La Pro League se jouera à la dernière journée, pour la troisième saison de suite. Grâce à la division des points, ou seulement au système des play-offs?
L’Union Saint-Gilloise d’un côté, Bruges de l’autre, et un titre de champion qui n’a pas encore trouvé son destinataire alors qu’il ne reste que 90 minutes à jouer. Cette année encore, la Jupiler Pro League confirme son statut de championnat le plus haletant d’Europe. Pour la troisième saison consécutive, le trophée de roi du football belge sera attribué au bout du suspense, après la dernière journée du championnat. Il faut même remonter à la saison 2015-2016, année du premier jalon de l’actuelle domination brugeoise, pour retrouver la trace d’un titre décidé avec encore deux matchs à jouer.
Sur la moyenne des cinq saisons qui ont suivi l’exercice très particulier 2019-2020, chamboulé par la crise sanitaire, le football belge décide de son champion avec 0,4 match encore à jouer. En comparaison avec les cinq plus grands championnats d’Europe, la Belgique est effectivement dans une autre dimension en matière de tension. Certes, la Premier League anglaise et le championnat italien se sont décidés à deux reprises lors de l’ultime journée en cinq ans, mais ils ont aussi connu des saisons bouclées largement avant leur coup de sifflet final.
En moyenne, sur les cinq dernières années, les Anglais connaissent ainsi leur champion avec 1,8 journée encore à jouer. Les Allemands (2,4) sont un peu moins bien lotis, mais restent plus gâtés en suspense que les Espagnols, Italiens ou Français, qui sont fixés à 2,8 journées de la fin sur le lustre écoulé. Difficile de concurrencer sur ce point une Belgique qui a artificiellement gonflé la tension de sa fin de saison depuis une quinzaine d’années en y intronisant des play-offs.
Pourtant, la formule prendra bientôt fin. En plus d’alourdir le calendrier, ses principaux antagonistes lui reprochaient vivement son injustice sportive, essentiellement incarnée par une règle en particulier: quand le sprint final du championnat démarre, les points sont divisés par deux. Un artifice pour concerner tous les participants, car personne en quinze éditions n’a jamais entamé le sprint final avec la certitude mathématique d’être écarté de la course au titre, mais une façon jugée bien peu sportive de rebattre les cartes. Tant pis si la NBA remet carrément les compteurs à zéro quand elle entame le sprint final de son long marathon de rencontres: le football n’est pas encore asservi au divertissement et à ses rouages imposés pour accepter qu’un championnat national se boucle de cette manière.
La division en chiffres
Sans diviser les points, le suspense serait-il vraiment si grandement avorté?
Depuis la saison 2009-2010, la formule a permis au championnat de rester indécis jusqu’à sa dernière journée à six reprises. Par douze fois, en quinze occurrences, le champion a été titré avec maximum un match encore à jouer. Il n’y a finalement que lors de la première édition, remportée en surclassement par Anderlecht, que le suspense a pris fin à plus de deux matchs du terme. Quand Jelle Van Damme et Matías Suarez permettent aux Mauves de s’imposer sur le terrain de Bruges, il reste alors quatre rencontres à leur menu, mais leur adversaire du jour est déjà relégué à distance suffisante pour déboucher le champagne.
Cette année-là, si les points n’avaient pas été divisés par deux au terme d’une phase classique déjà survolée par les Bruxellois (douze points d’avance sur Bruges), le titre aurait été célébré une journée plus tôt par Anderlecht. Un record. Seul le Bruges de Philippe Clement aurait pu le fêter avec encore cinq matchs à jouer en 2021, quand l’écart avait été largement creusé lors de la phase classique et que les play-offs ne se disputaient qu’à quatre (et donc en six journées). Des circonstances exceptionnelles: même sans diviser les points par deux à l’entame des play-offs, la lutte pour le titre aurait été ouverte jusqu’à la dernière journée dans un tiers des éditions (cinq sur quinze), et avec au maximum encore un match à jouer dans deux tiers des cas (dix éditions).
La différence semble ténue, mais elle est manifeste: en divisant les points, le championnat se joue avec 0,93 match encore à jouer. Sans division, il se jouerait avec 1,47 match à disputer. Loin d’être anecdotique, quand on constate que les quinze éditions du championnat avant l’ère des play-offs (soit entre 1995 et 2009) se sont jouées, en moyenne, avec 1,4 match encore à jouer.
Diviser devient (presque) inutile
Depuis récemment, couper les points en deux ne change toutefois plus grand-chose. Sans division, le championnat de la saison dernière (2023-2024) aurait provoqué le seul des quatre derniers titres à se décider avant l’ultime journée. Cela aurait été en faveur de l’Union Saint-Gilloise, alors que le sacre est finalement revenu à Bruges grâce à des play-offs exceptionnels. Pour le reste, le suspense aurait été aussi intense. Voire plus: en 2022, l’Union (encore elle) aurait résisté une journée de plus à Bruges (encore lui), restant en lice pour le titre jusqu’à la dernière rencontre alors que la division des points avait scellé le verdict 90 minutes plus tôt.
Mieux encore, en 2023, expression majuscule du suspense avec le dénouement passé à la postérité quand Genk, l’Union et finalement l’Antwerp se sont échangés les lauriers au fil de la dernière journée. Une version sans division des points aurait conclu la phase classique sur une égalité parfaite entre les trois protagonistes.
La division des points permet surtout les remontées fantastiques, popularisées par le Standard de 2011, accomplies par Anderlecht en 2014 ou Bruges la saison dernière. Quand les écarts sont réduits au coup d’envoi des play-offs, ils le restent souvent au coup de sifflet final.
C’est alors surtout dans la tête que les choses se jouent. Quel que soit le verdict de la dernière journée de cette édition, ce sera ainsi la quatrième fois de suite que le leader au bout de la phase classique ne devient pas champion de Belgique. Pour les victimes, difficile d’affirmer les bienfaits de la division.