
«Être végan n’a aucun impact négatif sur mes performances»
Dans cette rubrique, partons à la découverte de l’homme derrière le footballeur ou l’entraîneur. Qui est-il? Comment est-il devenu ce qu’il est? Que veut-il? Notre invité: le défenseur de l’Union Christian Burgess.
Au moment où il se lève de table, à la fin de l’interview, Christian Burgess prend le petit chocolat servi avec le café. «Je le mange tout à l’heure, c’est du noir.» On lui fait alors remarquer qu’il contient du lait. Il lit la composition sur l’emballage et remet la douceur sur la table. «Dommage, mais alors non.»
Le défenseur central de l’Union est végan et ne fait aucune exception. Le rendez-vous a été fixé au Pain Quotidien, au Sablon. Il aime l’endroit parce qu’on y trouve de tout, pour tous les goûts, pour reprendre son expression. Que l’on soit végan ou que l’on consomme des produits issus des animaux, on peut y trouver son bonheur. Il commande un double expresso puis se met à raconter son histoire, son parcours. Il est habitué à se servir des interviews pour passer son message.
Il y a cinq ans, deux coéquipiers de Portsmouth lui ont expliqué leur vie végane et lui ont parlé de documentaires sur le sujet. Burgess les a regardés et a été choqué par ce qu’il a vu. Il a été tellement marqué par la souffrance animale et par les conséquences sur la planète qu’il a viré sa cuti du jour au lendemain. «Depuis ce jour-là, je ne consomme plus aucun produit d’origine animale. Je me suis dit que j’allais faire ça aussi longtemps que ça n’avait pas d’impact négatif sur mon football, et il n’y en a jamais eu. J’ai aussi subi une transformation mentale. Je suis vraiment content d’avoir fait ce choix.»
Dès qu’il aborde l’élevage, il a du mal à trouver les mots. «It’s really…» Puis il se lâche: «J’adore voyager. Je suis allé notamment au Brésil, en Indonésie, en Malaisie. J’ai vu des forêts tropicales magnifiques, des animaux en liberté, une nature superbe. Je n’imaginais pas que tout ça pouvait être détruit. L’élevage est terriblement destructeur. Sans parler des souffrances qu’on inflige aux animaux, vu la façon dont on les traite.»
Il explique tout ça à ses coéquipiers de l’Union qui lui posent des questions. Au début, ils étaient assez étonnés, et évidemment, ils font parfois des blagues sur le sujet. «Les gens en Belgique ne sont pas aussi intéressés par le véganisme que les Anglais. Il y a un peu de retard ici.»
Être végan, ce n’est pas simplement une façon de s’alimenter. C’est tout un mode de vie. Christian Burgess a toujours manifesté de l’intérêt pour plein de choses à travers le monde, pour les inégalités qui frappent la société. Mais ses yeux se sont vraiment ouverts quand il a visionné les fameux documentaires. Dès ce moment-là, il a quitté son costume de simple spectateur pour passer dans le camp des activistes. Finalement, les germes de ce changement d’attitude remontent à sa jeunesse.
«Mes parents se sont toujours sacrifiés pour nous»
Il a grandi à Barking, dans la banlieue londonienne. «C’était la vie qui caractérise les grandes villes. Un environnement typiquement urbain, du chaos, de la pression.» Il est le deuxième des trois enfants de la maisonnée. Il a un grand frère, Thomas, et une petite sœur, Louise. «On habitait dans une petite maison et on était en permanence les uns sur les autres. Tous les trois, on avait un esprit de compétition développé et on était très énergiques. On aimait faire du sport et on avait souvent des discussions animées. À certains moments, c’était une mad house. Je crois que mes parents n’ont pas rigolé tous les jours avec nous. Surtout ma mère. Elle travaillait énormément pour qu’on ne manque de rien. Mes parents se sont toujours sacrifiés pour nous et ils ont très bien fait ça. Grâce à eux, on a eu tous les trois des opportunités intéressantes. On est vraiment reconnaissants. Un jour, on leur renverra l’ascenseur.»
Les gens en Belgique ne sont pas aussi intéressés par le véganisme que les Anglais. Il y a un peu de retard ici.» Christian Burgess
Ces parents généreux et dévoués avaient mis une condition: les enfants devaient être performants sur les bancs de l’école. Il faut dire qu’ils étaient tous les deux enseignants. «Ils ont bien insisté pour qu’on ne choisisse pas le même métier. C’est triste parce que c’est un job noble et indispensable, mais la pression est de plus en plus forte, tandis que les salaires et les conditions de travail ne suivent pas. Mes parents n’avaient pas eu trop le choix, ils avaient grandi chichement et leur boulot à l’école leur a permis de s’en sortir. Ils se sont construit une vie agréable en travaillant beaucoup, mais pour nous, il était évident qu’on n’allait pas les imiter.»
