher ses références. C’est un Basque. Ses statistiques au Legia ? Dix matches, zéro but.

Robert Lewandowski, qui occupe ses loisirs à réparer des moteurs pour les revendre, avait certainement de bons gènes mais ils ne l’ont pas conduit directement parmi l’élite. Sa carrière a emprunté des chemins de traverse, comme sa vie.

…et un volcan

Il n’a que seize ans quand il devient l’homme de la famille : Krzysztof décède d’un cancer. Il doit devenir adulte plus vite que prévu. Il habite déjà à Varsovie chez sa soeur Milena et il n’est donc pas présent quand son père est terrassé par une crise cardiaque, en pleine nuit. Robert essaie de percer au Legia mais faute d’obtenir une place en équipe première, il est contraint d’effectuer un pas en arrière, en D3.

Il aide Znicz Pruszkow à monter. La saison suivante, il est sacré meilleur buteur de D2 et son manager, Cezary Kucharski, propose ses services au Sporting Gijon, qui vient d’être promu en Liga. Mais Gijon ne lui trouve rien de particulier et le remballe. Lech Poznan n’est pas de cet avis. Il y marque de nombreux buts et l’équipe est sacrée championne en 2010, à la surprise générale.

Son management estime venu le moment de franchir une nouvelle étape. Il sillonne l’Europe, avec des vidéos, et débarque à Blackburn. Sam Allardyce décèle le talent de Lewandowski et lui propose un contrat. Mais alors que la troupe s’apprête à monter dans l’avion à destination de Manchester, le volcan islandais Eyjafjallajökull entre en éruption et paralyse tout trafic aérien. Le deal est annulé.

Cet été-là, Allardyce jette son dévolu sur Benjani, Roque Santa Cruz et Mame Diouf, des Boys from Manchester qui n’ont pas besoin d’avion. Lewandowski rejoint le Borussia Dortmund. Il n’est pas nécessaire de prendre l’avion pour s’y rendre. Le reste appartient à l’histoire. Allemande. Pas espagnole ni anglaise.

Chancentod

Son ascension n’est pas non plus directe à Dortmund, sous la direction de Jürgen Klopp et malgré le soutien de compatriotes. Ici aussi, Lewandowski éclot sur le tard. On le surnomme Chancentod (littéralement : la mort des chances). Durant sa première saison, il entre de temps en temps au jeu mais se distingue surtout par les occasions qu’il rate.

Klopp, un maître ès communication, ne parvient pas à toucher l’avant polonais, qui reste trop dans son cocon et ne s’intègre pas, restant collé à ses coéquipiers Jakub Blaszczykowski et Lukasz Piszczek. Il s’exprime mal en allemand. Les journalistes qui l’interviewent n’obtiennent pour réponses que des  » oui  » ou  » non « , à moins qu’il ne se contente de hausser les épaules.

Il ne perce que durant sa deuxième saison, quand il maîtrise mieux l’allemand et que la concurrence est moins rude. Ses interviews s’améliorent aussi. La presse allemande ne l’aide pas. Elle veut à tout prix qualifier Robert et sa femme Anna, une karateka, de Beckham polonais.

Certes, ils sont tous deux sportifs, ils sont beaux et Anna a sa propre carrière car après avoir arrêté le karaté, elle publie des livres sur l’alimentation et la vie saine et diffuse des séquences de fitness. Mais les comparaisons s’arrêtent là. Robert et Anna sont des bêtes de sport et des catholiques dévots, qui ne boivent pas et sortent très peu.

Ils se marient religieusement en 2013 et Robert Lewandowski est fou de joie quand il peut rencontrer le pape. Avant les matches importants, il se rend à l’église pour demander l’aide de dieu.

The body

Dieu lui est favorable, à Dortmund. Le joker devient titulaire, Chancentod se mue en killer. Dortmund est champion pour la deuxième saison d’affilée et cette fois, Lewandowski a une large part dans le titre. On ne parle plus de Lucas Barrios, qui l’avait maintenu sur le banc la première saison mais est revenu blessé de la Copa América.

