Kevin De Bruyne a troqué le bleu de Manchester pour celui de Naples. © Getty Images

De Bruyne à Naples: un mariage de passion pour prouver qu’il n’est pas rouillé

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Kevin De Bruyne sera l’attraction principale du championnat italien, qui reprend ce week-end. A Naples, le Diable Rouge redevient le centre de gravité d’un projet sportif alors que Manchester City le poussait vers la sortie.

C’est une petite ville tranquille, escale qui charme les yeux des touristes qui descendent ce que la Campanie appelle la «route des Merveilles». Au sud de Naples, quelques kilomètres avant d’arriver à Sorrente, Sant’Agnello a les atouts de ces lieux de villégiature où l’on passe un été en s’imaginant parfois y rester toute une vie. C’est là qu’au cœur de l’été 2017, à l’époque où la fin du mois de juin était encore synonyme de relâche un an sur deux pour les meilleurs footballeurs de la planète, Michèle Lacroix et Kevin De Bruyne se sont mariés. Dans la discrétion d’un hôtel de luxe offrant une vue d’exception sur le Vésuve, le couple s’est uni à proximité de chez Dries Mertens, alors idole des supporters du sulfureux Napoli. A l’époque, on dit que chaque fenêtre de vacances est un prétexte pour Kevin et Michèle de profiter de la chaleur et des paysages de la côte amalfitaine.

C’est une petite ville tranquille. Une autre. Nichée dans la vallée de la Noce, dans les recoins montagneux du Trentin au nord-est de l’Italie. Huit ans après s’y être marié, Kevin De Bruyne permet maintenant à sa carrière d’épouser l’Italie. A Dimaro, lieu traditionnel de la préparation d’avant-saison du SSC Napoli, le meneur de jeu des Diables Rouges se familiarise avec les préceptes footballistiques sévères de son coach, Antonio Conte. Après avoir travaillé avec Eden Hazard à Chelsea et Romelu Lukaku à l’Inter puis à Naples, l’entraîneur italien a entre les mains un troisième ténor de la fameuse «génération dorée» belge. S’il avait besoin de constater la grandeur de sa nouvelle recrue, les clameurs qui retentissent à chacune des touches de balle de KDB lors de ses premiers entraînements suffit à situer l’ampleur du transfert. «On parle quand même de l’un des meilleurs milieux de terrain de la dernière décennie», affirme Christian Vieri, ancien buteur devenu analyste du jeu italien.

A Dimaro, Kevin De Bruyne a fait connaissance avec les préparations à l’italienne. © SSC NAPOLI via Getty Images

Quelques années plus tôt, imaginer De Bruyne troquer le bleu ciel de Manchester City contre celui de Naples avait des airs d’utopie. En 2023 encore, le Belge se classe quatrième du Ballon d’or et sort d’une saison exceptionnelle où ses Cityzens ont remporté le championnat, la coupe d’Angleterre et surtout la fameuse Ligue des Champions, trophée majeur qui manquait à leur palmarès. Un an plus tôt, KDB était même le premier joueur noir-jaune-rouge à monter sur le podium de ce Ballon d’or si convoité, Graal individuel du sport collectif. Lors de l’édition 2024, en revanche, il ne fait même plus partie des 30 nominés. S’il est encore champion d’Angleterre, pour la quatrième fois consécutive et la sixième fois depuis son arrivée de l’autre côté de la Manche dix ans plus tôt, Kevin De Bruyne ne foule la pelouse qu’à 26 reprises lors d’une saison où les hommes de Pep Guardiola disputent pourtant 59 matchs. A un an de la fin de son contrat, la trentaine bien entamée et les blessures qui se soignent de plus en plus lentement, les portes d’un départ s’entrouvrent.

Son esprit orgueilleux ne pouvait pas vivre l’affront d’une mise à l’écart des sommets européens.

Départ sans gloire pour De Bruyne

Cette mise à l’écart d’un projet qu’il a mené jusqu’aux sommets du football mondial, Kevin De Bruyne la trouve plutôt amère. Tout au long de l’année écoulée, la dernière de son contrat, le Belge a espéré voir une proposition de prolongation arriver sur la table. «Je n’ai reçu aucune offre de toute l’année. J’ai évidemment été un peu surpris, mais je dois l’accepter», confie le Diable Rouge à la presse rassemblée pour saluer son arrivée sur le sol italien. Pour lui, l’explication est claire: il est devenu trop vieux et surtout trop cher pour les dirigeants de Manchester City, éloignés de toute considération émotionnelle à l’heure de faire des choix. Ou, autrement dit: «C’est essentiellement une question d’ordre économique pour eux, ils prennent simplement des décisions en fonction de cela.»

