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Luigi Pieroni: « J’ai explosé le championnat alors que personne ne me connaissait »

Pilonneur du mitan des années 2000, Luigi Pieroni était un homme de surface. Symbole d’une époque, l’ancien striker de l’Excel replonge pour Sport/Foot Magazine dans l’album à souvenirs.

Pour d’aucuns, il reste l’homme d’une saison. Une saison aussi folle qu’un printemps caniculaire. Il y a 16 ans, le novice Luigi Pieroni, inconnu du grand public huit mois plus tôt, était sacré meilleur buteur du championnat de Belgique. 28 pions qui allaient lui ouvrir les portes de son paradis. Après l’Excel de Leekens, Pieroni découvrira les Diables d’Antheunis et l’AJ Auxerre de Guy Roux. Des vieux sages pour entourer un jeune loup.

Forcément ambitieux, Pieroni n’aura finalement jamais la carrière dont il rêvait. La faute à quelques choix de carrière malheureux et à un corps capricieux. Aujourd’hui, à 39 ans, il s’engage sur une nouvelle voie. Ancien adjoint d’Emilio Ferrera à Seraing, il sera dès le mois d’août le nouveau coordinateur de la EF (pour Emilio Ferrera) Academy qui s’ouvrira à Tubize dans les installations de l’Union Belge.

Un nouveau challenge au service de la formation des plus jeunes. Histoire de rendre à la génération de demain ce que la gonfle lui aura apporté au début du siècle. Sans rancune.

Luigi, il y a 16 ans, tu parachevais ta plus belle toile au bout de la saison de la révélation avec Mouscron. Qu’est-ce qu’il te reste aujourd’hui comme souvenir de l’Excel de Georges Leekens?

Cette année-là, c’est avant tout ma première saison pro! J’ai explosé le championnat alors que personne ne me connaissait. Évidemment, ce sont des souvenirs incroyables parce qu’en quelques semaines, je passe de trois ans à lutter pour le maintien avec le RFC Liège en D2 à jouer le haut de tableau en D1. Le tout, en finissant meilleur buteur du championnat! Pour moi, c’est comme si j’étais rentré dans ma télé. Du jour au lendemain, j’apparaissais chaque semaine dans Match 1 et dans le Week-end sportif de la RTBF. Je formais la paire avec Mbo Mpenza! Et Mbo Mpenza, en 2003, ce n’est pas n’importe qui quand même. Et puis, surtout, je plante 28 buts en championnat, deux autres en Coupe et ça, bien sûr, c’est fabuleux!

Niveau superstition, les attaquants, on est un peu torché. Moi, chaque veille de match, je m’enfilais une pizza.

Tu es d’ailleurs, le dernier buteur à avoir autant scoré en D1. Plus personne n’a fait mieux depuis. Comment expliquer que le championnat n’a plus connu par la suite de buteurs capables de frôler la barre des 30 pions sur une saison ?

Je ne sais pas, c’est une question de régularité, je crois. Souvent, tu as un gars qui débute bien et puis il s’écroule. Est-ce que le niveau du championnat a baissé pour autant? Pas forcément. Je crois que le rôle des attaquants a beaucoup évolué aussi. L’attaquant moderne est plus complet. On leur demande de défendre beaucoup plus. Un gars comme Laurent Depoitre à Gand est un bon exemple. Dans le fond, c’est le même genre de profil que moi. Un beau bébé capable de finir les actions. Mais à lui, on lui demande de travailler, de participer au jeu. Moi, toute ma carrière, on m’a simplement demandé d’être au bon endroit au bon moment. Excepté sur phase arrêtée défensive, on ne m’a jamais demandé un gros travail défensif dans le jeu. Et puis, il faut être honnête, de toute façon, je ne courais pas beaucoup et je ne couvrais d’ailleurs pas une grande zone. Ce qui me permettait de garder ma fraîcheur devant le but.

Lors de ta fameuse saison à Mouscron, tu inscris 27 de tes 30 buts en quatre mois de temps. Est-ce quand on connaît une période aussi faste on ne devient pas aussi hyper superstitieux?

Oui, pour ça, les attaquants, on est un peu torché quand même! Moi, chaque vieille de match, je m’enfilais une pizza. J’avais 23 ans, je mangeais ce que je voulais, je ne prenais pas un gramme. Quand tu es jeune, tu ne prends pas conscience de tout ce qui t’arrive. Après, j’ai dû apprendre à faire attention, à prendre soin de moi, mais cette année-là, j’avais ce petit rituel absurde (rires).

Luigi chez les Diables, à une époque où la Belgique était loin de remplir les stades
Luigi chez les Diables, à une époque où la Belgique était loin de remplir les stades© belga

La même année, en février 2004, Aimé Anthuenis t’appelle pour la première fois en équipe nationale pour un amical contre la France de Zidane. Ce soir-là, un autre jeune talent faisait ses débuts en sélection. Un certain Vincent Kompany. Tu te souviens du contexte de l’époque?

