A la tête des Red Flames pour leur permettre de franchir le cap qui les sépare d’un Mondial ardemment désiré, l’Islandaise Elisabet Gunnarsdóttir s’apprête à vivre son premier gros test cet été à l’Euro 2025.
«Si Elisabet reste quelque temps en Belgique, elle peut créer une hype encore plus grande autour de la sélection et l’emmener à un niveau jamais vu encore. C’est son histoire, elle l’a déjà fait plusieurs fois par le passé.» «Si les jeunes poursuivent cette tendance d’aller à l’étranger pour affronter une concurrence plus féroce, avec « Beta » aux commandes, dans les cinq ans, je pense que la Belgique peut figurer parmi le Top européen.» «Quand j’ai appris que c’était elle qui dirigerait la Belgique, je me suis dit: « C’est le match parfait. » C’est « la » coach idéale pour nous emmener plus loin.»
Au moment de dégainer le téléphone pour évoquer Elisabet Gunnarsdóttir, le constat est implacable pour tout le monde: l’Islandaise de 48 ans, officialisée en janvier dernier par l’Union belge en remplacement d’Ives Serneels, peut réussir quelque chose de grand avec un groupe qui semblait plafonner depuis un petit moment. Et qui court toujours après une première participation à une Coupe du monde, soit précisément l’objectif poursuivi par la Fédération belge depuis une décennie. En attendant un éventuel trip au Brésil en 2027, la Suisse sera le cadre du premier test grandeur nature pour la coach, avec un Euro où les Flames rencontreront l’Italie (le 3 juillet), les championnes du monde espagnoles (le 7 juillet) et le Portugal (le 11 juillet). Du solide.
Ça tombe bien, Gunnarsdóttir, Beta pour les intimes, est plutôt du genre à exploiter le plein potentiel du noyau qu’on lui confie. Que ce soit chez les jeunes ou les adultes, cette entraîneuse-née (elle dirige ses premières équipes d’âge dès ses 16 ans) en impose. Passée une pige douloureusement courte au club islandais IB Vestmannaeyja, où elle devient tout de même la plus jeune entraîneuse de l’histoire à officier au sein de l’élite de son pays, elle débarque après un passage par les U19 de Breidablik à Valur (Reykjavik) à l’âge de 26 ans seulement pour y glaner ses premiers succès. En quelques mois, cette ancienne joueuse aux capacités limitées (de son propre aveu) gratte un titre attendu depuis près de quinze ans par le club. Trois autres et une Coupe suivront. Au bout de cinq saisons passées dans sa ville natale, elle remplit non seulement l’armoire à trophées, mais crée aussi une véritable culture de la gagne à Valur, en plus de ramener des centaines de supporters dans des tribunes désespérément vides à son arrivée, grâce à un jeu plus attractif.
«Elle a bâti des fondations si fortes que depuis son passage, le club est l’un des plus prestigieux clubs féminins du pays, même après son départ, souligne Freyr Alexandersson, successeur de Beta à Valur et ex-T1 de Courtrai (2024). J’ai repris le flambeau quand elle est partie en Suède et j’ai continué à gagner. Mais j’ai capitalisé sur les bases et la culture qu’elle avait instaurées. C’est une pionnière, une gagnante. Elle s’est battue pour ses joueuses, pour le club», surenchérit celui qui fera appel à elle durant son mandat à la tête de la sélection féminine islandaise pour scouter les futures adversaires, preuve du respect mutuel qui les unit.
«Beta a été bien plus qu’une coach, elle a façonné le club et l’a amené là où il est aujourd’hui.»
