En l’absence de Lukaku et face à la crise de confiance d’Openda, la Belgique n’a presque plus de véritable buteur dans son réservoir. Une question de culture et de formation.
Parce que sa position, tant sur le terrain que dans l’ordre alphabétique, était propice au maintien du suspense, beaucoup s’attendaient à ce que le dernier nom égrené par Rudi Garcia soit celui de Romeo Vermant. Tout juste de retour de blessure, mais déjà buteur contre le Standard, le puncheur du Club de Bruges avait tout pour être la nouvelle tête de la liste nationale pour affronter la Macédoine du Nord et le Pays de Galles, adversaires principaux sur la route de la Coupe du monde 2026. Il est aussi, en compagnie de Lucas Stassin, une source d’espoir pour la Belgique à l’heure où la retraite de Romelu Lukaku ne fait que se rapprocher. Pourtant, le dernier nom des 26 cités par le sélectionneur français est celui de Leandro Trossard.
En l’absence du meilleur buteur de l’histoire des Diables, Rudi Garcia préfère donc miser sur des noms familiers. Ceux de Loïs Openda, lancé sous le maillot belge par Roberto Martínez voici déjà plus de trois ans (en juin 2022) et devenu doublure officielle de «Big Rom», et de Michy Batshuayi, ancien porteur de ce costume de supersub qui n’aura jamais bouleversé la hiérarchie. Ce dernier a connu sa première apparition avec la Belgique en mars 2015, voici déjà une décennie, mais est toujours la roue de secours favorite des Diables. Il faut dire que depuis, seuls quatre attaquants ont connu l’honneur de rejoindre la sélection nationale, trois d’entre eux n’ayant plus jamais l’occasion de le revivre par la suite. Les piges de Laurent Depoitre (en 2015), Dante Vanzeir (en 2022) et Norman Bassette (en 2024) sont restées des one-shot, laissant le seul Openda s’installer véritablement dans le groupe diabolique.
«Ce sont deux matchs importants, et des matchs où il faudra avoir de l’expérience, donc c’est normal que Michy soit là», justifie Rudi Garcia, reconnaissant que Vermant et Stassin ont été envisagés, mais que son groupe ne devrait pas intégrer de nouveaux membres dans les jours à venir, même si une blessure devait passer par là. Le signe qu’au poste de numéro 9, même en l’absence de Romelu Lukaku, les portes des Diables restent difficiles à ouvrir. Peut-être parce qu’aucun attaquant ne semble actuellement en mesure de les pousser assez fort.
«Le poste d’attaquant ne fait plus autant rêver qu’avant.»
L’ailier avant le buteur
«Pour avoir un joueur comme Lukaku, il faudra encore attendre 20 ans», explique à la DH l’ancien directeur de la formation d’Anderlecht, Jean Kindermans. Celui qui gère aujourd’hui les jeunes pousses de l’Antwerp détaille alors une crise au poste d’attaquant, «le plus difficile parce qu’il faut rassembler beaucoup de qualités physiques et techniques, en plus d’avoir l’instinct du but», tout en précisant que «le poste ne fait plus autant rêver qu’avant».
La pénurie semble effectivement mondiale. Parce que dans des bastions historiques des buteurs comme l’Allemagne du «Bomber» ou l’Italie des «Cannonieri», on peine à voir éclore les héritiers de Miroslav Klose ou Filippo Inzaghi, derniers spécimens marquants du genre. Qu’en Espagne, en Angleterre, aux Pays-Bas ou au Brésil, les phénomènes en pointe de l’attaque se font également attendre. Ce sont désormais les ailiers qui pullulent, ces joueurs qui partent de leur flanc pour rentrer dans la surface et enrouler des frappes spectaculaires vers le fond des filets. Des joueurs qui, surtout, entrent beaucoup plus souvent en contact avec le ballon. A la sortie de son match de Ligue des champions contre Monaco, un journaliste de beIN Sports demande ainsi à Erling Haaland, représentant majeur de la race des buteurs, comment il est parvenu à rester concentré pour marquer deux buts en n’étant pas impliqué dans le match, puisqu’il n’a touché que sept fois le ballon lors des 45 minutes inaugurales. La réponse du Norvégien claque comme une frappe dans le petit filet: «Je pense que je suis toujours impliqué dans le match. Je fais des mouvements, je donne des espaces aux autres. Etre impliqué dans le match, ce n’est pas seulement toucher la balle.»
