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Jérémy Doku et les Diables Rouges, une histoire qui prend de plus en plus d’ampleur. © GETTY

Jérémy Doku: les conseils de luxe de Thierry Henry pour en faire une star mondiale

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Jérémy Doku est la pièce majeure du puzzle de Rudi Garcia, bien plus encore que Kevin De Bruyne. Analyse d’une montée en grade.

Leandro Trossard ne regarde même pas. C’est comme s’il savait. Pourtant, le ballon qu’il propulse de toutes ses forces vers le drapeau de corner de la pelouse de Cardiff ressemble à une passe pour… personne. Ça tombe bien: Jérémy Doku court comme personne. L’ailier des Diables appuie sur l’accélérateur, prend le temps d’analyser la situation, et dépose le ballon dans les pieds de Thomas Meunier pour donner l’avantage à la Belgique. Trois jours après avoir fait danser toute la défense macédonienne sans jamais emmener un ballon jusqu’au fond des filets, le dribbleur supersonique de l’équipe nationale est, cette fois, déroutant et décisif. L’occasion de confirmer un statut naissant: celui de premier nom que son sélectionneur couche sur la feuille de match.

Dans ce registre, la Belgique a la chance de pouvoir choisir. Parce qu’un pays qui hésite entre l’organisation rigoureuse de Sergio Conçeição et le jeu de possession de Julen Lopetegui avant de confier son équipe nationale à Rudi Garcia prouve qu’il n’a pas de religion footballistique, et que l’homme qui enfilera le casque de chef de chantier peut choisir sans problème sa façon de mener les travaux. Les Diables ne se refusent rien, et peuvent donc suivre n’importe quel plan tant qu’il les rapproche de la victoire. Très vite, on comprend que celui du sélectionneur français est entre les pieds de Jérémy Doku. Un paradoxe, puisque la relation a commencé par un coup de colère: au mois de mars, pour la première sortie belge de l’ère Garcia, l’ailier de Manchester City est sur le banc. Il n’en décollera pas, malgré une deuxième partie de rencontre face à l’Ukraine qui tourne au fiasco. «J’étais vraiment furieux», admet Doku dans Jérémy, la série qui lui est consacrée sur YouTube, expliquant qu’il reçoit des appels en cascade lui demandant pourquoi il n’a pas joué.

Trois jours passent, et Jérémy Doku retrouve son statut de titulaire au match retour. Il le fête avec une passe décisive, et ne le quitte plus lors des six rencontres de qualifications qui suivent. Comme avec Domenico Tedesco, et donc depuis la retraite d’Eden Hazard, le dribbleur est désormais de ceux qui commencent à chaque fois la rencontre, et ne la terminent hors des lignes blanches que lorsque le score est acquis. Il faut dire que cette fois, les chiffres commencent à s’aligner sur les coups de rein, avec trois buts et autant de passes décisives en sept apparitions sous les ordres de Rudi Garcia. Pas aussi impressionnant que ses 34 dribbles réussis en six rencontres, qui en font évidemment la référence européenne avec une large avance sur la concurrence (son plus proche poursuivant, le Roumain Dennis Man, pointe à 19 dribbles réussis), mais le signe d’une concrétisation de plus en plus fréquente des avantages qu’il génère sur le terrain.

«Il n’y a pas d’ailier plus fort que lui sur les cinq ou dix premiers mètres.»

Doku a changé

Pep Guardiola n’a évidemment pas attendu de voir son ailier faire décoller les compteurs avec son équipe nationale pour saluer son évolution. «Jérémy s’est encore amélioré dans le dernier tiers du terrain, souligne le coach à succès de Manchester City en conférence de presse, dans la foulée d’une prestation d’exception de son Belge contre Burnley. Il commence à mieux lire le jeu, il voit beaucoup mieux les ouvertures.» Une aubaine pour le club de Manchester, qui reconstruit son effectif autour de profils de dribbleurs dynamiques comme Doku, Savinho, ou même Tijjani Reijnders ou Rayan Cherki, transférés cet été pour gonfler la délégation de joueurs samba du noyau Cityzen.

