Les romantiques rêvaient déjà de voir les Diables Rouges remporter l’EURO 2020 avec une étoile sur leur maillot qui ferait référence au titre mondial que la Belgique a conquis, aux JO, il y a tout juste un siècle. Mais les règles vestimentaires de la FIFA sont très strictes. Alors que l’Uruguay a contourné cette règle, l’Union belge se montre très (trop ?) respectueuse.
Il y a exactement un siècle, Anvers était en pleins préparatifs pour l’organisation des Jeux Olympiques. Ils allaient se dérouler le long de l’Escaut pendant l’été 1920 et déboucher sur le triomphe sans précédent (et jusqu’ici inégalé) de l’équipe nationale de football, le 2 septembre 1920. Les Diables rouges ont regardé la Tchécoslovaquie, leur adversaire en finale, droit dans les yeux. Après six minutes déjà, les Belges ont pris l’avantage sur penalty, et à la demi-heure, Rik Larnoe a fait 2-0. Lorsqu’un Tchécoslovaque a écopé d’un carton rouge un peu plus tard, les coéquipiers du joueur exclu ont quitté le terrain, furieux. Le match a été définitivement arrêté. C’est de cette manière que les Diables Rouges ont remporté l’or olympique, le trophée le plus prestigieux qu’une équipe nationale pouvait conquérir à l’époque. La FIFA avait déjà été créée à ce moment-là, mais n’organisait pas encore de Coupe du monde. La première allait se disputer dix ans plus tard en Uruguay.
Le noeud du problème : la Belgique peut-elle se considérer comme détentrice d’un titre mondial ?
Européen plutôt que mondial
Mais ce triomphe de 1920 n’est pas ancré dans la mémoire collective des Belges. Se prévaloir d’un succès footballistique ne faisait pas partie de la culture de notre pays. Il en allait tout autrement en Uruguay. En 1924, ce petit pays d’Amérique du Sud a succédé à la Belgique au palmarès du tournoi olympique et a reconduit son titre en 1928. En 1930, l’Uruguay a même remporté la première Coupe du monde de la FIFA, organisée à domicile. Un succès que la Céleste a renouvelé 20 ans plus tard, au Brésil. Pour immortaliser ces quatre succès historiques, l’Uruguay a apposé quatre étoiles sur le maillot de son équipe nationale.
Les Brésiliens ont été les premiers à faire référence à leurs titres mondiaux en plaçant des étoiles juste au-dessus de leur emblème national. Ils l’ont fait pour la première fois lors de la Coupe du monde 1974. Longtemps, les Brésiliens ont été les seuls à pratiquer de la sorte. Ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que tous les vainqueurs d’un trophée mondial ont orné leur maillot d’une ou de plusieurs étoiles, en fonction de leur palmarès. Tous, sauf la Belgique. Mais nous abordons-là le coeur du problème : la Belgique peut-elle se prévaloir d’avoir remporté un titre mondial ? Notre pays a certes remporté le tournoi olympique de football, mais pas la Coupe du monde de la FIFA. Et pour cause : cette compétition n’avait pas encore été créée en 1920. Et il n’existait à l’époque aucune compétition mondiale autre que le tournoi olympique.
Ce qui ne plaide pas en faveur des Belges dans ce débat, c’est que le plateau des participants aux Jeux de 1920 n’avait rien de mondial. Il n’y avait que 14 pays au coup d’envoi, et à l’exception de l’Égypte, ils étaient tous européens. C’était dû, entre autres, au calendrier footballistique. En Amérique du Sud, la Copa América devait débuter une semaine après la fin des Jeux, et les longs voyages n’étaient pas aussi simples à organiser qu’aujourd’hui. Mais des pays comme l’Uruguay et le Brésil ont eu la possibilité de s’inscrire aux Jeux de 1920.
Outre le plateau des participants très européen, un autre aspect des Jeux de 1920 était très différent de la Coupe du monde, telle que nous la connaissons aujourd’hui : à l’époque, les équipes nationales étaient composées uniquement de joueurs qui n’étaient pas payés pour jouer au football. En soi, cela ne devrait pas être pris en compte comme argument pour ne pas considérer le tournoi 1920 comme une Coupe du monde. En effet, y a un siècle, l’amateurisme était encore largement répandu dans le football. Il n’y a qu’en Angleterre et en Écosse que l’on trouvait déjà des joueurs payés pour jouer au football.
Règles FIFA
Un argument qui plaide bel et bien en faveur d’une reconnaissance de la Belgique comme détentrice d’un titre mondial, c’est la proposition acceptée en 1914 par un congrès de la FIFA en Norvège. À l’époque, les membres présents avaient décidé que les tournois olympiques de football seraient considérés comme Coupe du monde pour amateurs, à la condition que les règles de la FIFA aient été appliquées lors de ces tournois. Or, c’était le cas aux Jeux d’Anvers. Dans le rapport officiel de ces Jeux, que nous avons pu consulter, on rappelle aux fédérations que les règles de la FIFA seront d’application.