Ce n’est visiblement pas l’avis de la Fédération belge, qui a adapté depuis deux décennies tout son processus de formation dans le but de développer des joueurs qui vivent le plus souvent possible au contact du ballon. En installant des matchs à deux contre deux, puis trois contre trois chez les enfants de 5 et 6 ans, avant de disputer des rencontres à cinq contre cinq avec des gardiens, l’école belge du football préconise le contact direct avec la balle, incitant les jeunes joueurs à exprimer leur créativité par le dribble. Une philosophie qui fait naître des ailiers par dizaines, laissant à Rudi Garcia le choix luxueux de se passer de Johan Bakayoko ou Diego Moreira parce qu’il a déjà sous la main Jérémy Doku, Leandro Trossard, Malick Fofana ou Dodi Lukebakio. Dans les deux surfaces, en revanche, les joueurs se font plus rares. Roberto Martínez l’avait déjà remarqué lors de son passage à la tête de l’équipe nationale, comme le souligne l’ancien directeur technique Chris Van Puyvelde: «On s’est longtemps occupé de la formation, et peut-être pas assez de la victoire et de l’efficacité. Roberto nous avait fait remarquer que beaucoup de nos entraînements se donnaient entre les deux rectangles, sans prendre en compte les zones où les matchs se décident le plus souvent.»
Les embûches du buteur belge
Dans ces circonstances, devenir un buteur relève déjà de l’exceptionnel. Depuis Michy Batshuayi, tous les Belges parvenus à un certain statut au poste de numéro 9 ont d’ailleurs une histoire singulière. Loïs Openda avait été poussé vers la sortie au Standard, notamment pour des histoires d’agent, et avait peiné à se faire une place à Bruges. Lancé progressivement par Ivan Leko, il n’avait pas vraiment été considéré par Philippe Clement, son éclosion passant finalement par un prêt aux Pays-Bas puis un transfert à Lens.
Plus récemment, Lucas Stassin a dû trouver son bonheur à Westerlo quand Anderlecht a ouvert les portes pour son départ, l’entraîneur Brian Riemer lui reprochant un manque d’implication physique dans l’effort collectif et une déconnexion du jeu de l’équipe. C’est également à Westerlo que Romeo Vermant a lancé sa carrière à Bruges. Prêté en Campine, il est revenu dans la Venise du Nord pour se faire une place dans le onze de Nicky Hayen alors qu’au départ, rares étaient ceux qui croyaient véritablement en lui au sein même de la structure blauw en zwart.
La preuve que pour le football belge, le buteur reste une race difficile à apprivoiser. Premier Belge à boucler la saison nationale avec le «Taureau d’or» de meilleur buteur sur les épaules depuis Romelu Lukaku (en 2010), Hugo Cuypers n’a pas récolté mieux qu’un transfert vers la Major League Soccer américaine après sa très belle saison 2022-2023. Pour lui aussi, il avait fallu passer par la Grèce et les divisions inférieures françaises avant de se faire une place dans un onze de Jupiler Pro League, précisément à Malines avant de décrocher un ticket vers La Gantoise. Le même sort a été réservé à Adriano Bertaccini, prometteur chez les jeunes à Genk mais passé par l’Autriche, la D3 puis la D2 belges pour vivre son rêve d’élite nationale à Saint-Trond. Meilleur buteur du championnat la saison dernière, il est désormais à Anderlecht, et entend parfois son nom associé à celui des Diables Rouges au bout d’un parcours vécu hors des clous de la rigoureuse politique des centres de formation. Un monde où on n’a visiblement pas beaucoup de place pour les attaquants.
«Plus tu marques des buts, plus ta vie s’améliore.»
L’école de la vie
Peut-être ces écolages sont-ils trop propres pour former des buteurs, joueurs qui cassent forcément les codes. Souvent, ceux-là sont issus de milieux plus précaires, avec le football comme seule issue et les filets qui tremblent comme chemin le plus court. Comète passée par Charleroi avant de devenir champion d’Italie à Naples, Victor Osimhen a ainsi grandi dans les rues de Lagos, dans une famille très pauvre, et racontait que «plus tu marques des buts, plus ta vie s’améliore». Multiple meilleur buteur du championnat belge, Hamdi Harbaoui marquait des buts sur la plage tunisienne, dans des matchs où chacun misait son argent de poche avant que la mise soit partagée entre les vainqueurs. Une formation «à la dure», bien éloignée de l’ouate des centres de formation.
Certains tirent néanmoins leur épingle du jeu grâce à du travail spécifique. Avec le staff, comme Loïs Openda l’avait fait en compagnie des adjoints d’Ivan Leko à Bruges, travaillant autant ses réflexes que sa confiance, ou avec des mentors de choix. Lukaku a énormément progressé chez les Diables au contact de Thierry Henry, buteur français devenu adjoint belge, ainsi que de son père Roger Lukaku, ancien buteur du championnat belge. On dit aussi que la carrière d’Erling Haaland a changé à la veille d’un quadruplé marqué contre Bergen, quand il portait les couleurs de Molde. Lors du dernier entraînement avant la rencontre, il avait passé 25 minutes à travailler spécifiquement avec son entraîneur. Un certain Ole Gunnar Solskjaer, ancien buteur de Manchester United.
Pour devenir un buteur, le mieux est donc peut-être d’en côtoyer.