Tony et Aisa ont régulièrement parlé à leurs enfants de ce qu’ils avaient vécu dans leur jeunesse. La mère du joueur de l’Union a grandi à Jaywick, sur la côte est de l’Angleterre. C’est l’une des régions les plus pauvres du pays. Elle s’est retrouvée du jour au lendemain avec sa mère et quatre frères et sœurs, quand le père a quitté le nid. La mère a donc dû assumer seule leur entretien et leur éducation. Pour gagner sa vie, elle passait elle aussi ses journées en classe, comme enseignante.
Une partie de sa famille réside toujours au même endroit et Christian Burgess a visité la maison où sa mère a grandi. «Vous ne pouvez pas le croire si vous n’êtes pas allé sur place. Ça ressemble plus à une caravane qu’à une maison. C’est incroyable d’imaginer qu’une maman et ses cinq enfants se sont tenus là-dedans. Ils dormaient tous dans le même petit espace. Mais pour eux, c’était normal, ils ne se posaient pas de questions. Ils disent encore aujourd’hui qu’ils n’ont pas été malheureux. Par contre, ils ne mangeaient pas à leur faim.»
Des traces concrètes de cette période sont restées chez la mère de l’Unioniste. Par exemple, elle mange très vite. «Mettez-lui une assiette devant le nez et elle est vide en deux minutes. Ils n’avaient pas grand-chose à manger et ils devaient tout partager en six. Quand ses frères avaient fini leur assiette, ils s’attaquaient à la sienne. C’est pour ça qu’elle continue à avaler à la vitesse de l’éclair tout ce qui se présente à elle. On en rigole souvent, mais c’est triste à mourir.»
«Mon père est monté sur un bateau sans savoir où il allait s’arrêter»
Le père de Christian Burgess a perdu sa mère très tôt et il a lui aussi grandi dans une famille qui tirait le diable par la queue. Pour éviter un avenir dans un petit commerce ou un supermarché, il a mis les voiles à 17 ans. Il a quitté l’Angleterre et est parti sur les routes. «Il ne nous en a pas beaucoup parlé. Mon père est un homme très discret, il est plus calme que ma mère. Il nous a raconté qu’il était notamment allé en Australie pour bosser dans des mines parce que ça payait bien. Là-bas, il a joué au foot. Au total, il est resté à l’étranger pendant une douzaine d’années. Il a longtemps habité en Nouvelle- Zélande et il est encore chaque année en contact avec des amis de là-bas.»
Christian Burgess constate qu’il a le même état d’esprit que son paternel. Ce sont deux aventuriers qui veulent découvrir le monde, multiplier les aventures, rencontrer les beautés de la planète. «Mon père est monté sur un bateau sans savoir où il allait s’arrêter. Il a fait beaucoup d’autostop et il avait toujours un couteau sur lui. Parfois, c’était très dangereux. Il a dû sortir une fois son arme, face à un chauffeur de poids lourd. Mais il ne nous a pas donné beaucoup de détails sur cet incident.» Le joueur fait une pause, réfléchit, puis reprend son laïus. «Je voudrais bien lui poser plus de questions sur sa jeunesse. Je suis curieux de savoir ce qu’il a vécu. Il est un peu plus âgé que ma mère, il a 77 ans, il a grandi après la Seconde guerre mondiale. C’était une époque particulière. Par exemple, il recevait des coups de ceinture quand il avait fait une connerie.»
Ma mère dévore ses assiettes, on en rigole mais c’est triste à mourir.» Christian Burgess
Christian Burgess explique qu’à cause de la grande différence d’âge, ce n’était pas toujours simple de se connecter avec son père. Même s’ils ont toujours entretenu un bon contact. «Je suis plus proche de ma mère. Je lui ressemble plus, aussi, dans mon caractère. J’ai de la compassion, je suis ouvert, je travaille dur et je suis curieux. Mais mon père a toujours été là pour nous, lui aussi. Il travaillait aussi dur que ma mère et il faisait tout pour qu’on puisse avoir tout ce qui nous tentait. Il est super fier de ce que je fais aujourd’hui et il m’envoie un message avant chaque match, du style: Jouesimple, aie confiance en toi. Je lui envoie alors ma réponse toute faite: Thank you, dad. Il est mignon comme tout!»
