La nouvelle pépite saint-gilloise Promise David est déjà évaluée à six millions d’euros. Il quittera certainement Bruxelles pour un montant supérieur. © GETTY

L’Union Saint-Gilloise et le mercato: cette stat de plus en plus connue qui guide le recrutement des attaquants

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’Union Saint-Gilloise se mêle encore à la lutte pour le titre. Encore avec un attaquant sorti de nulle part pour animer le marquoir. La formule n’est plus magique: elle est mathématique.

Certains vont à Saint-Pétersbourg, admirer les joueurs du Zenit local qui s’est souvent illustré en Coupe d’Europe lors de la décennie écoulée. D’autres poussent le professionnalisme jusqu’à la Finlande voisine, pourtant le coin de la Scandinavie le moins prolifique en talents footballistiques. Même les scouts les plus aguerris complètent rarement leurs séjours dans le nord-est de l’Europe par un passage à Tallinn. Il faut dire que l’Estonie pointe très timidement à la 45e place, sur 55, des championnats européens au coefficient UEFA. A priori, ce n’est pas l’endroit idéal pour dénicher un talent capable de renverser un match.

L’avantage, c’est que le marché reste confidentiel, et que même les buteurs y sont plutôt bon marché. Malgré ses 29 goals en 44 apparitions sous le maillot du FC Kalju, un club de la banlieue sud de la capitale, Promise David n’a ainsi coûté que 400.000 euros à l’Union Saint-Gilloise. Sans doute parce qu’ils étaient peu nombreux à imaginer qu’un grand saut entre le quarante-cinquième et le huitième championnat d’Europe puisse se réaliser avec succès.

Quelques mois plus tard, les chiffres du Canadien sont formels: sur ses 20 dernières apparitions depuis l’entame de décembre, David a trouvé le chemin des filets à douze reprises, et agrémenté son bilan de cinq passes décisives. Sa feuille de route bruxelloise indique désormais 18 réalisations au total, et sert de confirmation à la tendance qui anime le marché des transferts belges depuis désormais quatre saisons: l’Union a encore réussi son coup.

Le modèle de recrutement offensif des Saint-Gillois est probablement le plus fiable du pays.

Un refrain troublant

La répétition devient trop troublante pour être une coïncidence. Il y avait eu Deniz Undav, extirpé des divisions inférieures allemandes pour finir meilleur buteur de la Jupiler Pro League. Il y a ensuite eu Victor Boniface, déniché sur les pelouses norvégiennes et revendu au puissant Bayer Leverkusen après une saison à casser les défenses belges et même continentales en Europa League. Puis encore Mohammed Amoura, arrivé du championnat suisse et moteur offensif de la course au titre unioniste de la saison dernière. Que des coups dans le mille, ou presque, auxquels on pouvait ajouter le géant suédois Gustaf Nilsson et ses 21 buts en 50 apparitions sous le maillot du club de Wehen Wiesbaden, perdu en troisième division allemande. L’homme s’est envolé moins haut et porte désormais le maillot du Club de Bruges, «seulement», mais confirme que le modèle de recrutement offensif des Saint-Gillois est probablement le plus fiable du pays.

Partout, la concurrence se demande comment fait l’Union. La réponse semble simplement se cacher dans une statistique certes pointue, mais entrée dans le langage commun des suiveurs du football depuis plusieurs années: les expected goals. «Buts attendus», en VF. L’une de ces fameuses «datas» dont se régalent les nouvelles générations de décideurs du ballon rond, qui mesure la qualité des occasions créées par une équipe (ou un joueur) en fonction de la position au moment de la frappe. Un tir excentré des 30 mètres aura ainsi une valeur très faible en «xG» (comme on les abrège), tandis qu’une reprise plein axe à hauteur du point de penalty sera bien mieux valorisée.

Dans l’exploitation de cette statistique pour la gestion stratégique des clubs, les Anglais de Brighton sont considérés comme des précurseurs. Leur patron, le parieur et joueur de poker britannique Tony Bloom, a fait fortune dans le domaine des paris sportifs et transposé ses prédictions statistiques au football, étant même élu meilleur président d’Europe à l’occasion de la cérémonie du «Golden Boy» en 2023. C’est lui qui avait racheté l’Union Saint-Gilloise en 2018 et, si les liens directs avec son club de Brighton ont toujours été niés par les Bruxellois, son modèle de gestion sert toujours de référence aux pensionnaires du stade Joseph Marien, même après avoir cédé la part majoritaire du club au président Alex Muzio, son ancien bras droit.