Pour se distinguer dans cette nouvelle jungle de danseurs balle au pied, Jérémy Doku investit dans son évolution sportive. En analysant sa saison écoulée, le Belge et son entourage ont fait le constat que parmi les ailiers d’élite de la Premier League, il était très loin des meilleurs en matière de ballons joués dans la surface adverse. Que son problème pour alimenter le compteur n’était pas tellement la qualité d’exécution du geste, mais plutôt l’absence trop fréquente en zone de finition. Les anciennes connexions de l’équipe nationale ont donc été réactivées: ces derniers mois, Jérémy Doku échange fréquemment avec Thierry Henry, devenu un conseiller de luxe avec son pedrigree d’ancien attaquant, maîtrisant le système Guardiola et très affûté sur les questions tactiques. Le Diable a lui-même vendu la mèche à la suite du match de Ligue des champions contre Dortmund, interrogé par le plateau de CBS où prend toujours place l’ancien buteur français: «Je parle avec une légende, qui m’aide parfois. Tout le monde me dit toujours que je dois être plus décisif, mais Thierry est la première personne à me dire comment faire pour l’être.»

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Après avoir passé un premier cap en revoyant son rythme de vie lors de sa période rennaise, c’est désormais en travaillant son intelligence de jeu que Doku veut franchir l’étape suivante: celle qui le sépare de ceux qui sont décisifs 20 ou 30 fois par saison, lui dont l’exercice 2023-2024 reste le plus prolifique de sa carrière avec sept buts et onze passes décisives.

Le reste est déjà là. C’est Pep Guardiola, encore, qui le dit: «Il n’y a pas d’ailier plus fort que lui sur les cinq ou dix premiers mètres, et il peut partir à gauche ou à droite. Jérémy est une menace incroyable contre les équipes qui sont en bloc bas.» Un atout déjà décelé il y a plus d’un lustre par Vincent Kompany qui, alors interrogé sur son jeu à Anderlecht qui consistait trop souvent à envoyer un long ballon vers un Doku isolé sur le côté gauche, répondait: «S’il bat son opposant à chaque fois, pourquoi changer?»

Le dribble au corps

Si le joyau est rapidement estampillé «made in Neerpede», pour renforcer la crédibilité du centre de formation anderlechtois à l’heure de faire éclore des talents hors norme, difficile d’affirmer que Jérémy Doku a appris énormément de choses à Anderlecht. Les capacités techniques et physiques semblent presque innées, comme le raconte au New York Times Shaun Maloney, qui avait accompagné Roberto Martínez lors de l’Euro des moins de 17 ans, disputé en Irlande au mois de mai 2019: «Le talent a toujours été là chez lui. Il prenait la balle dans sa partie de terrain et dribblait tout le monde sur 60 ou 70 mètres. Aujourd’hui, ses moments de classe mondiale sont juste plus fréquents.»

Confronté au déclin à venir d’Eden Hazard, Roberto Martínez n’hésite d’ailleurs pas à faire de Doku un Diable précoce, quitte à encaisser des critiques face à la promotion rapide d’un diamant encore très brut. En quarts de finale de l’Euro 2021, c’est d’ailleurs la fusée de Borgerhout qui sera choisie comme titulaire pour pallier le forfait de Hazard et affronter l’Italie, au détriment de Yannick Carrasco. «Il était très éloigné de ce qui pourrait se passer dans la tête d’un joueur expérimenté dans le contexte d’un quart de finale, rembobine l’ancien sélectionneur. Il pensait juste à profiter du match, à montrer ce qu’il sait faire. Il ne voyait pas comme un problème ou une source de stress le fait de devoir remplacer un joueur aussi important que notre capitaine. De plus, sa fraîcheur était palpable. On a donc préparé le match à partir des options qu’il nous offrirait en un contre un.»

A 19 ans seulement, Doku quitte la pelouse sans place en demi-finale, mais avec un penalty provoqué, une occasion dangereuse créée et la sensation d’être, plus qu’un De Bruyne diminué ou un Lukaku muselé, la principale source de chaos dans l’organisation défensive italienne. «Jérémy a cette incroyable qualité de créer une occasion là où il n’y en a pas», reprend Roberto Martínez. «En football, on cherche des avantages tactiques pour se créer une occasion mais avec lui, il suffit de lui donner le ballon dans une bonne position. Il créera tout seul l’avantage tactique.»

Quand il démarre, on pourrait entendre les mêmes crissements que sur la grille de départ de Spa-Francorchamps.