«Je voudrais avoir un petit cochon»
Ces difficultés au quotidien ont fait des parents de Christian Burgess des activistes. Et très tôt, ils ont impliqué leurs enfants dans leur philosophie de vie. Sa mère l’emmenait ainsi dans une école où elle travaillait comme bénévole. Cet établissement organisait diverses activités pour des enfants qui n’avaient pas l’occasion de partir en vacances pendant l’été: des camps, des tournois de sport, etc. L’Unioniste a fait du coaching, il a donné des entraînements de cricket, il accompagnait parfois ces enfants en camp. «Même si j’ai été éduqué avec certaines valeurs, il m’a fallu ces documentaires, il y a cinq ans, pour que je devienne un véritable activiste. En les visionnant, je suis devenu conscient de certaines choses qui se passent dans notre monde et j’ai compris l’ampleur de certaines inégalités, de certaines injustices. Le fait que je sois passé au véganisme ne découle pas seulement du traitement infligé aux animaux, mais également de ce qu’on fait aux gens. Les personnes qui travaillent dans des abattoirs sont souvent pauvres et bossent dans de très mauvaises conditions. Je me suis intéressé de plus en plus à diverses problématiques et j’ai décidé d’apporter ma pierre à l’édifice.»
Burgess était impliqué activement dans des œuvres mises sur pied par son ancien club, Portsmouth, et il s’est engagé dans des associations caritatives. Il a par exemple préparé des repas pour des personnes vulnérables. Ce qui lui a valu un surnom dans ce club. «Ils m’ont appelé The VeganJesus. Aussi à cause de mes longs cheveux. Mais je ne suis pas un saint, hein! Ce n’est pas nécessaire non plus parce que le monde n’a pas obligatoirement besoin de gens tout à fait parfaits. Il faut juste avoir un large pourcentage de la population qui participe à ce grand projet. Ne me comprenez pas mal, je ne suis pas un socialiste pur et dur. Je pars du principe qu’on peut gagner de l’argent et je ne m’imagine pas un monde dans lequel on ne pourrait plus voyager en avion. J’aime voyager et ce ne serait pas une bonne chose que les gens mettent toutes leurs envies de côté. J’ai mes priorités. Manger plus de légumes, par exemple. C’est simple. Et, dans la mesure du possible, les cultiver soi-même. Avoir une maison avec mon propre potager, c’est un rêve que j’ai pour plus tard. J’ai envie d’aller cueillir mes légumes et de les amener jusqu’à mon assiette. Le goût est tellement différent. Et je voudrais aussi avoir un petit cochon. J’ai toujours eu un faible pour cet animal, et depuis que je suis végan, j’aime tous les animaux. Je rêve d’avoir un refuge pour m’occuper d’animaux de la ferme et de chiens. Ce serait magnifique.»
«La politique migratoire de la Grande-Bretagne est à vomir»
Après son passage à l’Union Saint-Gilloise, il y a deux ans, il a dû abandonner ses activités caritatives en Angleterre. Un ami lui a alors parlé de l’association Care4Calais, un groupe de bénévoles qui s’occupe de réfugiés et opère aussi depuis Bruxelles. Lorsqu’il a du temps libre, il se rend parfois sur la côte française. «J’étais déjà allé à Calais avant de m’impliquer dans cette organisation, juste pour voir à quoi ça ressemblait, et je m’étais dit que j’y retournerais certainement. La première fois que j’y suis retourné, j’y suis resté une semaine. Puis j’y ai fait d’autres séjours de quelques jours.»
Parmi ses missions, il y a par exemple, en matinée, la préparation de kits pour les réfugiés, la préparation de repas, le tri des dons. L’après-midi, les volontaires distribuent tout cela. «Le club m’a remis des vêtements, des chaussures et d’autres choses que je donne à ces personnes en difficulté. Des réfugiés ont eux-mêmes organisé une collecte pour des gens qui avaient été touchés par des inondations dans le sud de la France. Ils sont eux aussi conscients des grands changements qui touchent la planète.»
Christian Burgess et son association fournissent aussi divers services aux réfugiés. Il y a un coiffeur, une couturière, un réparateur de vélos ou encore un appareil qui distribue des boissons chaudes et froides. N’est-ce pas le genre d’expérience susceptible de vous faire perdre le contrôle de vos émotions? «Je ne sais pas expliquer pourquoi, mais je n’ai pas de problème avec ça. J’ai de la compassion, j’ai un grand cœur, mais je peux aussi garder une certaine froideur, une distance. Je ne m’autorise jamais à être trop dans l’émotion. Quand il y a ce risque, je pense chaque fois à des conversations que j’avais avec mon père. Quand je lui faisais remarquer que certaines choses n’étaient pas justes, il me répondait que la vie était injuste. Il se passe tant de trucs malheureux. Le trafic d’être humains, l’esclavage moderne, la répression et le commerce des femmes. J’ai lu qu’il y avait en Belgique entre 30.000 et 40.000 victimes de traite d’êtres humains. Il faut être naïf pour penser qu’il n’y a pas de tragédies dans le monde où nous vivons. Et pourtant, beaucoup de gens font semblant d’y croire. Quand j’ai mis les pieds à Calais, j’ai eu la confirmation qu’il y avait d’énormes problèmes.»