Comment l’oublier! Lilian Thuram, Zinédine Zidane, Marcel Desailly, Fabien Barthez, j’avais les yeux pleins d’étoiles. Ce match, c’était comme la confirmation de mon nouveau statut. En 12 mois à peine, j’étais passé des champs de patates de la D2 au Stade Roi Baudouin! Je me souviens qu’au moment où Anthuenis m’appelle, je reste sur 8 buts en 4 matchs depuis la reprise. Clairement, j’étais sur mon petit nuage.

Je n’arrivais pas à m’expliquer pourquoi un gars comme Wesley Sonck avait autant de crédit.

Bien sûr, dans les médias, on a plus parlé de la première de Vincent, d’autant que lui était titulaire ce soir-là, mais malgré tout j’ai l’impression qu’à l’époque, j’avais plus d’interviews que d’entraînements. Je n’ai pas pour autant oublié ce match contre la France où je rentre deux minutes, mais où je réussis à taper le poteau de l’extérieur du pied sur un centre de Soetaers. Malheureusement, c’était déjà un bon résumé de ma petite carrière avec les Diables où j’ai plus souvent touché les montants que fait trembler les filets.

Au final, entre février 2004 et mars 2008, tu totaliseras 24 apparitions (2 buts) sous le maillot de l’équipe nationale. Dans ce qui reste pour beaucoup les quatre pires années de l’histoire des Diables rouges…

C’est malheureux… Mais le pire, c’est que même dans ce contexte-là et en étant bon en club, je ne parvenais pas à être titulaire. Il y avait une certaine hiérarchie que je n’ai jamais vraiment comprise. Parce que clairement, j’avais la sensation d’être meilleur que ceux qui jouaient. À la limite, si l’équipe tourne, tu peux le comprendre, mais là, je n’arrivais pas à m’expliquer pourquoi un gars comme Wesley Sonck avait autant de crédit. Alors, OK, il a marqué des buts, mais encore heureux qu’il en marquait avec le temps de jeu qu’il avait… En fait, pour moi, à l’époque, de tous ceux qui jouaient, il n’y avait qu’Émile (Mpenza, NDLR) qui avait le niveau. Avec le recul, je regrette de ne pas avoir un peu plus tapé du poing sur la table…

Tu crois avoir été desservi par le fait que tu jouais à Auxerre à l’époque?

Il n’y avait jamais personne qui venait me voir là-bas. Parce que contrairement à aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a 15 ans, tu avais plutôt intérêt à cartonner en Belgique que d’être bon dans un championnat majeur à l’étranger. Et puis Auxerre, c’était un bon club français, mais pas vraiment le plus vendeur non plus. Même si ma première saison, on fait quart de finale de Coupe UEFA quand même!

Guy Roux m’a invité chez lui pour le week-end de Pâques. C’était comme aller chez son grand-père. Sauf qu’arrivé là-bas, impossible de repartir sans signer de contrat.

On sait que Guy Roux pouvait se montrer convaincant. Comment s’y est-il pris pour favoriser ta venue dans l’Yonne?

À l’ancienne (rires)! Il m’avait invité chez lui pour le week-end de Pâques à Auxerre. C’était comme aller chez son grand-père. Sauf qu’arrivé là-bas, impossible pour moi de de repartir sans signer de contrat. Il était trop fort, il m’a fait la totale. Est-ce que je l’ai regretté? On va dire que quelques jours plus tard quand j’ai su que le Betis Séville était aussi intéressé de m’offrir un contrat de 4 ans, je me suis dit que ça aurait pu être sympa aussi… Mais à Auxerre, j’ai connu un club hyper attachant. Le seul club du monde sans doute où quand tu avais de la fièvre, tu avais Guy Roux qui débarquait dans ta chambre à la maison avec une tisane pour te retaper. Il avait aussi mis en place un système de bénévoles pour nous conduire à gauche à droite. Un jour, il y en a un qui est venu me chercher à Bruxelles après un match des Diables. Il a roulé toute la nuit pour me ramener à Auxerre. Parce que Guy Roux ne voulait jamais qu’on découche (rires).

Peu importe le côté de la frontière, Luigi était là pour planter des buts
Peu importe le côté de la frontière, Luigi était là pour planter des buts© belga

Tu as connu les dernières saisons du grand Auxerre, la dernière saison du Guy Roux entraîneur à l’AJA, mais en vrai, tout n’a pas toujours été rose pour toi là-bas…

Je devais être le successeur de Djibril Cissé. Ça se tenait, je sortais d’une saison à 30 buts, mais pourtant, dès le début de ma première saison, j’ai senti que j’étais le douzième homme. Le premier remplaçant certes, mais pas le premier attaquant. J’étais dans l’ombre de Benjani. J’en ai beaucoup voulu à Guy Roux sur le coup. J’avais l’impression de m’être fait avoir. En vrai, il savait très bien ce qu’il faisait. La première saison, j’ai appris en plantant tout de même 13 buts toutes compétitions confondues et la deuxième avec Jacques Santini (Guy Roux étant entre temps devenu directeur sportif, NDLR), j’ai confirmé dans la peau d’un titulaire en inscrivant cette fois 12 buts rien qu’en Ligue 1. Cette année-là, avec Peguy Luyindula à côté de moi, j’étais vraiment à mon meilleur niveau. Il faut dire qu’on avait une solide équipe, sans doute la meilleure dans laquelle j’ai joué avec Cheyrou, Sagna, Diaby, Lachuer, etc. Que du lourd! Là, clairement, j’aurais pu encore passer un cap.

