Dépassé dans la capitale, Anderlecht tente de refaire son retard sur l’Union. Le problème, c’est que le Sporting a peut-être mis trop de monde à bord pour mener à bien cette mission.
L’été chauffe les tribunes du Lotto Park, mais ce sont les visiteurs qui s’occupent d’agiter les braises. En ouverture de la saison 2021-2022, Anderlecht accueille le promu, l’Union Saint-Gilloise, pour un derby qui sent bon la reprise. Francis Amuzu agite la défense jaune et bleue, mais c’est Deniz Undav qui montre les biceps avec un doublé. Au pied de gradins encore clairsemés par les derniers soubresauts de la crise sanitaire, Felice Mazzù célèbre bruyamment le premier coup d’éclat d’une saison qui transformera l’Union en candidate au titre. Sans le savoir, l’entraîneur carolo lance également une série de huit victoires consécutives des Saint-Gillois contre leurs puissants voisins.
Quatre saisons sont passées, et ce qui aurait pu être une défaite anecdotique ressemble a posteriori à l’incipit d’un changement de règne sur la capitale. En quinze confrontations depuis ce 25 juillet 2021, l’Union s’est imposée à onze reprises, contre une seule victoire pour Anderlecht (trois matchs nuls). Lors des play-offs du printemps 2024, quand les hommes d’Alexander Blessin ont craqué en vue d’un titre qui leur tendait les bras, les Mauves ont cru vaincre une interminable malédiction. Depuis, les Jaune et Bleu du parc Duden ont pourtant remis les points sur les i: lors des cinq derniers duels entre représentants bruxellois, le Sporting n’a plus marqué le moindre but. En quinze opportunités, les Anderlechtois n’ont trouvé le chemin des filets de leurs voisins qu’à neuf reprises. Un but toutes les 150 minutes, alors que l’Union plombe les gardiens mauves toutes les 52 minutes.
Tous les chiffres font mal à Anderlecht. Certains plus que d’autres. Notamment ceux qui attestent qu’en quatre saisons, les Unionistes ont pris 53 points de plus que les Mauves en phase classique, et même 78 si on y ajoute les play-offs. Un gouffre symbolisé par un autre chiffre, plus ténu, et pourtant bien plus douloureux: deux, comme le nombre de coupes ramenées à Saint-Gilles depuis quatre ans (une Coupe de Belgique en 2024, un titre de champion en 2025) alors qu’à Anderlecht, la dernière mise à jour de la salle des trophées remonte déjà à 2017.
Le plus grand palmarès du pays semble s’être accoutumé à son statut de deuxième club bruxellois.
Anderlecht et les (mauvais) copions
Très vite, la success-story unioniste tape dans l’œil du président mauve. Wouter Vandenhaute se montre déçu, en interne, des résultats atteints par Vincent Kompany. Ses hommes de confiance lui proposent une série de profils pour prendre le relais de la légende locale à la tête de l’équipe, mais il ne jure alors que par Felice Mazzù. Charmé par l’intensité et l’énergie du jeu des Saint-Gillois, Vandenhaute considère que la recette du succès de ses voisins tient principalement à la personnalité de leur entraîneur. L’aventure ne passera pourtant pas l’automne, et la suite des trajectoires de l’Union, de Felice Mazzù et de Vincent Kompany laisse penser que les calculs n’étaient pas bons.
Depuis cet échec, Anderlecht n’est plus jamais tombé dans la copie si grossière du modèle si rémunérateur de son rival inattendu. Le plus grand palmarès du pays s’est toutefois indirectement accoutumé à son nouveau et dérangeant statut de deuxième club bruxellois, lorgnant sur le modèle unioniste pour tenter de retrouver la voie du succès. Tout ça dans le sillage de Wouter Vandenhaute qui, derrière des discours officiels où il aime vanter la supériorité historique des Mauves sur leurs concurrents, se démène pour tenter de rejoindre Bruges et l’Union au sommet de la pyramide nationale. Ne peut-on pas comparer l’arrivée dans le staff mauve de Lucas Biglia au choix de l’Union pour Kevin Mirallas, souvent (sur)vendu comme décisif dans la course au titre?
Le premier chantier est alors celui de ces fameuses «datas» dont on dit qu’elles confèrent à l’Union un avantage important dans le recrutement. Toujours proche de son ancien CEO Peter Verbeke, lequel est conscient de l’importance de l’utilisation des données sans réellement les utiliser lui-même, Wouter Vandenhaute a choisi comme nouveau chef des opérations sportives le jeune Tim Borguet, également considéré comme très éveillé aux nouvelles technologies. Dès le premier été de sa prise de fonction, Anderlecht se retrouve sur un dossier de recrutement similaire à ceux qui occupent habituellement les recruteurs de l’Union, et le remporte: Enric Llansana ressortait dans les statistiques comme le milieu défensif le plus performant de l’Eredivisie, la première division néerlandaise. Les comparaisons avec les datas de Charles Vanhoutte, chef d’orchestre du milieu de terrain des Saint-Gillois, étaient étonnantes de similarité. Finalement, c’est à Anderlecht que le Batave né en Espagne a posé les crampons.
