Wout Faes a le plus souvent été choisi par la grâce du sélectionneur que par la rigueur de ses prestations, alors que Zeno Debast, lui, s’est retrouvé en défense sur le tard. © BELGA PHOTO BRUNO FAHY

Les Diables galèrent en défense: pourquoi la Belgique ne forme plus de grands défenseurs

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les Diables Rouges peinent à trouver les successeurs des défenseurs de la génération dorée. Ce n’est pas une mauvaise période, sans doute un problème bien plus profond.

Les années ont passé. Les matchs aussi. Cinquante-cinq, précisément. Soit le nombre de rencontres disputées par les Diables Rouges sans voir Brandon Mechele fouler la pelouse, entre une paire d’amicaux à l’automne 2020 contre la Suisse et la Côte d’Ivoire, et ce match aller de barrage pour le maintien en Ligue des nations contre l’Ukraine. Tant pis si, entre-temps, le Brugeois a disputé 20 matchs de l’exigeante Ligue des champions. Pas à la hauteur de la concurrence de Vincent Kompany, Thomas Vermaelen, Jan Vertonghen et Toby Alderweireld lors des dernières heures de gloire de la «génération dorée», d’abord. Déjà trop vieux pour incarner la relève de ces ténors des années 2010, ensuite. Rappelé par Rudi Garcia, enfin, parce que personne ne parvient véritablement à prendre le relais des quatre fantastiques de la défense nationale une fois Vertonghen, dernier résistant, parti.

Avec le recul, la coexistence de quatre défenseurs d’élite mondiale au sein de la garnison belge prend l’allure d’une heureuse coïncidence. Parce que de la Coupe du monde 2014 –où ils partageaient encore la ligne arrière avec Daniel Van Buyten– à l’Euro 2024, la Belgique aurait largement dû avoir le temps de préparer leurs successeurs. Pourtant, les quatre hommes ont progressivement quitté les Diables au moment où ils l’ont choisi. Parce qu’ils avaient décidé de sortir du terrain international, sans que personne ne les fasse d’abord s’asseoir sur le banc.

Sans eux, Rudi Garcia s’est donc retourné vers Brandon Mechele. Avant lui, Domenico Tedesco avait entamé l’Euro 2024 avec Axel Witsel dans ses bagages. Métamorphosé en défenseur central dans la muraille de Diego Simeone à l’Atlético, l’ancien chouchou de Sclessin devait alors apporter de la sérénité dans une défense des Diables en galère de repères. Parce que Wout Faes était plus un incontournable par la grâce du sélectionneur que par la rigueur de ses prestations, tandis qu’Arthur Theate dépannait à l’arrière gauche et que le jeune Zeno Debast peinait à franchir le palier.

Terre historique de défenseurs, la Belgique vit donc un paradoxe. Le Top 100 mondial des défenseurs les plus chers du monde sur le site Transfermarkt ne contient d’ailleurs aucun de nos compatriotes. En se concentrant sur les défenseurs centraux, on en trouve certes deux (Debast et Theate), mais cela reste moins que la Côte d’Ivoire ou l’Equateur. Où est donc passée la culture défensive d’un pays qui, historiquement, n’a pourtant jamais attaqué personne?

«Ils n’aiment plus le contact en tant que tel, le duel, la provocation du duel»

Le modèle Debast et les exceptions

«Ils n’aiment plus le contact en tant que tel. Le duel, la provocation du duel», rembobine Alex Teklak sur le plateau de l’émission Complètement Foot. Ancien défenseur central, passé par le costume de coach spécifique au centre de formation du Sporting de Charleroi, le consultant pour plusieurs médias belges a passé de nombreuses heures à corriger les arrières centraux du futur. Il constate que «certains avaient de gros déficits. C’est normal, parce qu’on ne leur avait pas appris.»

Puisque personne, à de très rares exceptions près, n’est défenseur par vocation, les professionnels de la protection du gardien sont souvent des attaquants contrariés. Milieu offensif inspiré, meneur de jeu jusqu’à l’adolescence, Zeno Debast s’est ainsi retrouvé en défense centrale sur le tard, apprenant son métier en vrac grâce aux conseils de son coach Vincent Kompany, puis aux tuyaux de son coéquipier Jan Vertonghen. Aujourd’hui à Lisbonne, sous le maillot du Sporting local, il est probablement l’incarnation la plus fidèle du défenseur «à la belge», rassemblant les qualités surtout techniques que la formation nationale souhaite voir chez des arrières centraux voués à être les premiers attaquants. «Aux cours d’entraîneur, on ne nous parle que de scan, de position du corps, de contrôle offensif et de dribble, glisse un diplômé au plus haut niveau de l’école des entraîneurs belges. L’identification ou le travail des pures qualités défensives ne sont jamais évoqués.»

