Le Bayern Munich aurait-il enfin trouvé l’entraîneur idéal? © GETTY

Possession et flair politique: comment Kompany a séduit le Bayern

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Vincent Kompany est champion d’Allemagne, un an après une arrivée pleine de scepticisme à la tête du Bayern. Le Belge a réussi ce dont il n’a jamais douté: devenir coach d’un grand d’Europe.

Le séisme fait trembler les murs de la Säbener Strasse, siège iconique des installations du Bayern Munich. Parce que les onze années consécutives de règne continu sur la Bundesliga, initiées en 2013 par le coach Jupp Heynckes, ont pris fin au printemps dernier quand l’invincible Bayer Leverkusen soulève dans le ciel allemand le bouclier des champions. Un Meisterschale que le club le plus titré d’Allemagne veut retrouver à tout prix, quitte à mettre les grands moyens. C’est ainsi que le fleuron de la Bavière lorgne tout naturellement Xabi Alonso, ancien milieu de terrain de la maison mais surtout coach à succès de Leverkusen, pour s’installer sur son banc de touche. Parce que le Bayern a pris l’habitude de piocher sans vergogne chez ses principaux concurrents, comme pour asseoir un peu plus sa domination.

Xabi Alonso refuse, et le chantier commence. A ciel ouvert, parce que la presse sportive allemande a toujours adoré se délecter des rares malheurs d’un Bayern Munich autrefois surnommé «FC Hollywood» pour sa faculté à accumuler les stars et, par conséquent, les articles dans les pages des tabloïds. C’est donc toute l’Allemagne qui découvre la drague vaine faite par le Bayern et son directeur sportif Max Eberl à Hansi Flick, Roger Schmidt, Ralf Rangnick ou Erik ten Hag. Vient même le moment où on prête l’intention aux Bavarois de poursuivre l’aventure avec Thomas Tuchel, coach en place en fin de saison dernière et avec lequel le divorce semble pourtant fortement acté. Quand Vincent Kompany pose sa casquette face aux journalistes pour ses premiers mots en tant que nouvel entraîneur du «Rekordmeister», la presse le présente donc comme le septième choix du Bayern.

Il faut dire que le poste avait de quoi faire trembler quelques ambitieux. Orphelin de véritable star de premier plan, toujours réticent à entrer dans les enchères menées par les grosses écuries de Premier League, les géants d’Espagne ou le PSG pour recruter et, surtout, en quête de rachat, le banc du Bayern Munich promet alors un certain enfer à son prochain propriétaire. A l’Allianz Arena, écrin bavarois, on a d’ailleurs déjà coché la date du 31 mai 2025, jour de la finale de la Ligue des champions qui se déroulera au cœur de l’enceinte. Une première depuis 2012, quand le Bayern s’était invité à cet événement à domicile finalement perdu aux tirs au but contre Chelsea.

La passe décisive de Guardiola

La mission est colossale. Elle semble à première vue trop importante pour un entraîneur qui vient de quitter la Premier League par la petite porte. Après son départ d’Anderlecht, Kompany s’était construit une crédibilité internationale en survolant la deuxième division anglaise avec Burnley. Un an, 24 petits points, cinq minuscules victoires et une relégation plus tard, l’étoile a toutefois perdu de sa brillance. En matière d’image médiatique, voir le grand Bayern engager un coach qui n’a pas fait mieux qu’une 19e place dans le championnat anglais a de quoi surprendre. En un entretien, Max Eberl a toutefois été séduit par le discours précis et ambitieux de l’ancien défenseur de Manchester City. Prometteur, mais insuffisant pour faire l’unanimité dans un club où l’organigramme est clair sur papier, mais flou dans les faits, tant les anciennes gloires locales pèsent de tout leur poids sur les décisions importantes.

L’un d’eux est Karl-Heinz Rummenigge. Deux Coupes des clubs champions, autant de finales de Coupe du monde et de Ballons d’or au palmarès. Max Eberl lui parle de ses discussions avec Kompany sans cacher son enthousiasme, et lui demande une faveur: un coup de téléphone à Pep Guardiola, coach du Bayern entre 2013 et 2016, duquel Rummenigge est resté très proche. «Pep m’a longuement parlé,  rembobine l’ancien attaquant dans les pages du Abendzeitung München. Il m’a dit qu’il était convaincu à 100% que Vincent était l’entraîneur idéal pour le Bayern. Quand Pep donne de telles appréciations, tout va bien.» Le Catalan était aussi dithyrambique à l’égard de certains de ses adjoints du passé, comme Mikel Arteta ou Enzo Maresca, dont le travail est aujourd’hui salué à la tête d’Arsenal ou de Chelsea.