L’ex-Red Flame Tine Schryvers (sept caps) évoque, elle, avec enthousiasme l’héritage laissé dès 2009 à Kristianstads, club du sud de la Suède où elle évolue entre 2017 et 2018, et où Beta travaille pendant… quinze ans, dans la foulée de son quinquennat à Valur. Là-bas, elle transforme cette équipe de bas de classement en place forte du football national et l’emmène même jusqu’en Ligue des championnes deux années d’affilée. Le tout avec un budget moins important que celui de ses concurrentes, la faute à une section féminine qui ne peut compter sur son aile masculine pour gonfler ses caisses. «Nos adversaires avaient peur de nous, rembobine Schryvers, qui se souvient d’une coach à l’aura naturelle, mais aussi méticuleuse à l’extrême, limite control freak. «Absolument tout est scrupuleusement analysé, chaque mouvement des joueuses sur le terrain. On l’a vu lors des récents matchs des Flames: elle a son plan et tout le monde doit le suivre.»
Une rigueur tactique sans aucune zone grise, qui s’accompagne d’une exigence physique de tous les instants. «Mais ça, c’est obligatoire, parce que si quelqu’un ne joue pas le jeu, n’effectue pas ses courses ou néglige son pressing, alors tout le système s’effondre. Chaque course, chaque mouvement compte», ajoute Tine Schryvers, qui se souvient avoir dû charbonner comme rarement à son poste d’attaquante.
Elisabet la pragmatique
Une coach ultraexigeante, donc, mais qui assume parfaitement en bossant comme une dingue pour un sport «qui représente tout» aux yeux de celle qui «se lève tous les matins en ayant la certitude d’exercer le meilleur job du monde». «Elle a un cœur gros comme ça, abonde Lovisa Ström, sa directrice sportive à Kristianstads, dont elle est restée proche. Elle adorait le club et aurait tout fait pour lui. Elle est comme ça, où qu’elle soit. Maintenant qu’elle est en Belgique, elle fera tout pour le pays. Chez nous, elle a été bien plus qu’une coach, elle a façonné le club et l’a amené là où il est aujourd’hui.» Une histoire d’héritage qui se finit bien, pour une fois…
«Beta scanne tout ce qui va se passer tactiquement, la préparation, ou autour de l’équipe dans tous ses aspects, ajoute Freyr Alexandersson. Tout simplement parce qu’elle est totalement impliquée dans le projet qu’elle prend en main et y intègre tout le monde: les joueuses, le staff, la Fédération…» Et bien sûr les supporters, partie prenante d’un tout que Gunnarsdóttir entend sublimer. Sur le sol belge, le premier moment de symbiose avec le public noir-jaune-rouge prend la forme d’un clapping à l’islandaise mené (littéralement) tambour battant par la coach elle-même, au soir d’une victoire de prestige contre la puissante Angleterre (3-2) à Louvain. Difficile de trouver plus belle occasion pour engranger un premier succès avec les Red Flames après trois revers de rang…
Un succès qui porte la «marque Gunnarsdóttir», avec cette capacité à prendre les espaces laissés vacants par les Anglaises et à se montrer efficaces au point de mener 3-0 contre les championnes d’Europe en titre à la demi-heure. Un moment d’autant plus fort que quatre jours plus tôt, les Flames s’étaient éteintes à Bristol face aux mêmes «Lionnesses» (5-0). «On est surtout une équipe de contre. On dispose de beaucoup de joueuses capables de courir dans les espaces laissés dans le dos de la défense, ainsi que d’éléments capables de créer des occasions. C’est une qualité que je veux développer à l’avenir», réagira la principale intéressée au sortir de cette soirée d’avril.
«Elisabet est une pragmatique: elle se prépare tellement bien qu’elle connaît tout de l’adversaire, analyse encore Freyr Alexandersson. Elle sait donc comment exploiter les moindres faiblesses de l’autre équipe. Elle peut jouer un football très offensif, mais aussi être suffisamment intelligente pour jouer différemment face à des grandes nations qui accapareront le ballon. Tout en se montrant chirurgicale dès que ses joueuses ont la balle. Elle lit bien le jeu et ce qu’il se passe sur le terrain.»
