L’Olympic Charleroi affiche sur son maillot des sponsors qui racontent ses difficultés actuelles. © BELGA

«Le folklore du foot belge» à l’Olympic Charleroi: fils du président sur le terrain et sponsors dans les vestiaires

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Coachs dépassés, joueurs pistonnés et insuffisants et bourdes administratives qui coûtent cher: l’Olympic Charleroi donne une leçon de ce qu’il ne faut pas faire pour bien gérer un club de football.

Tout commence, comme souvent, par une question d’argent. Lucien Romeo en a, évidemment, mais pas assez pour tenir à bout de bras un club qui a gagné sur le terrain le droit de retrouver le football professionnel. Alors, l’argentier de l’Olympic Charleroi ouvre la porte à des investisseurs. Etrangers, évidemment, pour suivre la tendance qui s’impose à tous les recoins du football belge, territoire trop exigu pour distribuer à lui seul assez d’argent à 29 entités professionnelles. Dans le Pays Noir, l’homme providentiel vient de Roumanie. Il s’appelle Claudiu Florica.

En Roumanie, le patron de l’entreprise Synotech s’est forgé une réputation peu enviable il y a quelques années, en échappant grâce à la prescription à une condamnation dans «l’affaire Microsoft». Au début du siècle, le gouvernement du Premier ministre socialiste Adrian Năstase décide d’informatiser les écoles roumaines. Sans prêter attention aux appels d’offres, le marché est attribué à l’antenne locale de Fujitsu Siemens, alors gérée par Claudiu Florica. L’homme convainc plusieurs ministres d’acheter des produits informatiques à une valeur cinq fois au-dessus des prix du marché. L’Etat perd seize millions d’euros dans l’aventure, retrouvés entre les mains des ministres et de leurs complices, et Florica est suspecté d’incitation à l’abus de fonction et de blanchiment d’argent.

Le profil est presque taillé pour l’investissement dans un monde du football où ce genre de coup est souvent permis. Visiblement amoureux du ballon rond, Claudiu Florica investit dans plusieurs clubs roumains dont les mastodontes de la capitale que sont le Rapid et le Dinamo, fonde une académie (Regal Sport) associée à l’Atlético de Madrid ou place ses billes au sein du club anglais de Charlton. Le passé est bien rempli, et permet à l’Olympic d’annoncer l’arrivée du groupe Synotech dans la direction du club, «apportant son expertise et ses ressources».

Florica, son fils et ses amis

En guise de ressources, l’entreprise roumaine de Claudiu Florica place son nom bien en vue sur le nouveau maillot olympien. Rayon expertise, il installe un directeur sportif serbe sorti d’un club de deuxième division tchèque qui amène un de ses compatriotes sur le banc de touche. Il garnit également l’effectif de premiers transferts en commençant par Luca Florica, son fils.

Passé par une dizaine de clubs entre la France, la Roumanie, la Slovénie ou la République tchèque, souvent soutenu dans son parcours footballistique par les sponsorings paternels (au Rapid Bucarest ou à l’Academica Clinceni, par exemple), Luca Florica ne s’est imposé nulle part, mais sa place dans le onze des Dogues paraît rapidement ne souffrir d’aucune discussion. Pas plus que celle de Robert Ion, dont Luca Florica était le témoin de mariage et qui profite de ces précieuses connexions amicales pour relancer une carrière enlisée dans les tréfonds de la deuxième division roumaine.

Si le buteur Léandro Rousseau ou le chouchou du public Simon Paulet avaient rapidement trouvé mieux ailleurs, même ceux qui semblaient initialement soutenir le projet cherchent alors leur bonheur loin du Hainaut. Mehdi Terki et Toufik Zeghdane, acteurs majeurs de la montée en Challenger Pro League, s’engagent dans un club luxembourgeois, bientôt rejoints par l’attaquant Romain Ferber. L’équipe est fortement affaiblie malgré son arrivée dans une division supérieure, et les défaites s’enchaînent sans surprendre grand monde dans les travées du stade du Pays de Charleroi. Habituellement réservée aux voisins zébrés, l’enceinte sert provisoirement de refuge en attendant la fin des travaux au stade de la Neuville. Initialement annoncée à la date du 30 juin par le directeur administratif Marcel Gevart–arrivé à l’époque dans les valises d’un précédent président, le joueur-dirigeant Mohamed Dahmane–, la rénovation reste inachevée, nouvelle illustration de la confusion qui règne dans les bureaux olympiens.

L’Olympic privé de buteur… et d’argent?