La Belgique de Doku

La leçon ne s’applique pas à la Coupe du monde 2022, où sa forme physique est insuffisante pour peser sur le tournoi, mais est retenue par les successeurs de Martínez. Dès son entrée en fonction, Domenico Tedesco décide de miser sur l’impressionnant vivier d’ailiers dont dispose la Belgique en revenant à un système de jeu plus classique, assis sur une défense à quatre. Doku y joue évidemment un rôle en vue, même lors du décevant Euro 2024. Les Diables sont alors insipides, quittent le tournoi dès les huitièmes de finale, au terme d’une défaite sans gloire face à la France, mais Doku boucle la compétition sur le podium des dribbles tentés et réussis, prouvant que son coup de reins est devenu le chemin de prédilection de la Belgique pour se créer des occasions.

Posé devant une défense insuffisante à la relance, le dribbleur de Manchester City devient même la porte de sortie privilégiée de la Belgique quand les adversaires, bien préparés à chatouiller les pieds fragiles de l’arrière-garde diabolique, augmentent la hauteur et l’intensité du pressing. Le problème, c’est que les Diables de Tedesco ont alors tellement besoin de Doku à 30 mètres de leur propre but qu’il n’est plus assez frais et lucide pour encore faire la différence à 30 mètres de celui des adversaires. La suite, avec un chemin de croix en Ligue des nations, ne sera qu’une succession d’expérimentations généralement infructueuses, avec l’objectif de trouver les meilleures conditions pour faire briller la nouvelle arme principale du secteur offensif belge. Doku vole toujours au-delà des trois dribbles réussis par match, moyenne uniquement dépassée par Lamine Yamal au cours de la compétition, mais ne trouve jamais le chemin des filets et transforme trop rarement ses explosions en véritables occasions.

Très vite, Rudi Garcia arrive pourtant au même constat que son si décrié prédécesseur: le chantier de la Belgique consiste à mettre en place une assise défensive crédible tout en permettant à Jérémy Doku de s’associer dans les conditions les plus favorables possibles avec les ténors du passé que sont Kevin De Bruyne et Romelu Lukaku.

«Je veux tuer mon défenseur, je veux qu’il fasse des cauchemars.»

Une question de temps

Dans les couloirs de Tubize, ils sont nombreux à glisser que Rudi Garcia est loin d’être le plus pointilleux des tacticiens. Le jeu de la Belgique est plutôt sommaire et manque d’automatismes, surtout pour pallier l’absence d’un Lukaku qui sert de référence offensive au jeu belge depuis une décennie. En juin dernier, déjà, quand la Belgique partage l’enjeu en Macédoine du Nord, le sélectionneur admet: «Offensivement, on a été trop dépendant de Jérémy Doku.»

L’histoire se répète pourtant en octobre, à l’occasion du match retour. L’ailier des Diables touche 101 ballons, réussit sept dribbles face à des Macédoniens pourtant tous regroupés autour de leur but, mais ne déverrouille jamais le marquoir, ni en solitaire (six tirs, dont deux cadrés) ni en duo (deux centres réussis en neuf tentatives). Tout semble alors être une question de vitesse mal ajustée.

Sur le côté gauche, Jérémy Doku a naturellement tendance à arrêter le temps. La semelle sur la balle, les yeux rivés sur les jambes de son défenseur, le dribbleur se prépare à exploser. «Je veux tuer mon défenseur, je veux qu’il fasse des cauchemars», lance ainsi l’intéressé dans son documentaire sur YouTube. Quand il démarre, on pourrait entendre les mêmes crissements que sur la grille de départ de Spa-Francorchamps. Tout le monde est systématiquement pris de vitesse. Les adversaires, mais aussi les coéquipiers. Le manque d’occasions n’est donc pas tant un problème d’espace, mais surtout de temps. Le plan tactique est toujours plus adapté à Doku, au point que l’autre ailier est souvent choisi en tenant compte de ses qualités défensives (Alexis Saelemaekers contre la Macédoine du Nord, Leandro Trossard face au pays de Galles) pour soulager la tâche défensive du dynamiteur diabolique.

La mission de Rudi Garcia, avec le Mondial dans le viseur, consistera désormais à faire en sorte que le moteur de l’équipe tourne au même rythme que celui de son chef de file. Le défi, c’est qu’il faudra que tout le monde démarre à l’avance pour atteindre le drapeau à damiers en même temps que la Formule 1 de Borgerhout.

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