Les conséquences sont logiques. Quand Domenico Tedesco veut installer la relève au cœur de la défense des Diables, il a le choix entre un Debast aux carences défensives évidentes, et trois joueurs qui ont suivi des chemins de traverse pour rejoindre le vestiaire de la sélection: Wout Faes était jugé insuffisant pour Anderlecht et s’est faufilé dans la Premier League anglaise via Ostende et Reims, Koni De Winter est rapidement parti vers l’Italie pour y terminer sa formation, et Arthur Theate s’est révélé aux yeux du pays quelques mois après avoir dû montrer lors de deux semaines de test qu’il avait le niveau pour jouer à Ostende. A Genk puis au Standard, on l’avait écarté. «Ils me jugeaient insuffisant. Le directeur sportif du Standard, Benjamin Nicaise, avait dit à mon agent par message que je contrôlais mes ballons à trois mètres de distance. Que j’étais insuffisant pour la D1», expliquait le joueur à Sport/Foot Magazine après son départ vers Bologne. A Francfort, le gaucher vient de boucler sa quatrième saison à l’étranger sur le podium de la Bundesliga.

Identifier le talent pour aider les Diables

Y aurait-il, en Belgique, un problème d’identification des véritables critères du talent défensif? L’histoire rappelle qu’en 2019, Anderlecht estimait que le Polonais Jakub Kiwior n’avait pas les qualités requises pour briller sur la pelouse du Lotto Park. Quatre ans plus tard, après un passage par la Slovaquie puis un départ pour l’Italie, le défenseur rejoint pourtant les Anglais d’Arsenal contre un montant de 20 millions d’euros. Probablement en ayant fait quelques progrès.

On pourrait se dire que les choses ont changé. Ou se rappeler que l’été dernier encore, Genk a déboursé plus de deux millions d’euros pour rapatrier le prometteur Matte Smets, tout juste sorti d’une saison majuscule sous le maillot des voisins de Saint-Trond. Une tenue jaune canari qu’il avait enfilée en 2018, quand Genk ne l’avait pas conservé au sein de son processus de formation.

Excepté Zinho Vanheusden, très tôt considéré comme un grand talent défensif mais privé de la trajectoire internationale promise par des blessures à répétition, aucun profil d’arrière central n’a véritablement fait l’unanimité tout au long de sa jeunesse tout en confirmant son statut à son arrivée chez les professionnels. Même Brandon Mechele, aujourd’hui incontournable dans la défense centrale de Bruges, a dû passer par Saint-Trond et revenir dans les bagages d’Ivan Leko vers la Venise du Nord, à une époque où son acolyte Björn Engels était considéré comme la véritable promesse du duo défensif brugeois. Meilleur relanceur, plus télégénique, ce dernier était pourtant un bien moins bon maître de l’art défensif.

Le constat de ce déficit ne date pourtant pas d’hier…

Le hasard comme moteur des Diables défensifs

Si certains clubs intègrent aujourd’hui à leur processus de formation, voire au staff de leur équipe fanion, un entraîneur des attaquants, personne ou presque n’en fait de même pour donner aux arrières centraux de demain des leçons de maîtrise défensive. Le constat de ce déficit ne date pourtant pas d’hier: à son arrivée à la tête des Diables en 2016, Roberto Martínez s’était étonné auprès de Chris Van Puyvelde, alors directeur technique de la Fédération, de séances d’entraînement des jeunes internationaux qui se déroulaient presque essentiellement entre les deux surfaces de réparation, sans jamais prendre en compte les fameuses «zones de vérité» où les matchs se décident.

En attendant que l’expérience des matchs disputés les fassent progresser naturellement, les défenseurs belges sont donc à la merci d’une rencontre opportune avec un entraîneur, souvent étranger, pour parfaire leur maîtrise de l’art défensif. Arthur Theate l’a fait aux mains d’Alexander Blessin, formé à l’école RedBull et par conséquent convaincu par les bienfaits des heures supplémentaires d’entraînement individuel et spécifique.

En Italie, Koni De Winter a sans doute connu les mêmes expériences que Zinho Vanheusden. Lors de son passage dans le noyau élargi de l’Inter, l’ancien défenseur du Standard est passé entre les mains de Giovanni Martusciello, adjoint du coach Luciano Spalletti et responsable de l’animation défensive qu’il enseigne lors de séances particulières où la ligne arrière apprend à se déplacer en harmonie ou à gérer des situations récurrentes comme les ballons aériens ou le décrochage des attaquants.

Quant à Zeno Debast, il évolue depuis janvier dans un rôle de milieu défensif, posé devant la défense à trois du Sporting. Au Portugal, on explique que sans ce repositionnement, il serait sans doute sur le banc, dépassé dans la pure hiérarchie défensive par les trois titulaires qui ont mené le club lisboète vers le titre de champion.

Voilà ce qui se trouve entre les mains de Rudi Garcia. Le sélectionneur en est conscient: «C’est à moi de trouver la bonne formule, on va devoir trouver la bonne association pour la charnière centrale des Diables.» Parce que la formation des défenseurs à la Belge l’y oblige, ce sera probablement un peu un choix par défaut.

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