En coulisses, le directeur administratif est pointé du doigt. Comme son président, il sert de sponsor à ses couleurs, affichant sur la manche gauche de la tenue des Dogues le nom de sa société Magelan Software, censée aider les clubs sportifs dans leur gestion de la paperasse quotidienne. Ses méthodes se sont en tout cas heurtées à un couac dans le cadre du transfert de l’attaquant serbe Slobodan Stanojlovic, finalement resté à l’OFK Beograd après de longs mois de cafouillages administratifs et l’approche de l’échéance de ses 90 jours passés au sein de l’Union européenne sans permis de séjour.

Dans les colonnes de Sudinfo, Marcel Gevart explique que «le joueur a jonglé avec deux passeports sans nous informer de cela et l’Office des étrangers l’a découvert et a refusé le permis de travail, car il avait dépassé les quotas hors Serbie.» Dans le clan du joueur et du (désormais ancien) directeur sportif, Stanko Paunic, on soupçonne plutôt des erreurs dans les démarches auprès de l’Office des étrangers et de la Région wallonne, mal introduites dès le départ.

Un double coup dur car, plus encore que ses buts (il n’en avait marqué que trois lors des deux dernières saisons mais s’était montré prolifique lors de la préparation), Stanojlovic devait amener dans le Pays Noir l’intérêt de son père. Celui-ci est en effet le patron de la chaîne de magasins Sport Vision, équivalent de Decathlon dans les Balkans, qui aurait pu figurer en bonne place sur la tunique des Dogues en quête de soutien financier.

Le préparateur physique est aussi un sponsor

En bas du maillot noir carolo, à hauteur de chaque hanche, on affiche donc plutôt l’étrange mention All Nat Fit. Une abréviation plus punchy pour All Natural Fitness, une salle de sport basée à Charleroi et dirigée par Anthony Mulobi Tshishiku, ancien joueur de la région (monté jusqu’en promotion avec le FC Charleroi) reconverti dans le fitness depuis 2014, au point de participer à la Coupe du monde de kettlebell et de se lancer dans le coaching sportif en ouvrant sa salle en août 2021.

Si le retrouver sur le maillot des Dogues n’est pas dénué de sens, le voir au sein du staff de l’équipe fanion est plus étonnant. Précédemment gérée par l’adjoint Benoît Paulet, père de Simon et beau-fils de l’icône locale Jacky Duquesne, la préparation physique est désormais à la charge d’Anthony Mulobi Tshishiku. Une première expérience dans la préparation physique professionnelle, qui ne convainc pas tout le monde. «Il fait tout l’inverse de ce qui est préconisé», déplore l’agent d’un joueur du noyau. «Nous devons composer avec l’équipe actuelle pour redresser le déficit dans la préparation physique», abonde le nouvel entraîneur espagnol Carlos Sanchez Aguiar, arrivé début septembre sur les bords de la Sambre.

Le dossier de la nomination de l’entraîneur a entériné le divorce entre le patron Claudiu Florica et son directeur sportif Stanko Paunic. Initialement, ce dernier voulait faire revenir en Belgique le vétéran serbe Slavo Muslin (72 ans), déjà jugé trop old school par le Standard voici dix ans. S’il a finalement pris langue avec des coachs plus rôdés au marché local, comme Emilio Ferrera ou Felice Mazzù, c’est son patron qui a eu le dernier mot pour nommer Sanchez Aguiar, relation nouée à l’époque où son académie collaborait avec l’Atlético de Madrid. En lui confiant un premier poste officiel depuis dix ans, Claudiu Florica n’est évidemment pas parvenu à inverser rapidement la courbe des résultats olympiens, qui tutoie désormais les frontières du ridicule avec six matchs disputés sans prendre le moindre point, deux petits buts marqués et déjà 20 encaissés.

«Le grand folklore du football belge semble de retour», écrit le 26 août sur son compte X le journaliste Romain Molina, redouté des dirigeants pour sa faculté à pointer du doigt les gestions paranormales dans le monde du ballon rond. Revenu entre les perches après avoir été mis à l’écart depuis la reprise des entraînements, Adrien Saussez a, bien malgré lui, ajouté un nouveau chapitre à cette fable rocambolesque en se blessant dès son retour, après trois mois d’inactivité et une préparation physique bancale. C’est donc le jeune Matthias Van Hecke, coupable de grossières erreurs lors des matchs précédents, qui a enfilé les gants pour finir la rencontre contre RSCA Futures, conclue par une intervention hasardeuse sur le 0-2. David Vitasek, initialement attiré pour protéger les filets olympiens, faisait encore moins bien en début de saison. Il faut dire que le géant de plus de deux mètres est plus connu pour son apparition dans le Secret Story tchèque que pour ses exploits aux mains gantées.

Ses 114.000 followers sur Instagram ont sans doute pesé dans la balance au moment d’évaluer son transfert. Parce que tout commence souvent par une question d’argent.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire