A la tête d’un Bayern Munich lancé dans un début de saison débordant de records, Vincent Kompany s’est offert une légitimité dans l’un des plus grands clubs d’Europe.
Il était arrivé sur la pointe des pieds, après un long été au cours duquel le Bayern Munich avait été éconduit par la plupart des coachs de haut vol qu’il courtisait. Un peu plus d’un an a passé et on ne trouve plus grand monde en Bavière pour froncer les sourcils à l’heure d’évoquer le nom de Vincent Kompany. Parce que le Belge, venu en Allemagne dans la foulée d’une relégation avec le club anglais de Burnley, a reconquis le titre de champion national, mais il a surtout fait de l’Allianz Arena l’une des salles de spectacle les plus enthousiasmantes d’Europe.
Il se dit même que la deuxième saison a encore ajouté une dose de show dans ces chorégraphies à onze qui font trembler tous les concurrents. Avec dix victoires de rang depuis le début d’exercice, toutes compétitions confondues, le Bayern écrase tout sur son passage et codétient désormais un record de succès consécutifs avec l’AS Roma, et a un «Klassiker» (le surnom donné au choc allemand entre le Bayern et le Borussia Dortmund) dans le viseur.
Forcément, les éloges pleuvent par hectolitres. Il faut dire qu’en plus de marquer énormément (38 buts en dix matchs), les Bavarois déploient un football très fluide, avec une mobilité extrême des joueurs offensifs qui déroute systématiquement les adversaires. Peut-être est-ce la rencontre américaine de cet été contre le Flamengo de Filipe Luís, belle surprise de la Coupe du monde des clubs, qui a ouvert à Kompany et son staff les portes d’un nouvel horizon tactique? Parti du jeu de position sauce Pep Guardiola, transformant les matchs en parties d’échecs, l’ancien capitaine des Diables Rouges semble avoir laissé quelques-unes de ses idées initiales au placard pour libérer ses joueurs sur le terrain. Le tout en laissant les fleurs aux autres. «Le but de Luis Díaz aujourd’hui, ce n’est pas Vincent Kompany qui l’a marqué», glisse ainsi l’entraîneur du Bayern dans la foulée du chef-d’œuvre collectif ponctué par sa recrue colombienne contre Francfort, nouvelle puissance de Bundesliga balayée par le Rekordmeister (0-3). Une curieuse façon de parler de soi à la troisième personne tout en distribuant les compliments: «Il en va de même pour Harry Kane. C’est la qualité du joueur.»
Le pouvoir des joueurs
Pour René Marić, bras droit de Vincent Kompany, qu’il a côtoyé lors des sessions préalables à l’obtention de son diplôme d’entraîneur UEFA Pro au sein de la Fédération belge, tout ça est aussi une question de talent: «La tactique n’existe pas. Vous avez seulement des joueurs qui prennent des décisions. La tactique, ce sont les mots que les gens utilisent pour influencer ces décisions.» Les discours sont alignés, et remettent le mérite des victoires entre les pieds des hommes forts du vestiaire.
Plutôt malin, à en croire Philipp Lahm. Du haut de ses 517 matchs sous la tunique du Bayern, il connaît bien la maison bavaroise. Pour The Athletic, il explique qu’il «est très important d’avoir à l’esprit que le Bayern est un club de joueurs. Pour un coach, cela signifie que ça aide énormément d’avoir vécu l’expérience d’une carrière de joueur de haut niveau.»
C’est l’indéniable atout de Vincent Kompany, dont le CV de joueur avait déjà permis à Anderlecht d’attirer de jeunes talents séduits autant par son discours tactique que par son glorieux passé en Premier League. Il est d’autant plus précieux pour un Bayern Munich qui avait tenté, sans succès, de prendre un virage différent en mettant en lumière les deux noms les plus brillants de l’école allemande des «laptop trainers», ces tacticiens dépourvus d’expérience de joueur de haut niveau. Ni Julian Nagelsmann ni Thomas Tuchel ne sont parvenus à séduire durablement le vestiaire du Rekordmeister, pas plus qu’à se mettre dans la poche des dirigeants exigeants. «Le club a été dirigé pendant des décennies par d’anciens joueurs, reprend Philipp Lahm. Que ce soit Franz Beckenbauer, Karl-Heinz Rummenigge ou Uli Hoeness. Des théoriciens sans expérience pratique vivront donc toujours des moments difficiles sur le banc à Munich.»
Un coach poli et malin
Kompany, lui, bénéficie du double avantage d’être un ancien joueur de haut vol et un fin politicien. Lors de l’Oktoberfest, tradition à laquelle les joueurs du Bayern participent habituellement de façon minutée et extrêmement régulée, il s’est montré plus permissif que ses prédécesseurs, faisant confiance à ses ouailles pour être responsables lors des moments de fête passés en équipe ou en famille. En conférence de presse, il ne manque jamais une opportunité de saluer le professionnalisme de ses joueurs, lesquels multiplient récemment les compliments à son égard. Le buteur Harry Kane, mais aussi les tauliers Joshua Kimmich, Leon Goretzka ou Manuel Neuer aiment raconter à quel point jouer pour le Bayern de Vincent Kompany est un plaisir.
Les félicitations viennent également d’en haut, adressées par les exigeants Uli Hoeness ou Karl-Heinz Rummenigge, et Kompany les accueille avec un sourire poli mais la réserve d’un coach qui connaît parfaitement sa valeur, évitant soigneusement de se mettre démesurément dans la lumière. «Kompany semble avoir compris quelque chose: le Bayern n’est pas un club comme les autres, ajoute encore Philipp Lahm à The Athletic. Les joueurs ont une grande influence, et tout le monde sait que Hoeness et Rummenigge sont toujours présents. Cela signifie que si tu veux avoir du succès comme coach ici, tu ne dois pas seulement être un bon tacticien, mais aussi un bon diplomate.»
En Allemagne, on aime dire du coach du Bayern qu’il doit être capable de faire de la politique autant que de la tactique. Ça tombe bien: des discours à l’aura, de la réflexion à l’intelligence émotionnelle, Kompany a tout d’un ministre en crampons.