Lewandowski met à profit cette blessure pour devenir le numéro un de l’attaque. Il est titularisé à chaque match jusqu’à Noël et inscrit 22 buts sur l’ensemble de la saison. Il s’est intégré.

Nuri Sahin lui trouve un autre surnom : The Body. L’international turc est impressionné par le physique de son coéquipier.  » Ce corps ? Du muscle « , déclare-t-il. Tous les joueurs partagent ce sentiment. L’attaquant travaille au fitness deux ou trois fois par semaine pour tenter de retirer encore plus de son corps. Il surveille également son alimentation.

The Body a encore un autre surnom : Emil. Son succès a fait de Robert lewandowski un personnage public, une célébrité. Ça comporte des avantages mais aussi des inconvénients. Il est difficile de réserver une table au restaurant sous son vrai nom. Donc, depuis des années, Robert Lewandowski se fait passer pour Emil. Ses compagnons de table l’appellent Emil.

Lewandowski a expliqué la situation au Guardian :  » Ce n’est pas fréquent mais quand nous sommes à table, en train de rire, le ton monte. Les gens nous écoutent ou interviennent. Pour éviter tout problème, j’ai recours à cet alter ego. Emil attire moins l’attention. Les gens me voient, pensent que c’est Robert Lewandowski mais à force d’entendre les autres m’appeler Emil, ils commencent à douter. Et s’ils me posent la question, je réponds que je suis Emil, pas Robert, que nous nous ressemblons, sans plus.  »

Diviser pour régner

Histoire d’éviter tout problème, il a un garde du corps personnel, Marcin Kulczyk, un ami de jeunesse. Lewandowski aime à s’entourer de ses anciens copains, auxquels il peut faire pleine confiance. Marcin est surtout chargé de le protéger des supporters d’autres équipes ou de personnes trop insistantes lors de manifestations publiques.

Il semblait logique que le Bayern le transfère, en 2014, après trois belles saisons à Dortmund. Pourtant, la reconstruction qu’a opérée le magazine Der Spiegel révèle que c’est tout le contraire. Dortmund, qui est alors un ténor européen, porte son héros aux nues et ne veut pas l’offrir à son rival.

Selon Der Spiegel, Uli Hoeness demande à Christian Nerlinger, alors directeur sportif du Bayern, de suivre Lewandowski dès 2012. Hoeness pense que l’avant, doté d’une fantastique force mentale, conviendrait bien à son équipe.

Quand Nerlinger perd son emploi, son successeur, Matthias Sammer, est chargé de la suite de la mission. C’est délicat car le club bavarois a déjà piqué un as à son concurrent : Mario Götze. En outre, Sammer a un passé au Westfalenstadion, comme joueur et comme entraîneur. Mais le Bayern veut à tout prix retrouver son rang de numéro un absolu. Il doit donc affaiblir son concurrent.

En mars 2013, le management de Lewandowski prend contact avec Michael Zorc, le responsable sportif de Dortmund. Ce management est composé de deux personnes : Cezary Kucharski, qui avait déjà tenté de le caser à Gijon, et Maik Barthel, d’ Eurosportsmanagement.

Les deux hommes ont conclu un accord avec l’avant lors de son transfert au Borussia. Ils cèdent leur commission sur ce deal à condition de toujours pouvoir négocier avec d’autres équipes en son nom.

Enfin au Bayern

C’est ce que fait Barthel et en mars 2013, il doit déjà avoir les contours d’un accord avec le Bayern, pense Der Spiegel, puisque Barthel annonce à Zorc que son client ne prolongera pas son contrat, qui arrive à terme en 2014. L’intérêt du Bayern n’a pas échappé à Dortmund et pour grappiller une partie de l’indemnité de transfert, s’il ne resigne pas, Lewandowski peut partir gratuitement, les patrons du Borussia déclarent qu’ils veulent bien discuter d’un transfert au Bayern en 2013, contre 25 millions.

