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Rencontre avec Will Still, un phénomène ordinaire: « Je préfère qu’on ne parle pas de moi »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

C’est l’histoire d’un coach qu’on croirait taillé pour gagner au jeu des sept différences, mais qui veut avant tout être traité comme tout le monde. Rencontre avec Will Still, propulsé par le Beerschot dans le livre des records, mais phénomène loin d’être paranormal.

Seuls ceux qui l’ont côtoyé sur un terrain de football pourront vous dire que William Still ne va pas plus vite que les autres. De l’autre côté de la ligne de touche, le Brabançon aux racines anglaises bat tous les records: adjoint au Standard à 22 ans, coach en D1B au Lierse avant même d’avoir soufflé sa vingt-cinquième bougie, et désormais plus jeune entraîneur de l’élite européenne depuis qu’il a succédé à Hernán Losada sur le banc du Beerschot.

Tout ça, Will l’a déjà trop lu, trop entendu. Parce qu’au final, tout ce que demande le nouveau T1 des Rats, c’est d’être jugé comme l’un de ses semblables. De parler de son métier sans parler de son âge. Du jeu de son équipe plutôt que de ses records personnels. Le temps d’une heure d’entretien dans les bureaux du Kiel, on tente de relever le défi.

Le monde du football aime coller des étiquettes. Tu sais qu’après avoir été le plus jeune coach du championnat, on t’a déjà ajouté celle de coach défensif?

WILL STILL: Avant de penser à mon image, j’ai mis la priorité sur le groupe et sur le club. Il y avait un travail à faire, et il fallait que je le fasse. Tout le monde était conscient que défensivement, la tâche était colossale. Quand on dit que je suis un coach défensif, que notre jeu est emmerdant et qu’on a envie de voir un Beerschot qui attaque pour mettre un but de plus que l’adversaire, je suis d’accord avec ça. Mais pour l’instant, si on fait ça, on n’est pas plus efficace devant et on en prend plus derrière. Il faut trouver un nouvel équilibre.

Les gens ont gardé l’image du Beerschot du début de saison, et pas celui des dernières semaines avec Hernán Losada?

STILL: En novembre, quand on était premiers, on a parlé avec Hernán et on s’était dit qu’au moment où nos attaquants allaient arrêter de marquer sur chaque frappe, on allait se retrouver dans une situation compliquée. Notre ressenti, les expected goals: tout montrait que ça allait finir par chuter. D’ailleurs, les derniers résultats avant le départ de Losada n’étaient pas bons, mais les gens avaient gardé l’image du Beerschot attrayant.

Vous n’avez pas assez préparé la chute, en commençant à resolidifier défensivement?

STILL: Hernán ne pense pas souvent défensivement ( Il rit). Et puis, surtout, on jouait énormément. C’était impossible de mettre quelque chose en place qui tenait la route. On a essayé, mais on n’avait jamais vraiment le temps. Aujourd’hui, ça fait presque un mois que je suis coach, et on a joué sept matches sur ce laps de temps. Tu joues tellement que tu ne t’entraînes presque pas.

« L’équipe qui attaque tout le temps, elle était limitée dans le temps »

L’équipe qu’on voit sur le terrain, ce n’est pas encore celle de Will Still? C’est plus l’urgence du match du lendemain que du travail à long terme?

STILL: Il y a clairement une influence. Il y a mes accents dedans, mais c’est clair qu’on est toujours plutôt dans l’adaptation. Ce que les gens voient sur le terrain pour le moment, c’est ce qui me paraît être le Beerschot le plus apte à prendre des points actuellement. Parce que l’équipe qui attaque tout le temps et met quatorze buts par match, elle était limitée dans le temps. Cela dit, dans l’équipe actuelle, il y a des traits de ce que j’aimerais mettre en place.

Toi, tu penses être un entraîneur défensif?

STILL: Je pense que le plus important, c’est d’avoir un plan très clair dans la tête des joueurs en fonction de ce qu’il se passe sur le terrain. Et puis, être une équipe offensive, ça veut dire quoi? Que tu gardes le ballon pendant six ans et que tu marques un but toutes les deux heures?

Tu comprends pourquoi ça semble si grave dans l’esprit des gens, d’être un coach considéré comme défensif?

STILL: Non. Je me souviens qu’à West Ham, les supporters détestaient Sam Allardyce, parce qu’ils ne voyaient pas de jeu. Mais à côté de ça, il gagnait des matches.