Il y a pourtant un peu de sportif, aussi, derrière le choix posé par les Cityzens de ne pas prolonger l’aventure de Kevin De Bruyne à Manchester. Parce que la saison écoulée a été la pire depuis le début de l’ère Guardiola, entamée au cours de l’été 2016. Neuf défaites en 38 journées, et surtout 71 points «seulement», alors que les huit exercices précédents s’étaient conclus entre 78 (pour sa première année) et 100 unités. Les pensionnaires de l’Etihad Stadium ont semblé à bout de souffle, il fallait régénérer le noyau pour entamer avec des batteries rechargées le dernier cycle accepté par Guardiola quand il a prolongé, à l’automne dernier, son bail d’entraîneur jusqu’en juin 2027. En janvier puis cet été, les propriétaires émiratis ont ainsi déboursé un peu plus de 390 millions d’euros durant le mercato pour attirer dans la brumeuse Manchester de nouveaux talents comme Tijjani Reijnders (Milan AC), Rayan Cherki (Lyon) ou Omar Marmoush (Francfort).

Derrière cette valse sur le marché des transferts, il y a la volonté de revitaliser l’équipe. De lui redonner des jambes pour affronter les réalités d’une Premier League où le marquage individuel est devenu la norme au milieu de terrain et où il est aujourd’hui impossible de bien jouer sans bien courir. L’intensité proposée par Liverpool, Arsenal ou même Chelsea, sans compter les équipes émergentes comme Newcastle ou Nottingham, met rapidement les trentenaires à l’écart de la manœuvre au cœur du jeu. Si Kevin De Bruyne a évidemment encore bien des coups de génie en réserve au bout de son pied droit, il n’est plus capable de tenir le rythme, notamment défensif, des sommets de Premier League ou des grands matchs européens. Passé tout près de l’élimination dès la phase de la ligue, sorti par un Real Madrid insipide dès les barrages, Manchester City a visiblement retenu certaines leçons de sa plus mauvaise saison depuis une décennie. Parmi celles-ci, le fait que Kevin De Bruyne n’était plus incontournable pour regarder vers le futur.

La drague à la napolitaine

Beaucoup l’imaginaient alors traverser l’Atlantique, pour couler une préretraite paisible sur les terrains de la Major League Soccer (MLS) tout en se plongeant dans une culture américaine qui parle énormément à ce grand fan de NBA. D’autres le voyaient diminuer le rythme et augmenter son salaire en optant pour la Saudi League, le très riche championnat saoudien qui accueille beaucoup de trentenaires passés par les grands d’Europe. De Bruyne, lui, avait probablement trop faim pour ça. Son esprit toujours orgueilleux ne pouvait pas vivre si paisiblement l’affront d’une mise à l’écart des sommets européens. Alors en course pour le titre de champion d’Italie, et grâce au relais d’un Romelu Lukaku qui a servi d’intermédiaire de luxe dans les négociations, le Napoli s’est mis à prendre la température.

Les retrouvailles avec Romelu Lukaku ont évidemment joué un rôle dans le choix de Kevin De Bruyne. © DeFodi Images via Getty Images

Au pied du Vésuve, le recyclage à succès des joueurs de Premier League est devenu une marque de fabrique. En plus de Romelu Lukaku, jugé insuffisant par Chelsea mais une nouvelle fois important dans la course au titre italienne après son «Scudetto» remporté avec l’Inter, le club s’est ainsi offert les services de Scott McTominay l’été dernier. Jamais vraiment considéré comme un joueur d’élite dans un Manchester United pourtant en crise, l’Ecossais n’a pas tardé à mettre l’Italie à sa botte. Avec douze buts et six passes décisives, McTominay a été l’homme fort de la course au titre des Napolitains, au point d’être élu meilleur joueur de la saison italienne. De Manchester à Naples, la transition a donc déjà été éprouvée.