À Portsmouth, on m’appelait The Vegan Jesus.» Christian Burgess
Il est particulièrement marqué par les réfugiés désespérés qui se noient en tentant de traverser la Manche. «Certains volontaires travaillent là-bas depuis plusieurs mois et ils ont fini par nouer des liens forts avec des réfugiés qui vivent dans des camps. Quand ils apprennent que certaines de ces personnes se sont noyées, c’est chaque fois un traumatisme. It’s crazy, shocking. Deux pays, la France et l’Angleterre, acceptent cette situation. C’est plus qu’étonnant.»
Pour pouvoir demander l’asile à la Grande-Bretagne, il est indispensable d’être physiquement présent dans ce pays. «Il n’y a pas de route sûre et légale pour faire une demande d’asile. Les réfugiés ne sont pas autorisés à se rendre sur le sol anglais. Alors, ils essaient de passer illégalement pendant la nuit. Soit ils montent dans un camion, ce qui est super dangereux. Soit ils prennent un petit bateau, ce qui est encore plus risqué. Vous ne faites pas des trucs pareils si vous n’êtes pas complètement désespérés. Quelle mère ayant encore un petit espoir mettrait son enfant sur une embarcation de fortune en n’étant pas sûre qu’il ne va pas se noyer? Cette traversée, c’est leur ultime petite chance de faire encore quelque chose de leur vie.»
La souffrance pour les bénévoles comme Christian Burgess est qu’ils n’ont pas la possibilité d’apporter une véritable aide à ces gens. Ils peuvent les soutenir, mais ils n’ont pas une solution toute faite pour eux. «Je pourrais les prendre dans ma voiture et les emmener en Angleterre, mais je me ferais alors arrêter pour trafic d’êtres humains et on me mettrait en prison. La politique migratoire de la Grande-Bretagne est à vomir. C’est ce qu’il y a de pire, c’est un scandale sans nom.»
Son statut de sportif connu est une arme pour lui. «C’est plus facile d’aider quand on a une plateforme. Je l’utilise. C’est clair que je ne corresponds pas au stéréotype du joueur de foot. J’ai d’autres centres d’intérêt que la plupart de mes collègues. C’est dû au fait que je ne suis pas passé par un centre de formation. J’ai vécu une jeunesse plus classique, j’ai pratiqué plusieurs sports, j’ai fait des sorties avec des potes et j’ai profité de la vie. C’est comme ça que je me suis développé. Aujourd’hui, j’aime bien communiquer mon vécu. Je veux avoir un rôle de modèle et transmettre différents messages sur la façon de se comporter, sur les animaux, sur la planète. Pour moi, ce sont les choses les plus cruciales de la vie.»
«Il faudrait une offre incroyable pour que je quitte Bruxelles»
Christian Burgess a récemment prolongé son contrat à l’Union, jusqu’en 2024, avec une option pour une saison supplémentaire. Il se voit bien rester longtemps dans notre capitale, encore plus depuis la rencontre avec sa petite amie, il y a six mois environ. Ils se sont rencontrés en ligne et ils viennent d’emménager ensemble. Avant cela, il avait occupé un appartement à Anvers pendant deux ans.
«C’est allé très vite, mais quand vous voyez que ça matche, pourquoi pas?» Jessica n’est pas végane… «Elle adore trop le fromage. Mais ce n’est pas un souci pour moi. Chacun est libre de choisir son mode d’alimentation.» Par contre, elle adore les animaux, comme lui. «Elle a une passion incroyable pour les chiens. Elle a étudié à New York, et là-bas, elle a travaillé dans un refuge. Elle a sauvé un chien, Robert. Sans cela, il serait mort. Mais il était trop vieux pour qu’elle le fasse venir à Bruxelles, alors il est resté aux States avec son ex. Nous sommes allés le voir cet été. Elle est folle de lui, c’était magnifique à voir.» Le couple a aujourd’hui un autre chien, Milo. «J’en suis complètement dingue. Je n’imagine plus ma vie sans lui.»
Un avenir à plus long terme à Bruxelles, ça le tente. «Ma copine est née et a grandi ici, ses amis sont ici, elle travaille ici, et je me sens bien dans cette ville. J’aime la culture, les gens, Bruxelles en général. Il faudrait qu’un club me fasse une offre impossible à refuser pour que je m’en aille. Pour mon avenir professionnel à plus long terme, je n’ai aucune idée. Il est fort possible que je reste dans le football. C’est une bonne plateforme pour faire des choses utiles dans la société. Ou alors je pourrais faire un truc que j’aime, comme du lobbying pour la lutte contre le réchauffement climatique. Je vois bien aussi un rôle d’ambassadeur pour une bonne cause. Je ferai en tout cas quelque chose qui me permettra de provoquer du changement.»
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