Onze mois après l’annonce de son arrivée, alors que la double confrontation face à l’Inter en quarts de finale de la Ligue des champions se conclut par une élimination, l’avis des grands manitous du conseil des sages bavarois au sujet de Kompany confirme celui de Guardiola. Uli Hoeness, gardien de la grandeur du Bayern, maintient publiquement que ses couleurs de cœur sont sur la bonne voie. Les blessures importantes privent les Allemands de pions majeurs face aux champions d’Italie en titre, et le poste de «Vinnie» semble renforcé aux yeux de dirigeants historiques pourtant ouvertement sceptiques lors de son arrivée.

«La joie est de retour dans le jeu du Bayern, tant pour les joueurs que pour les supporters.»

Karl-Heinz Rummenigge, ancien attaquant du Bayern

La conquête par le jeu

Il faut dire qu’entre-temps, le coach belge a fait revenir le spectacle à l’Allianz Arena. «La joie est de retour dans le jeu du Bayern, tant pour les joueurs que pour les supporters», résume Karl-Heinz Rummenigge.

Dans les cinq grands championnats européens, personne n’a plus souvent le contrôle du ballon que le Bayern Munich. En bon disciple de Pep Guardiola, Vincent Kompany s’est même offert le luxe de dépasser le Manchester City de son maître, avec une moyenne de 68,3% de possession lors des rencontres de Bundesliga. De quoi se créer énormément d’opportunités (avec 76,2 expected goals créés, le Bayern n’est devancé que par le PSG dans le domaine), mais surtout en concéder peu. Car dans la philosophie de Guardiola suivie par Kompany, garder le ballon et ne pas le perdre trop près de son but est surtout la meilleure des armes pour ne pas laisser trop d’opportunités à l’adversaire. Après tout, comme aimait le dire Johan Cruyff, mentor historique du coach catalan: «S’ils n’ont pas la balle, ils ne peuvent pas marquer». Avec ses 22,3 expected goals concédés sur les pelouses allemandes, le Bayern est ainsi l’équipe qui laisse le moins de bonnes occasions à son adversaire de faire trembler les filets dans les cinq plus grandes ligues d’Europe. Un équilibre qui peut s’avérer fébrile dans les compétitions à élimination directe, mais qui paie souvent sur la durée d’un long championnat.

«C’est très agréable de jouer au football sous les ordres de Kompany», confirme le maître à jouer Joshua Kimmich, placé au centre du projet collectif par l’entraîneur belge. En Europe, l’international allemand n’a pas d’égal à l’heure d’emmener le jeu dans la zone offensive (ses 397 passes vers le dernier tiers du terrain sont la référence des cinq grands championnats) et a touché le ballon au moins 500 fois de plus que n’importe quel autre joueur des ligues du Big Five cette saison. Il est le moteur du Bayern de Kompany, alors que l’international français Michael Olise en est le détonateur. Arrivé du club anglais de Crystal Palace l’été dernier, le gaucher a ainsi distillé 102 ballons vers la surface adverse depuis le début de l’exercice. Là aussi, c’est un record, bien devant le prodige du Barça Lamine Yamal. Le nouvel atout de la France de Didier Deschamps est un parfait complément aux dribbles axiaux de Jamal Musiala pour augmenter le potentiel de divertissement du rouleau-compresseur allemand.

«Depuis que Kompany est à Munich, je retourne volontiers au stade, admet Uli Hoeness, charmé par un choix initialement expérimental. Nous produisons un football incroyable, on s’amuse et on prend du plaisir, c’est pour ça qu’on fait ça.»

Vincent Kompany avec l’international français Michael Olise, le détonateur du Bayern Munich. © GETTY

Coach et politique

D’ici à la fin de la saison, Vincent Kompany franchira, sauf surprise, la barre des 50 rencontres passées à la tête du champion d’Allemagne. La deuxième saison sera probablement celle de tous les pièges, sur lesquels ont buté la plupart de ses prédécesseurs. Parce que depuis le départ de Munich de Pep Guardiola en 2016, six entraîneurs se sont succédé sur la banquette de l’Allianz Arena sans jamais parvenir à dépasser les 100 matchs joués.

Hansi Flick s’en est rapproché, soulevant la Ligue des champions au passage lors de son bail de 86 rencontres à la tête du Rekordmeister, mais le Bayern avait préféré l’écarter et saisir l’opportunité d’attirer sur son banc de touche le jeune prodige Julian Nagelsmann, alors présenté comme le futur meilleur entraîneur du monde. Quatre-vingt-quatre matchs plus tard, il avait lui aussi dû céder sa place à Thomas Tuchel, lui aussi chassé par une lessiveuse à coachs à laquelle même le politicien des bancs de touche qu’est Carlo Ancelotti n’a pas résisté plus de 60 rencontres.

S’il ne parle que de football dans ses conférences de presse, évitant soigneusement toutes les polémiques, c’est parce que Vincent Kompany est un homme politique autant qu’il est un coach. Il sait mieux que personne nager en eaux troubles, un atout indispensable pour survivre dans les coulisses profondes de la gestion du club bavarois. C’est sans doute pour ça qu’avec lui, le Bayern semble avoir trouvé son entraîneur idéal.

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