La Belgique n’a pas pu vaincre le Kazakhstan, et a souvent semblé limitée dans son plan de jeu depuis l’arrivée de Rudi Garcia. Peut-être parce que la base tactique n’est pas là.
Le football est un grand magasin d’étiquettes. Les suiveurs aiment les coller, pour qualifier un entraîneur de «défensif», un joueur d’«absent dans les grands rendez-vous», un dirigeant d’«ami proche d’un agent». Souvent, elles manquent de nuance, encore plus lorsqu’elles essaient de qualifier une équipe ou un pays plutôt qu’une seule personne devenue caricature.
Ainsi, il y aurait une forme de «tactique nationale», propre à certaines sélections, si marquées historiquement par leurs succès et leur histoire qu’elles ne pourraient se résoudre à jouer autrement. Les heures de gloire italiennes rappellent toujours le célèbre catenaccio (le verrou de porte défensif), les équipes britanniques finissaient toujours par recourir au kick and rush (ballon longuement botté en avant et les joueurs courent pour le récupérer), les Espagnols gardent jalousement le ballon et les Néerlandais deviennent fous s’ils jouent autrement qu’en 4-3-3. Tout cela est évidemment rempli de clichés, surtout à l’heure où le football est devenu une grande entreprise sans frontières. Il reste toutefois, dans certains foyers culturels du ballon rond, des influences marquées. On n’imagine pas l’Espagne jouer en bloc bas en confiant sa destinée à José Mourinho ou Didier Deschamps, alors que voir l’Autriche déployer un étouffant pressing inspiré des équipes du giron Red Bull n’a rien d’une surprise. Un peu partout, il y a encore des totems auxquels il est interdit de toucher. La Belgique a une faiblesse, en même temps qu’un atout: chez les Belges, les totems n’existent pas.
Longtemps réputée pour sa rigueur défensive, seulement éveillée offensivement par un génie offensif qui pouvait indifféremment prendre la forme de Paul Van Himst ou d’Enzo Scifo, la Belgique a été obligée de changer quand la «génération dorée» s’est éveillée. Son premier père spirituel, Marc Wilmots, a pourtant tenté de maintenir ces anciennes recettes de solidité à l’arrière et d’appel au coup de génie à l’avant, mais ce n’était plus possible: ses joueurs étaient trop forts pour accepter de subir la loi des rivaux et ne miser que sur leur bravoure vantée depuis Jules César. Alors, les Diables ont changé. Ils ont dominé, sans oublier d’être rapides et chirurgicaux dès que les adversaires leur donnaient de l’espace. Tout ça a accouché d’une médaille de bronze mondiale, du rêve presque réalisé d’être champion du monde, mais pas d’une «culture». Parce que si le jeu de possession de Roberto Martínez avait tant marqué les esprits, on n’aurait jamais envisagé le nom du rigoureux Sergio Conceição parmi ses successeurs.
Avec Domenico Tedesco puis Rudi Garcia, la Belgique donne l’impression d’avoir le droit de jouer comme elle le veut. Pas de religion tactique, pas de grand gourou du passé pour juger une trop faible ou une trop haute possession de balle dans les talk-shows. Ceux qui dirigent la Belgique ont la chance d’avoir le choix. Tout en ayant le malheur de devoir construire plus que ceux qui peuvent déjà se baser sur la culture commune de leurs joueurs.
Chez les jeunes, la Belgique a choisi de former des joueurs plutôt que des collectifs. L’accouchement est logique. Les bébés diaboliques peuvent jouer à tout, mais semblent parfois bien incapables de dire à quoi ils jouent.