Renard en solitaire
Malgré les arrivées d’Ilay Camara ou d’Adriano Bertaccini, certaines habitudes semblent avoir changé dans les bureaux de Neerpede. Avec le départ de Jesper Fredberg, Anderlecht a cessé de miser sur des éléments chevronnés et onéreux comme Kasper Schmeichel, Thomas Delaney ou Thorgan Hazard pour se tourner vers des jeunes sortis de ligues inattendues. Pas vraiment adepte des datas, ni même du suivi des conseils de sa cellule de recrutement, c’est toutefois souvent en solitaire qu’Olivier Renard joue ses coups sur le marché des transferts dans des territoires peu explorés par le Sporting bruxellois.
Après Cédric Hatenboer en janvier, le jeune Serbe Mihajlo Cvetković a rejoint le côté mauve de Bruxelles cet été contre un montant à sept chiffres. Sans succès pour l’instant, le coach Besnik Hasi jugeant les renforts trop tendres pour déjà s’imposer dans l’élite belge. Déjà plus expérimentés, le Mexicain César Huerta (transfert de janvier) et le Canadien Nathan Saliba sont également des coups de Renard, venus hors des circuits habituels des Anderlechtois.
Rayon créativité offensive, le talent à suivre du début de saison est plutôt un coup de… Peter Verbeke. Nilson Angulo a atterri voici trois ans depuis l’Equateur et est enfin arrivé à maturité après une période d’adaptation si longue qu’il avait déjà trouvé sa place dans la catégorie des flops. C’est aussi au rayon du recrutement «moderne» que le véloce ailier sud-américain avait tapé dans l’œil d’une cellule de recrutement de Neerpede alors renouvelée par Verbeke, avec des profils plus jeunes et moins souvent en scouting sur le terrain pour avaler des vidéos.
Chez les Mauves, rien n’est clair dans la hiérarchie. Tout le monde met son grain de sel.
Anderlecht et le bonus Neerpede
Si le club le plus titré du pays tente de rattraper son retard sur ses meilleurs ennemis, il reste toutefois un aspect pour lequel il est à la traîne en comparaison avec l’Union et le Club de Bruges. A Anderlecht, rien n’est clair dans la hiérarchie. L’organigramme hypermouvant mis en place par Wouter Vandenhaute a multiplié les fortes personnalités héritant sur papier d’un important pouvoir décisionnel. En théorie, la formule doit placer de nombreux experts dans leur fonction de prédilection pour faire grandir le club. Dans les faits, cependant, le pouvoir ne reste qu’entre les mains de quelques-uns et fait pulluler les frustrations au sein de la hiérarchie bruxelloise.
On est loin de ce Club de Bruges où Bart Verhaeghe, ainsi que Vincent Mannaert avant son départ, ont toujours fait en sorte de garder leurs collaborateurs dans l’anonymat et de trancher pour les décisions finales après avoir rassemblé les avis de leurs spécialistes. Tout aussi éloigné de cette Union Saint-Gilloise où les chiffres de la société Starlizard sont une religion professée par le président Alex Muzio, secondé par Chris O’Loughlin pour le volet sportif. Parce qu’au Lotto Park, trop de gens sont habilités à mettre leur grain de sel dans un transfert pour que les méthodes unionistes soient applicables. On n’imaginerait pas Muzio pousser sans fondement statistique un transfert comme l’a ainsi fait Wouter Vandenhaute pour les venues de Jan Vertonghen, Thorgan Hazard, Thomas Foket ou Leander Dendoncker lors des dernières saisons. A Anderlecht, il n’y a personne non plus pour répondre: «Désolé, il n’apparaît pas dans nos bases de données, donc ça ne nous intéresse pas», quand un agent propose un joueur à l’un ou l’autre des très nombreux décisionnaires potentiels. La ligne de conduite n’est pas claire, et coûte cher aux Mauves dans leurs tentatives de remontée vers les sommets.
Dans la capitale, Anderlecht conserve toutefois un avantage majeur sur son concurrent: le vivier de son école de jeunes, là où l’Union peine à faire briller ceux qui sortent des écueils d’un centre de formation loin d’être en phase avec les standards du haut niveau. Cet été, les Mauves ont d’ailleurs attiré Naïm Aarab et Arnaud Djoum à Neerpede. Les deux hommes travaillaient chez les U23 des Saint-Gillois et ont rejoint la formation anderlechtoise pour y «franchir un palier» dans leur carrière. Ils pourront y façonner des talents qui permettent encore au Sporting mauve de faire la différence sur son encombrant voisin. Après tout, en ce fameux jour de juillet 2021, celui où tout a changé, le seul but des Mauves avait été marqué par Yari Verschaeren.