La presse sportive de l’époque considérait également les Diables rouges comme champions du monde, affirme l’historien du football Raf Willems. Il montre un extrait du Miroir Des Sports. Ce magazine français réputé a un jour titré : » Les Belges Champions Du Monde De Football « . Dans ce même magazine, les Belges ont aussi été désignés comme champions du monde par Jules Rimet, qui a présidé la FIFA de 1921 à 1954.
Pour un livre qu’il a publié l’an dernier, Willems a choisi comme titre : » La Belgique, première championne du monde de football « . Pour étayer sa thèse, selon laquelle la Belgique devrait être considérée comme le premier champion du monde, Willems part du principe que les tournois olympiques de football datant d’avant la Première Guerre mondiale étaient des » mascarades « . Mais les historiens anglais du football ne partagent pas ce point de vue. En 1900 et 1904, le football était encore considéré comme un sport de démonstration aux Jeux Olympiques, mais en 1908 et 1912, les tournois étaient déjà très sérieux, prétend-on outre-Manche. Ces éditions de 1908 et 1912, qui se disputaient également selon les règles de la FIFA, ont été remportées par l’Angleterre, qui n’était même pas représentée par sa meilleure équipe. Les Belges qui considèrent les Diables comme les premiers champions du monde sont considérés en Angleterre comme des ultra-patriotiques.
Jurisprudence uruguayenne
Quoi qu’il en soit, la Belgian Football Association dispose d’arguments pour revendiquer une étoile sur le maillot des Diables rouges. Mais la FIFA aime tout régler elle-même : l’instance internationale a strictement réglementé la tenue vestimentaire des équipes nationales lors d’un tournoi organisé par la FIFA. Ces règles sont définies dans les Equipment Regulations de 99 pages. En page 42, on évoque les étoiles. On peut y lire que les pays ont le droit d’apposer une étoile au-dessus de leur emblème national pour chaque édition de la FIFA World Cup remportée par leur équipe nationale, qu’elle soit masculine ou féminine. C’est le terme World Cup qui fait débat. La FIFA ne reconnaît aucun tournoi qui s’est disputé avant la Coupe du monde 1930. Elle ne prend pas en considération les tournois de football disputés pendant les Jeux antérieurs à cette date, malgré la décision prise par le congrès de la FIFA en 1914. Mais, affirment certains : on peut aussi être considéré comme champion du monde sans avoir remporté la World Cup.
L’Uruguay est en conflit avec la FIFA sur la question. L’instance internationale a autorisé Luis Suárez et Cie à porter officiellement deux étoiles au-dessus de leur emblème national, symbolisant leurs victoires aux Coupes du monde 1930 et 1950, mais les Uruguayens revendiquent quatre étoiles : les deux étoiles supplémentaires en référence à leurs victoires aux Jeux de 1924 et 1928. Comme la FIFA n’a jamais donné son accord, l’Uruguay a imaginé une solution créative et, lors de plusieurs Coupes du monde, a apposé quatre étoiles sur son maillot. Mais, et c’est là toute la subtilité : à l’intérieur même de son emblème national. La FIFA ne peut pas intervenir sur la manière dont cet emblème a été conçu.
Cependant, lors de la Coupe du monde 2018, l’Uruguay est apparu en Russie avec quatre étoiles au– dessus de son emblème national, à l’endroit officiellement désigné par la FIFA, donc. Certains romantiques du football belge ont donc directement pris leur plume : Raf Willems et François Colin. Ce dernier se considère lui-même comme un » journaliste pensionné actif « . Colin et Willems ont lancé un plaidoyer pour que la Belgique puisse également apposer une étoile sur les maillots des Diables rouges. Selon leur raisonnement, si l’Uruguay a le droit d’apposer une étoile pour ses victoires aux Jeux de 1924 et 1928, il n’y a aucune raison que la Belgique ne puisse en faire de même pour les Jeux de 1920.
Si l’Uruguay a le droit d’apposer une étoile pour ses victoires aux Jeux de 1924 et 1928, il n’y a aucune raison que la Belgique ne puisse en faire de même.
Intérêt de la fédération ?
On ignore cependant si la FIFA a bel et bien donné son autorisation pour que l’Uruguay appose quatre étoiles au-dessus de son emblème national. Au siège de l’instance internationale, aucune réponse ne nous a été fournie. Et la fédération uruguayenne se mure dans le silence également. Aucune suite n’a été donnée aux trois mails que nous avons envoyés. L’hypothèse la plus plausible reste à ce jour le fait que l’Uruguay ait apposé ces quatre étoiles sans l’accord de la FIFA, et que cette liberté prise avec la règle n’ait pas été constatée par le collaborateur de la FIFA chargé de contrôler les maillots.
