Absents des tribunes de l’Easi Arena, les supporters du Standard sont les symboles d’un foot belge qui transforme de plus en plus son fan en consommateur ou en accessoire.
Ce n’est, heureusement pour la télévision, qu’un petit bout de tribune. Il faut dire qu’en construisant son Easi Arena, pour la rendre la plus partisane possible, les dirigeants de la RAAL La Louvière ont épousé le règlement à la lettre, réduisant presque au minimum la capacité accordée aux supporters visiteurs dans leur enceinte. Même le parking prévu pour les bus étant trop étroit, une longue saga de négociations inabouties a accouché d’un boycott du déplacement en terres hennuyères par les supporters du Standard, premiers hôtes de la saison dans la toute nouvelle antre des Loups. Le bloc des visiteurs était donc vide. Ce n’était qu’un petit bout de tribune. Heureusement pour la télévision. Malheureusement pour ceux qui préfèrent vivre le match de leurs couleurs plutôt que le regarder.
Il y a bien longtemps que les supporters les plus fervents ne sont pas les mieux considérés par les dirigeants du football belge et de ses clubs. Parce que certains évènements regrettables ont durci encore et encore les conditions de déplacement, rendant l’utilisation du voyage en car presque inévitable. Parce que les communes préfèrent éviter de devoir consacrer un nombre trop important de forces policières à la surveillance de ceux qui viennent soutenir leur club loin de chez eux et débordent parfois du cadre. Comme si elle s’inspirait de Pep Guardiola, la Pro League opte donc pour une possession défensive et presse haut dans le camp adverse pour éviter le risque de débordement. Autant ne pas risquer de subir les aléas d’un public alcoolisé par une bière qui sert de sponsor principal à l’élite du football national.
Impatients de voir leurs favoris à l’œuvre, surtout avec une équipe largement remaniée et un espoir réinjecté par les grands travaux de Marc Wilmots sur le mercato, les supporters du Standard ont donc dû attendre. Peut-être ont-ils pu voir la prestation des leurs à la télévision, du moins s’ils ont une vingtaine d’euros par mois à sacrifier, une Smart TV et qu’ils savent comment s’en servir. Hors du stade aussi, l’accès des supporters au football belge ne s’est pas simplifié avec le passage de l’été.
Il faut dire que dans la génération de revenus, le fameux «supporter lambda» est désormais très loin de passer au premier plan. Pour augmenter leur chiffre d’affaires sans passer par l’aléatoire case mercato, les clubs belges doivent se plier en quatre pour répondre aux desideratas de calendrier de DAZN, qui insiste toujours pour que chaque match se déroule à un horaire différent quitte à en pénaliser certains. En tribune aussi, le jonglage laisse souvent tomber la quille «populaire» au profit du fameux «B2B», mot-valise à la bouche de tous les directeurs commerciaux. Dans les gradins, le fan idéal est celui qui paie cher sa place plus confortable que les autres, le repas qui va avec et les cocktails d’après-match. Le «partenaire», comme on l’appelle, est le supporter préféré du dirigeant de football.
Celui-là ne se rend pas souvent dans les blocs en déplacement. Ne subit pas les fouilles corporelles avant d’entrer dans une tribune étroite, parfois entourée d’un grillage comme à Saint-Trond, où les trop nombreux fumigènes lancés sur le synthétique ont amené les dirigeants à mettre les supporters visiteurs en cage.
Comme aux Etats-Unis, le supporter doit surtout devenir un consommateur. Suffisamment bruyant pour que l’ambiance serve de publicité au stade et attire de nouveaux fans-payeurs, mais assez malléable pour chambouler son agenda pour un match de ses couleurs ou se caser dans un parking ou une tribune miniature. Le tout sans oublier de chanter juste comme il faut. Parce que c’est mieux pour la télévision.