Je pense que tous les coaches du monde voudraient jouer le plus beau football possible, mais tu dois aussi faire avec les qualités de ton groupe et la situation dans laquelle tu es. Mais au fond, je n’ai pas envie de me prendre la tête avec ça, parce que je sais que c’est pour la bonne cause. Cette équipe avait besoin de mieux défendre. À partir de cette base, on pourra construire et franchir une étape.

À terme, comment aimerais-tu voir jouer ton équipe?

STILL: Avec beaucoup d’intensité. Je pense que ce mot, je l’ai déjà utilisé quatorze mille fois ces dernières semaines. Le football moderne, c’est ça. Regarde Mo Salah, j’en parle souvent à mes joueurs. Tu as vu comment il défend? Je crois en l’intensité et en la vitesse de jeu, parce que je pense que c’est vers ça que le football évolue.

« J’ai appris un tas de nouvelles choses en quelques années »

Il y a des coaches qui t’inspirent, pour construire cette idée de jeu?

STILL: Il y a évidemment les exemples que tout le monde pourrait citer. Klopp, pour son énergie et son rapport avec ses joueurs, mais aussi le football qu’il propose. Mourinho et Pep, qui sont intouchables. Et puis, il y a d’autres coaches mois connus. Avec Edward ( son frère aîné, adjoint d’Ivan Leko, ndlr), on regardait beaucoup Slaven Bilic quand il était à West Ham. Tout n’était pas parfait, mais il y avait des choses intéressantes. La méthodologie de travail et la philosophie derrière le projet RedBull, c’est intéressant aussi. Chaque fois que je regarde une équipe, j’essaie d’en retirer quelque chose. Et puis, dans un cercle plus fermé, il y a ceux dont j’ai pu voir le travail.

L’équipe qui est sur le terrain est le reflet de celui qui se tient au bord de la pelouse. »

Yannick Ferrera, notamment. Certains joueurs qui vous ont connus tous les deux disaient que tu étais un peu son clone. C’est toujours le cas aujourd’hui?

STILL: Au Lierse, c’était clairement le cas. C’était mon premier boulot après ma collaboration avec lui et je pense que si tu regardais notre équipe, tu voyais énormément de similitudes avec ce que faisait Yannick à Saint-Trond et au Standard. Mais là, ça fait trois ou quatre ans qu’on n’a plus travaillé ensemble. Et dans ce laps de temps, entre le travail dans un staff et les cours d’entraîneurs, tu rencontres beaucoup de nouvelles personnes et de nouvelles idées. Et tu apprends un tas de nouvelles choses.

C’est en travaillant avec lui que tu t’es dit que le coaching, c’était fait pour toi?

STILL: À Saint-Trond, j’étais analyste, mais j’étais aussi souvent sur le terrain avec les joueurs et le staff. À la fin de la première saison, quand on est champion en D2, Yannick m’a confié des entraînements spécifiques avec certains joueurs, ou groupes de joueurs. C’est là que je me suis dit que c’était vers ça que je voulais aller.

« Avec mes frères, on était sans arrêt occupé avec le foot »

Tu l’avais convaincu grâce à ton oeil pour l’analyse. Comment tu as développé ça?

STILL: Avec mes frères Edward et Nicolas ( analyste vidéo à l’Antwerp, ndlr), on a toujours eu un regard différent. On a été éduqué en anglais dans un contexte francophone, en jouant au foot en flamand. Et puis, on était sans arrêt occupé avec le foot. Si on ne jouait pas un match, on en regardait un, ou on en parlait. Avec Edward, on a fini par prendre un abonnement au Standard pendant un an. On avait seize ou dix-sept ans, on coachait déjà des jeunes, et c’est là qu’on a commencé à regarder le foot différemment, plus dans le détail. On se posait des questions sur le jeu, sur comment on ferait telle ou telle chose.

Cet oeil d’analyste, il te sert encore aujourd’hui comme coach? C’est encore toi qui te charges des analyses de l’adversaire, par exemple?

STILL: On a un analyste vidéo, mais la présentation de l’adversaire, c’est un truc que j’ai toujours fait. Parce que j’adore le faire, et parce que je pense qu’au fur et à mesure des années, je le fais plutôt bien. C’est juste un truc qui m’intéresse. J’aime bien regarder l’adversaire, savoir ce qu’il va faire, savoir ce qu’on va mettre en place pour être dangereux.