Quoi qu’il en soit, le débat refait à la surface, du moins dans l’esprit des intéressés. François Colin s’est adressé à l’équipementier Adidas, qui conçoit le maillot que porteront les Diables rouges au prochain Championnat d’Europe. Mais Adidas refuse d’apposer une étoile sur le maillot de la Belgique sans l’accord de la FIFA. Dans les Equipment Regulations de l’UEFA, l’instance européenne qui organise le Championnat d’Europe, on fait également référence au nombre de titres remportés lors d’une FIFA World Cup pour la question des étoiles sur le maillot. Colin a ensuite pris contact avec le Musée de la FIFA. C’est là que travaille Guy Oliver, le principal historien de la FIFA. » Je me suis adressé à Oliver parce que j’ai lu le livre The Fall of the House of FIFA, de David Conn, un journaliste du Guardian « , explique Colin. » Conn y écrit que, selon Oliver, les champions olympiques d’avant 1930 sont considérés comme des champions du monde. » Colin a dû attendre des mois pour obtenir une réponse d’Oliver. Celui-ci s’est référé aux règles de la FIFA, selon laquelle les Coupes du monde pour amateurs d’avant 1930 n’entrent pas en considération.
Entretemps, les maillots que porteront les Diables l’été prochain ont déjà été présentés. La possibilité d’apposer une étoile dans l’emblème n’a pas été retenue, même si l’Union belge a récemment adapté son logo. » Cette question n’intéresse pas la fédération « , regrette Colin. L’attaché de presse de l’Union belge, Stefan Van Loock, n’est pas d’accord : » Peter Bossaert ( CEO de l’Union belge, ndlr) a fait la demande. Mais lorsque je lui ai signalé que la FIFA ne reconnaissait pas ce titre olympique comme un titre mondial, nous avons abandonné l’idée d’apposer une étoile. » Van Loock connaît bien Colin et se base sur la réponse que Colin a reçu d’Oliver. En outre, Van Loock a reçu une réponse similaire d’une deuxième source au sein du Musée de la FIFA. Mais l’Union belge ne s’est donc pas adressée officiellement à la FIFA pour la question de l’étoile, c’est du moins l’impression que l’on a en Suisse. C’est ce qu’il ressort de la réponse que nous a adressé l’attaché de presse de la FIFA, à qui Oliver avait envoyé notre magazine : » Nous n’avons reçu aucune demande de ce genre émanant de la Belgian Football Association « . » Si l’Union belge avait officiellement posé la question, cela aurait quand même eu un autre impact que lorsque, moi-même, je m’adresse au Musée de la FIFA « , affirme Colin.
Tout n’est pas perdu
Mais si l’Union belge est réellement intéressée par le port d’une étoile sur le maillot, tout n’est peut-être pas perdu. Le cas de l’Uruguay en Russie démontre que les règles de la FIFA peuvent être interprétées de différentes manières. C’est ainsi que certaines nations considèrent que les étoiles ne font pas référence à l’équipe victorieuse, mais au pays victorieux. L’équipe féminine du Brésil, par exemple, a joué avec cinq étoiles sur le maillot au-dessus de l’emblème, alors que les Brésiliennes n’ont encore jamais remporté une Coupe du Monde. Les Allemandes portent également deux étoiles au-dessus de leur emblème. Mais elles l’ont mérité, puisqu’elles ont remporté la Coupe du monde féminine en 2003 et 2007. Si elles devaient y ajouter les victoires en Coupe du monde de leurs collègues masculins, elles joueraient avec six étoiles sur leur maillot.
Qui, du Brésil ou de l’Allemagne, respecte réellement les règles de la FIFA ? Ce n’est pas clair. Les Equipment Regulations laissent encore trop de place à l’interprétation. Tôt ou tard, la FIFA devra clarifier la situation. La Belgique aura alors intérêt à effectuer un bon travail de lobbying. Et pourquoi pas sur base d’une entente avec l’Uruguay ? Vu la lenteur de fonctionnement de la FIFA, il semble peu probable qu’une adaptation de la règle survienne encore avant le Championnat d’Europe. Mais les romantiques du football belge peuvent peut-être rêver d’une étoile lors de la prochaine Coupe du monde, si l’Union belge prend l’affaire au sérieux.
Francis Lalanne se bat pour l’étoile
Depuis l’an passé, un chanteur français lutte également pour le port d’une étoile sur le maillot de la Belgique : Francis Lalanne. Il a habité à Bruxelles pendant des années, se produit régulièrement en Wallonie et se considère comme un supporter de la France et des Diables Rouges. Sa mère est née en Uruguay et il y a grandi : Lalanne a donc un lien avec les deux pays concernés par la problématique des titres olympiques remportés avant 1930 et qui ont intérêt à ce que la FIFA reconnaisse les tournois olympiques de 1920, 1924 et 1928 comme des championnats du monde. Lalanne a demandé à un avocat de créer une asbl avec laquelle il souhaite défendre la cause de l’étoile. L’artiste liégeois Pierre Theunis, le comédien liégeois Renaud Rutten et Christophe Kinet, ancien joueur du RFC Liège, Germinal Ekeren et du FC Brussels, en feront également partie, a rapporté le chanteur à Sport/Foot Magazine. « Nous allons organiser une grande pétition. Le fait que les Diables Rouges ne peuvent pas porter cette étoile est une injustice ».
Kristof De Ryck