Deux jours plus tard, la proposition est couchée sur papier, avec une condition : il faut un accord avant le 15 mai. Détail embêtant : le 25 mai, la finale de Ligue des Champions oppose le Borussia Dortmund au Bayern Munich. Il se pourrait donc que l’avant doive marquer contre son nouvel employeur.

Le transfert ne se fait pas. Du moins pas en 2013. Les négociations se prolongent au-delà de la date fixée. Le Bayern enlève la finale 2-1 et en juin, Zorc prévient Barthel avant de publier un communiqué officiel : Lewandowski doit rester à Dortmund. Le manager avale son café de travers et traite les dirigeants de Dortmund de menteurs. C’est délicat car le bureau de Barthel défend également les intérêts de Jürgen Klopp, l’entraîneur qui a valu ses succès au Borussia.

Le joueur, qui a déjà fait ses valises, s’incline. Il loue une nouvelle maison, s’installe le temps d’une saison et affirme  » aimer le club et ses supporters « . En automne, Dortmund tente de le séduire avec un nouveau contrat à la hausse, en vain. En novembre, Lewandowski confirme ce que tout le monde sait déjà : il a un préaccord avec le Bayern. Il signe cet accord, un contrat de cinq ans, le 3 janvier 2014.

Quelques mois plus tard, en mai, les deux clubs s’affrontent encore dans une finale, celle de la coupe d’Allemagne, cette fois. Dortmund la perd encore, 2-0. Quelques semaines plus tard, le 9 juillet 2014, le Bayern présente son nouvel attaquant. Celui-ci part alors à l’assaut du record de Gerd Müller.

RL9 et son épouse Anna. Ils se défendent d'être les Beckham polonais.
RL9 et son épouse Anna. Ils se défendent d’être les Beckham polonais.© belgaimage

Des repas inversés

Robert Lewandowski, qui possède une collection de voitures, aime faire du vélo ou rouler en quad. Quand il le peut, il s’entraîne avec sa femme Anna, avec laquelle il a déjà une petite fille et qui accouchera en avril d’un deuxième enfant.

Son compte en banque étant bien approvisionné, il ne doit plus se déplacer dans un centre de fitness : il en possède un chez lui. Anna lui dispense des séances ainsi que des conseils diététiques. Ça peut surprendre mais ses coéquipiers du Bayern ne s’en étonnent plus.

Lewandowski a, par exemple, banni le lait de vache et de soja de son régime. Il ne consomme que du lait d’amande, de coco ou de riz au petit-déjeuner. Il s’octroie très rarement des en-cas. Il inverse l’ordre des plats quand il mange au club : d’abord les pâtes puis la viande et la soupe ou une salade à la fin. Le tout sur les conseils d’Anna.

Il affirme se sentir mieux ainsi. La semaine dernière, Lewandowski a confié à Sport Bild qu’il se sentait deux à trois ans plus jeune que son âge biologique, 31 ans. Il peut donc encore jouer un certain temps.

Il y a intérêt s’il veut obtenir son master à la haute école de sport de Varsovie. Lewandowski a déjà obtenu son bac en octobre 2017. Le titre de son travail de fin d’études : RL9 et le chemin vers la gloire. Le sujet : lui-même. On entend déjà les critiques : je peux le faire aussi ! Mais voilà, il faut d’abord marquer !

Car le sujet portait sur le footballeur et la manière dont il était devenu un grand joueur. Pas sur l’homme. Il a suivi la plupart des cours en ligne. Il a mis dix ans à obtenir son graduat, avec un programme individuel. S’il obtient aussi son master, il pourra devenir manager sportif.

Une anecdote : comme tous les autres étudiants, Lewandowski a également dû défendre oralement son travail. Il l’a fait en costume. Ses professeurs, quatre au total, étaient assis de l’autre côté de la table, revêtus du maillot de l’équipe nationale polonaise.

Robert Lewandowski prête son nom à bon nombre de campagnes publicitaires.
Robert Lewandowski prête son nom à bon nombre de campagnes publicitaires.© belgaimage

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