C’est ainsi en terrain presque connu, du côté bleu de la ville anglaise, que le directeur sportif Giovanni Manna s’est rendu au début du mois d’avril pour présenter à Kevin De Bruyne le package de sa nouvelle vie potentielle: une «dolce vita» pour sa famille, suffisamment en retrait du centre-ville pour éviter la folie des «tifosi», des tribunes qui ne jureront que par lui et un projet sportif dans lequel il jouera un rôle central, sous les ordres d’un Antonio Conte qui sait comment étoffer le palmarès de ses joueurs. Si l’avenir du coach italien au stade Diego Maradona s’est un moment écrit en pointillé, Conte ayant l’habitude de missions courtes et abouties suivies de clashs avec ses dirigeants, l’arrivée de Kevin De Bruyne l’a convaincu des ambitions locales. «Dans une phase de reconstruction comme la nôtre, c’est une figure incontournable», a déclaré Antonio Conte au sujet de sa nouvelle recrue. «C’est un joueur de grande qualité, qui voit des choses que tant d’autres ne voient pas. Il a encore beaucoup à donner au football.»

«Il n’est pas venu ici pour faire de la figuration.»

Le 10 de Maradona à l’entraînement

C’est donc avec en poche un contrat de deux ans, ainsi qu’une option pour une année complémentaire, que Kevin De Bruyne a enfilé les équipements de Naples pour la première fois au début de l’été. Avec deux choses pointées par les observateurs entre les ovations des tifosi présents aux entraînements.

La première, c’est que le maillot semblait coller un peu trop à la peau d’un joueur qui paraît avoir profité de ses courtes vacances. En coulisses, certains font la comparaison avec l’état de forme d’Eden Hazard lors de son arrivée à Madrid. Très vite, c’est toutefois avec ses pieds que KDB a mis tout le monde d’accord, sans traîner pour mettre ses premiers buts et assists en match amical tout en dictant le tempo du jeu de ses nouvelles couleurs, en patron.

La deuxième, c’est ce tee-shirt d’entraînement marqué d’un discret numéro 10 qui a alimenté les articles de la presse italienne et les conversations des supporters du Napoli. Parce qu’à Naples, le 10 est retiré en l’honneur de Diego Maradona, idole de la ville au siècle dernier quand il avait offert presque à lui seul le titre à ceux qu’on surnomme les «Partenopei». Très vite, sur ses réseaux sociaux, Kevin De Bruyne a éteint la rumeur en expliquant que cette tenue était un cadeau du club, mais qu’il porterait bel et bien le numéro 11 en match, laissé libre par Romelu Lukaku qui s’est rabattu sur le 9. Toujours est-il que ce geste du Napoli, unique malgré quelques champions passés sous le maillot bleu ciel lors des trois dernières décennies, illustre à merveille l’importance du Diable Rouge aux yeux de ses nouveaux hôtes.

Malgré une tenue d’entrainement floquée du numéro 10, c’est bien avec le 11 que Kevin De Bruyne jouera à Naples. © NurPhoto via Getty Images

Bien plus que Luka Modrić, pourtant lauréat du Ballon d’or en 2018 et encore membre du Real Madrid la saison dernière, Kevin De Bruyne est vu comme le transfert majeur de l’été italien. Entraîneur légendaire du Milan AC dans les années 1990 et devenu un analyste très écouté dans la presse italienne, Arrigo Sacchi s’enthousiasme aussi pour l’arrivée d’un joueur qu’il présente comme «un véritable professeur»: «Il a envie de se remettre en jeu. C’est un garçon sérieux qui n’est pas venu ici pour faire de la figuration.» Parce que s’il aime le bleu de la mer Tyrrhénienne qu’on aperçoit depuis les rivages de la côte amalfitaine et les charmes de la vie à l’italienne, Kevin De Bruyne aime surtout gagner. S’il venait à croiser la route de ses anciens patrons au maillot bleu ciel à l’occasion de la Ligue des Champions, sa motivation serait au sommet.

Et s’il veut tout de même voir l’Amérique, il pourra compter sur Romelu Lukaku et Rudi Garcia (sélectionneur des Diables et ancien coach éphémère du Napoli) pour le guider jusqu’à l’autre rive de l’Atlantique l’été prochain. La Coupe du monde 2026 sera probablement sa dernière, et KDB a toujours eu le sens de l’apothéose.

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