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L’amour ouf
Un football plus fluide, mieux structuré, basé sur des reconversions rapides et de l’efficacité devant, telles sont les marques de fabrique des Red Flames version Beta. Des Flames qui ne bénéficient pas seulement d’une tacticienne hors pair mais également d’une coach capable de créer une vraie connexion avec ses joueuses. «Elle est très douée avec les gens, pas uniquement les footballeuses d’ailleurs, mais elle aime que ces dernières se sentent à la maison quand elles sont avec elle, confie Lovisa Ström, qui salue cet équilibre fragile entre fermeté sur le terrain et chaleur humaine à l’extérieur que Beta est parvenue à trouver.
«Elle est superexigeante, mais est aux petits soins et, surtout, elle aime profondément ses joueuses.»
Et la manageuse suédoise de narrer une anecdote qui en dit long sur la trace laissée par son ex-entraîneuse au sein du club: «Pour son tout dernier match chez nous, en 2023, des joueuses qui avaient évolué sous ses ordres dix ans auparavant sont venues exprès pour elle, parfois même d’Islande. C’est la preuve que c’est quelqu’un de bien à tous les niveaux. C’était très émouvant pour tout le monde.»
«La plupart des joueuses qui ont travaillé à ses côtés la tiennent en effet toujours en haute estime, confirme Freyr Alexandersson, à propos d’une femme volontiers qualifiée d’assez drôle par ailleurs… Elle est très directe, superexigeante, mais aux petits soins et, surtout, elle aime profondément ses joueuses. C’est comme ça qu’elle tire le meilleur des gens et leur permet de se développer.» Une philosophie que Gunnarsdóttir elle-même résume comme telle, dans le podcast XPS Hub: «Les joueuses ne sont pas là pour nous, « nous » sommes là pour les joueuses, pour les aider à se développer en tant que footeuses et en tant que personnes.»
Le Brésil en point de mire
Rassembleuse et loyale, sympa mais intransigeante, Elisabet Gunnarsdóttir est donc aussi du genre fidèle, au point de cumuler presque 30 ans dans deux clubs seulement (quinze à Kristianstads entre 2009 et 2023 et avant cela, une dizaine d’années à coacher les jeunes de Valur puis les A entre 2003 et 2008). Pas étonnant quand on sait que son modèle n’est autre que Sir Alex Ferguson et son éternelle idylle avec Manchester United… C’est pourtant bien Chelsea qui avait été séduit en 2024, au moment de devoir trouver un ou une remplaçante à Emma Hayes, entraîneuse à succès partie relever le défi américain avec la sélection US.
Dribblée dans la dernière ligne droite par la Française Sonia Bompastor chez les «Blues», c’est donc finalement vers le projet belge et son «énorme potentiel entre expérience et jeunes prometteuses» que s’est tournée Gunnarsdóttir après une année sabbatique. Tant mieux pour les Red Flames, qui espèrent maintenant que cette architecte aux idées claires et aux ambitions élevées sera celle qui pourra briser le plafond de verre qui s’est trop longtemps mis sur leur route vers le Top 8 européen. Pareil pour la Fédération belge, dont le contrat courant jusqu’en 2027 paraphé par la sélectionneuse laisse peu de place à l’ambiguïté quant à la mission de Beta à Tubize: il faudra être du voyage au Brésil, prochain terrain de jeu mondial féminin. «Elle a besoin de temps, mais qu’on lui en donne et vous verrez…», prédit Tine Schryvers, tel un oracle footballistique. En Ligue des nations, l’Islandaise a en tout cas «fait le job» en s’offrant un barrage au sein d’un groupe très relevé comptant l’Espagne, l’Angleterre et le Portugal, étrillé chez lui à Funchal malgré une entrée en matière compliquée pour les Red Flames (0-3).
Lors de l’Euro qui arrive peut-être un peu tôt dans le processus de construction en cours, tous les espoirs sont pourtant permis de revivre les frissons de 2022, quand la Belgique avait atteint les quarts de finale avant de céder contre la Suède. Voilà qui vaudrait bien un clapping avec Elisabet aux manettes, non?