Tu cherches quoi, quand tu regardes un adversaire?

STILL: Par exemple, on vient d’affronter Malines, et on sait qu’ils construisent à deux, avec une position assez basse des deux latéraux. Je m’étais dit qu’on allait mettre la pression d’une certaine manière, pour les forcer à faire quelque chose qu’ils n’ont pas envie de faire. Ça ne marchera pas à chaque fois, mais avec notre position plus haute sur le terrain, on a su apporter quelque chose. C’est surtout ces petits détails-là. On joue à cinq derrière, ils ont une double occupation des flancs, qui va sortir sur le latéral s’il a le ballon? Dans les deux matches, on l’a fait de façon complètement différente.

Will Still:
Will Still: « Mettre un costard ou une chemise, ça ne me correspond pas. »© BELGAIMAGE

Tout ça, tu le travailles seulement en vidéo, ou c’est aussi un boulot sur le terrain?

STILL: La théorie pure, c’est impossible. C’est d’ailleurs pour ça qu’actuellement, le résultat du travail n’est pas aussi bon qu’il aurait pu l’être, parce que c’est quelque chose qui se met en place. Tu le fais à l’entraînement, tu répètes, tu analyses ce que tu as fait à l’entraînement avec la vidéo, tu le montres aux joueurs, tu re-répètes… C’est un circuit constant.

Et chronophage…

STILL: C’est un travail qui dure, et comme on est en train de recréer quelque chose en termes d’identité de jeu en parallèle, c’est difficile de se concentrer à la fois sur soi-même, et de savoir ce que l’adversaire va faire, tout en gérant les moments de transition et le fait d’être attentif sur les phases arrêtées… C’est toute une série de choses qu’on doit mettre en place, et les gens ne se rendent pas compte que ça prend du temps.

« J’ai toujours été très proche des joueurs »

Tu parles de cette gestion du temps. Est-ce que depuis que tu es T1, tu en as moins à consacrer à ton travail que quand tu étais adjoint? Les conférences de presse, les interviewes, c’est une nouveauté dans l’agenda.

STILL: Oui, c’est notamment pour ça que lors des deux premières semaines, j’avais dit que je n’avais pas de temps pour parler à la presse. Et puis, je n’en ai même pas envie. Pas par manque de respect, mais parce que je préfère qu’on parle du Beerschot, de nos matches, de la situation du club… Will Still qui est le plus jeune entraîneur, est-ce qu’il va faire ceci ou cela, blablabla… Je voulais un peu casser cette tempête. Je sais que cette réalité existe, mais je préfère qu’on ne parle pas de moi.

Au Lierse, tu avais un peu trop ouvert la porte aux médias, et tu as été critiqué à cause d’une causerie au vocabulaire parfois inapproprié. Ça t’a fait réfléchir sur ta relation aux médias?

STILL: J’ai beaucoup appris de cet épisode. Sur le fond, mon discours était voulu. Par contre, les mots étaient clairement déplacés, et ils n’auraient jamais dû sortir du vestiaire. Suite à ça, les gens ont cette image d’un Will Still un peu fou, mal éduqué, qui insulte ses joueurs. Je ne crois pas que ce soit le cas. Par contre, on était dernier avant ce match, et il fallait secouer l’arbre pour faire tomber quelques pommes. Je le répète, les mots étaient mal choisis, mais le fond de ce que je voulais transmettre à mes joueurs, il était bien là et bien réfléchi.

Une causerie dans le vestiaire, ça se prépare ou ça s’improvise?

STILL: Préparer, non. Absolument pas. J’ai une idée de ce que je vais dire, que ce soit avant un entraînement, la présentation d’un adversaire ou le jour du match, mais rien n’est écrit. Par contre, j’ai un cadre, dans lequel je me situe avant de prendre la parole, et je sais dans quelle direction je peux pousser. C’est préparé sans l’être.

On dit que cet aspect mental, c’est un de tes gros points forts. Que tu parviens à vraiment toucher les joueurs.

