Guillaume Gautier

Tadej Pogacar a tué le cyclisme à la TV

Guillaume Gautier Journaliste

Pour son deuxième titre mondial, Tadej Pogacar a fait comme d’habitude: terminer la course à une heure où beaucoup commencent seulement à la regarder.

Il est 13h45, seulement. La course a encore deux heures et demie devant elle, mais Tadej Pogacar a décidé de la secouer comme si la ligne d’arrivée était en point de mire. S’il reste encore trois quarts d’heure de «suspense» à se mettre sous la dent, l’incertitude est bien maigre. Seul Isaac Del Toro, jeune Mexicain et coéquipier de l’extraterrestre slovène, laisse une once d’interrogation quant au verdict final. Tout est néanmoins déjà terminé à 14h35, quand le champion du monde en titre s’envole en solitaire. Il reste plus d’une heure et demie de course, et seule la bataille pour les deux autres places sur le podium donne encore envie de rester devant l’écran.

Tadej Pogacar n’est pas le premier à dominer outrageusement des courses cyclistes. Le problème, c’est qu’il le fait à une si longue distance de l’arrivée qu’il a bouleversé les codes du téléspectateur. L’amateur de vélo, celui qui n’est pas devant son écran dès les premières minutes de la course, avait pour habitude de se caler devant la télé pour une heure. Un peu plus, peut-être, quelque part entre les 50 et les 70 derniers kilomètres en fonction du parcours. Le suspense commençait alors seulement, l’heure était propice à voir les champions batailler dans les dernières difficultés. Ici, si le moment de se poser face à l’écran reste identique, le téléspectateur ne voit pas de course: la ligne d’arrivée n’est pas encore atteinte, mais tout est déjà réglé.

Le plus ennuyeux, pour les spectateurs et les diffuseurs, c’est que ce n’est pas arrivé qu’une fois. Des Strade Bianche à Liège-Bastogne-Liège en passant par le Tour des Flandres, Tadej Pogacar s’est isolé assez loin de l’arrivée et a bouclé la course avec plus d’une minute d’avance sur son plus proche concurrent. Avec son profil particulier, la Flèche wallonne a entretenu le suspense plus longtemps, mais le mur de Huy n’avait jamais été dévoré aussi facilement, après une attaque si précoce, que ce qu’a fait Pogacar cette année. Les fans qui prennent place au bord de la route à 200 ou 300 mètres de la ligne voient habituellement la hiérarchie se dessiner. Cette fois, ils n’ont vu qu’un roi déjà installé sur son trône. Seul Mathieu van der Poel, sur des parcours qui lui conviennent à merveille, a offert de la résistance, et donc une forme d’incertitude et de spectacle sur les routes de Milan-San Remo et de Paris-Roubaix. Ce n’est pas un hasard si la Primavera est considérée par beaucoup comme la plus belle course d’un jour de la cuvée 2024.

Le reste du temps, les fins de course ont désormais la monotonie d’une étape de plaine du Tour de France, où la seule question n’est pas de savoir si l’échappée ira au bout, mais à quel moment elle sera reprise pour laisser place au show des sprinteurs. Les commentateurs avaient l’habitude de meubler l’antenne jusqu’à la dernière heure de course, ils doivent désormais s’agiter plus tôt mais passer les plats et énumérer les exploits qui s’enfilent au palmarès du glouton slovène aux moments où la course aurait dû se décider. Incontestablement, Tadej Pogacar a changé la façon dont le vélo se consomme.

De quoi engendrer un paradoxe: il est le champion le plus spectaculaire, et pourtant le moins télégénique du millénaire.

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