Je me suis retrouvé à Nantes avec Barthez, Payet et Wilhelmsson. Sur papier, ça avait du style…

En janvier, Portsmouth était intéressé, mais a pris Benjani finalement. Parce que Guy Roux a refusé de me vendre. À l’été, rebelote. Je pouvais aller à Everton, mais Guy Roux voulait 12 millions. À l’époque, c’était l’équivalent d’un stop définitif. Avec le départ de Santini au même moment, avec qui j’avais une super relation, ça m’a énervé. Du coup, je me suis mal préparé pour la saison suivante. J’avais la rage parce que je rêvais de la Premier League. Et là, mon erreur, c’est sans doute d’avoir fait des pieds et des mains pour quitter le club en janvier 2007 alors que Jean Fernandez croyait en moi et que l’année suivante, Auxerre allait jouer la Ligue des Champions. Finalement, je me suis retrouvé à Nantes avec Barthez, Payet et Wilhelmsson. Sur papier, ça avait du style, mais dans les faits, le club était à la dérive. En 6 mois, j’ai connu trois présidents et trois entraîneurs.

Et finalement, il y aura le retour en Belgique. Des passages à Anderlecht, au Standard aussi dans ton club de coeur…

Si j’ai un regret, en tant que Liégeois, c’est de ne pas avoir terminé ma carrière au Standard. Comme entraîneur, il y a peu, je suis déçu de la manière dont ça s’est terminé, mais comme joueur surtout, je regrette de ne pas avoir eu plus de crédit à l’époque. D’autant que j’avais une super relation avec Dominique (D’Onofrio, NDLR) au moment où je signe au club en août 2010. Malheureusement pour moi, le début de saison n’a pas été conforme aux attentes et la direction a transféré trois attaquants le dernier jour du mercato. Et pas n’importe qui! Mémé Tchité, Mbaye Leye et Aloys Nong! Du jour au lendemain, on se retrouve à six pour deux places…Et vu que le club voulait faire confiance aux jeunes, il n’avait plus besoin de moi. Finalement, Jean-François De Sart m’a fait comprendre en cours de saison qu’il allait falloir que je trouve autre chose pour la saison prochaine.

Associé à Aloys Nong dans la fameuse
Associé à Aloys Nong dans la fameuse « équipe B » de D’Onofrio, Luigi braque le Parc Astrid© belga

Reste que pour le même prix, et sans un incroyable Thibaut Courtois lors de l’ultime journée des PO1, vous êtes champions cette année-là après une remontada improbable et des PO1 bouclés avec un 26/30. À titre personnel, tu seras surtout de ce fameux premier match à Anderlecht où Dominique D’Onofrio avait surpris tout le monde en alignant une équipe B…

Ça, ce sont les médias qui l’ont écrit. Dominique n’a jamais utilisé ces termes-là dans le vestiaire. Il y avait certes quelques joueurs, dont moi, qui avions moins joué sur le terrain ce jour-là, mais ce n’était pas une équipe B. Parce qu’on avait tous le niveau pour jouer en équipe A. Et ça s’est vu. On fait un super match et on gagne 3-1. Sans Defour et Witsel en plus! Et ça, cela signifiait encore un peu plus pour nous.

Finalement, tu partiras dans la foulée à Arles Avignon où tu mets un terme à ta carrière en 2013, à 32 ans, à cause de blessures à répétition. Ça t’a heurté de devoir mettre si tôt un terme à ta carrière?

À partir de trois phlébites, on parle de maladie chronique. Ce qui fait qu’en France, le médecin n’a pas renouvelé ma licence. Il m’a dit: « maintenant, le foot, c’est terminé pour toi.  » C’était mon monde qui s’écroulait à l’époque. Ce qui a été dur pour moi, c’est que je n’ai pas choisi d’arrêter le foot. Pendant longtemps, tant que j’étais en âge de jouer, ça a été une vraie blessure. Je voyais des gars jouer, je me disais que j’avais leur niveau, mais je ne pouvais plus. On me disait de faire de la natation ou du vélo, mais quand tu as le virus du football, de la compétition, ça ne compense pas. Du coup, je me suis lancé dans le tennis. Mais aucun sport n’est plus fort en émotion que le football…

Propos recueillis par Maurice Brun.

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