Le duo entre l’inexpérimenté entraîneur Sébastien Pocognoli et Kevin Mirallas, coach des attaquants, a porté ses fruits. © BELGA

Une si simple formule magique

La formule magique, souvent fantasmée par certains, tiendrait en fait en deux points: se concentrer sur les open play expected goals, soit les occasions créées de plein jeu –écartant ainsi les coups francs et penalties– et examiner les joueurs qui sortent du lot dans leur championnat, quel que soit le niveau de celui-ci. De Deniz Undav à Mohammed Amoura en passant par Victor Boniface et même Dennis Eckert Ayensa (aujourd’hui au Standard), tous faisaient office de référence nationale au moment de leur recrutement par l’Union Saint-Gilloise. L’analyse de leur background psychologique, essentiel pour mesurer leur faculté à se fondre dans le collectif bruxellois, fait ensuite le reste. Le premier filtre est si puissant qu’il ne laisse qu’une poignée de profils à fouiller en profondeur, souvent à l’abri du regard de concurrents qui ne pêchent pas le talent offensif dans les mêmes eaux.

L’été dernier, alors qu’il fallait remplacer le très complémentaire duo offensif formé par Mohammed Amoura et Gustaf Nilsson –sans oublier leur principal pourvoyeur, Cameron Puertas–, l’Union a donc appliqué ses recettes de toujours. Sortis de sa marmite, les profils de Promise David, Mohammed Fuseini et Franjo Ivanović sont venus poser les crampons à l’ouest de Bruxelles. En provenance de Croatie, d’Estonie et d’Autriche, pour 6,4 millions d’euros au total. Soit environ le prix obtenu pour la vente de Gustaf Nilsson à Bruges. A peine plus que le montant déboursé par Anderlecht voici un an pour attirer l’Argentin Luis Vázquez, loin d’avoir répondu aux attentes chez le voisin de la capitale.

La recette n’a, pourtant, pas été aussi savoureuse que prévu. Le coup d’envoi de la saison a été laborieux offensivement, et mis le nom de l’inexpérimenté entraîneur Sébastien Pocognoli dans les premiers rangs des coachs menacés de l’élite belge. Plutôt que de faire comme tout le monde, l’Union a élargi le staff de son entraîneur en lui adjoignant les services de Kevin Mirallas, arrivé à Saint-Gilles avec l’étiquette de coach des attaquants. Un «coach de secteur de jeu» qui fait également partie des ingrédients favoris de la méthode Brighton, et qui s’est mis à porter ses fruits. A mi-parcours de la phase classique, le club jaune et bleu n’avait marqué «que» 20 buts malgré ses 26,1 expected goals. Des chiffres qui en faisaient la quatrième meilleure production offensive du championnat, mais seulement la neuvième meilleure attaque. Le tir s’est rectifié, la finition s’est améliorée, et l’Union a conclu la phase classique avec 49 buts marqués pour 54,7 xG. Une performance plus conforme aux attentes, qui permettait alors aux Saint-Gillois d’être la troisième production offensive de Jupiler Pro League et, cette fois, la cinquième meilleure attaque.

Depuis leur retour en première division, les Bruxellois font partie des défenses les plus imperméables.

Le refuge des xG défensifs

Si l’Union n’a jamais paniqué, c’est parce que sa véritable valeur refuge se trouvait à l’autre bout du terrain. Depuis leur retour en première division, les Bruxellois font systématiquement partie des défenses les plus imperméables de l’élite nationale. Métrique de la performance par excellence dans le modèle cher à Tony Bloom, les expected goals concédés sont le juge de paix principal de la qualité des prestations de l’Union. Entre le début du mois de novembre et la dernière journée de la phase classique, Anthony Moris n’a ainsi encaissé que douze buts en 17 rencontres disputées. Solide à l’arrière, l’Union a conclu ces 30 premières journées avec 31,9 expected goals concédés, soit la meilleure performance défensive de D1. Une statistique avancée qui rejoint cette fois la réalité, puisque les 25 buts encaissés en 30 matchs font de l’Union la défense la plus intransigeante du championnat avant l’entame des play-offs.

Là où la pression des résultats fait parfois dégoupiller trop rapidement les dirigeants et place les coachs sur un siège éjectable, l’Union a gardé la tête froide quand le début de saison l’a installée en milieu de tableau, faisant craindre pour la première fois depuis son retour en Jupiler Pro League une absence des play-offs. Quelques mois plus tard, les doutes ont disparu et les Saint-Gillois sont installés dans le sillage de Genk et de Bruges, dans le costume de troisième homme de la course au titre et avec un podium déjà presque assuré au vu des premiers résultats engrangés. Promise David, lui, est déjà évalué à six millions d’euros sur le site spécialisé Transfermarkt, et quittera certainement Bruxelles pour un montant encore supérieur, poursuivant ce modèle qui génère des buts et de la richesse aux abords du parc Duden.

Qui aurait pu s’y attendre quand Anthony Moris pointait du doigt publiquement le manque d’efficacité de ses attaquants au cœur de l’automne? Sans doute pas grand monde. Mais certainement ceux qui, dans les bureaux où se décide l’avenir du club jaune et bleu de la capitale, jettent un œil froid et patient sur les expected goals.

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