STILL: Par mon rôle d’adjoint, mais aussi par mon âge, j’ai toujours été très proche des joueurs. J’ai cette facilité à communiquer avec eux, tout simplement parce que je les considère comme vous et moi. Depuis l’extérieur, tout le monde a l’image du footballeur bien payé, un peu bête, qui s’en fout du monde qui l’entoure. Il n’y a rien de plus faux que ça. Ce sont des gens normaux, qui ont souvent une famille. Et comme toi et moi, ils ont des jours où ils sont moins bien dans la tête. Avec le Covid, tout le monde qui les regarde parce que c’est le dernier sport qui se joue, les retours sont décuplés après un moins bon match. Quand tu prestes moins bien pendant quelques matches, tout le monde commence à dire: « C’était peut-être de la chance, tu n’es peut-être pas aussi bon que ça ». Tout ça, ça fait une tornade dans la tête d’un joueur. Il faut essayer de la calmer.

Je crois en l’intensité et en la vitesse de jeu, parce que je pense que c’est vers ça que le football évolue.

Avec un discours adapté à chacun?

STILL: Je ne passe forcément pas le même message à Frans ou à Coulibaly. Par contre, j’essaie que le message collectif transmis au groupe soit quelque chose dans lequel tout le monde peut se retrouver. Il faut que chacun s’identifie à une valeur qui lui permettra de se sentir bien, et donc d’être performant.

C’est pour ça que c’est aussi important pour un coach d’être au bord du terrain? Parce que là aussi, tu transmets des messages à tes joueurs malgré la distance, le bruit et tout le reste?

STILL: Je crois vraiment que l’équipe qui est sur le terrain est le reflet de celui qui se tient au bord de la pelouse. C’est pour ça que je suis conscient du langage corporel et de l’énergie que je dégage. Je me dis que si tu dégages quelque chose de positif, quelque chose de positif t’arrivera. L’idée de jeu, le plan, c’est toi qui l’as mis en place. Donc, quand les joueurs sont en difficulté par rapport à ça, c’est toi qu’ils regardent. Pour moi, c’est important d’être debout, près du terrain pour ça. Pour leur montrer que je suis là, avec eux. Qu’ils peuvent compter sur moi.

Le langage corporel, c’est aussi une question de détails?

STILL: Je te donne un exemple: on va à Zulte Waregem, et les gens me demandent comment je vais m’habiller. Bah avec mon pull du Beerschot, mes baskets… Limite, je mettrais mes chaussures de foot. Mettre un costard ou une chemise, ça ne me correspond pas. En fait, je ne m’étais même pas posé la question. Ça me semblait naturel: un match de foot, c’est un combat que tu dois gagner, tu mets ton bleu de travail. Je donne entraînement comme ça, je suis au club tous les jours comme ça. C’était logique pour moi, et je crois que c’est le plus important. Pour transmettre quelque chose, tu dois d’abord te sentir bien.

Will Still:
Will Still: « Un match de foot, c’est un combat que tu dois gagner. »© KOEN BAUTERS

« Je n’ai pas envie d’être différent »

Tu sens dans le regard des gens que tu es un peu un OVNI dans une caste très fermée?

WILL STILL: Je sens que c’est devenu un sujet de discussion. Je vois dans certains regards qu’on se pose des questions. Mais pour être totalement honnête, je m’en fous complètement. Je n’ai pas envie d’être différent, je suis juste là pour essayer de faire gagner le Beerschot, tout en ayant énormément de respect pour les autres entraîneurs de D1.

Il y a une certaine bienveillance de la part des autres coaches?

STILL: Il y a un mois, on a joué contre Courtrai et Yves Vanderhaeghe m’a dit que je ne devais pas hésiter si j’avais besoin de quelque chose. Dans tous les matches qu’on a joués, je n’ai jamais ressenti de négatif de la part des autres coaches. Je ne sais pas si c’est de la bienveillance, mais je n’ai pas besoin qu’on ait de la pitié pour moi. Je veux juste être respecté pour ce que fait le Beerschot, pas pour la personne que je suis. J’aime autant rester à l’arrière-plan.

Tu ne penses pas qu’un jour tu devras te mettre en avant pour être un peu plus bankable sur le marché des entraîneurs?

STILL: Si, mais là, le fait que je sois le plus jeune coach, ça a déjà fait assez de bruit. Les gens savent qui je suis, et pour l’instant, on parle assez de moi. Je n’ai pas envie que l’attention soit encore plus exagérée, et que les gens ne se focalisent que là-dessus. Je veux qu’ils regardent le Beerschot, pas moi.

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