quick-step
Dormir pour gagner le Tour, la nouvelle botte secrète de Remco Evenepoel. © Wout Beel

La botte secrète de Soudal Quick-Step pour Remco Evenepoel: dormir mieux que les autres au Tour de France

Un Tour de France, c’est 21 étapes, mais aussi 23 nuits de sommeil. Pour qu’il soit le meilleur possible, Soudal Quick-Step a engagé Charlotte Edelsten, une coach du sommeil qui rêve de contribuer au succès de Remco Evenepoel grâce, notamment, à un surmatelas.

Le problème des bonnes histoires, c’est qu’on ne se souvient parfois plus vraiment de l’identité de celui qui les a racontées. Certains disent que celle-ci date de l’été 1980, quand l’éternel suiveur Joop Zoetemelk a enfin remporté le Tour de France. Le Néerlandais affirme alors que son secret se trouvait entre les étapes: «Le Tour de France se gagne au lit». Et sa phrase devient une citation. D’autres l’attribuent pourtant à l’Italien Fausto Coppi, une trentaine d’années plus tôt. Le «Campionissimo» prenait même l’expression «jour de repos» au pied de la lettre, profitant de ces moments de relâche pour passer la journée au lit.

L’un comme l’autre faisait à sa manière, car il n’y avait encore rien de bien scientifique dans ces méthodes. Il faut attendre 2005 pour que certaines équipes optent véritablement pour une approche stratégique du sommeil sur la «Grande Boucle». Cette année-là, l’équipe Quick-Step voyage ainsi d’hôtel en hôtel avec ses propres matelas, adaptés aux besoins de ses coureurs. D’autres emboîteront naturellement le pas, mais le peloton continue malgré tout de regarder d’un œil rieur les Britanniques du Team Sky quand ils engagent un coach du sommeil. Avec sept maillots jaunes ramenés à Paris entre 2012 et 2019, Christopher Froome et son équipe prouvent pourtant à tout le monde que leurs fameux «gains marginaux» gagneraient à sortir de la marge.

Il faut attendre 2024 pour que Soudal Quick-Step emboîte le pas. Sa spécialiste s’appelle Charlotte Edelsten. «Je suis principalement présente lors des stages, où je fais des présentations et je parle individuellement à chaque coureur, comme Remco Evenepoel, afin d’améliorer leur sommeil, précise-t-elle. Pendant le Tour, je serai également présente lors de la première semaine, et je suis disponible pour répondre aux coureurs à n’importe quel moment de l’année. Certains me contactent régulièrement, d’autres seulement lorsqu’ils ont un problème. Chaque coureur de l’équipe Soudal Quick-Step décide s’il veut travailler avec moi. En étroite collaboration avec nos entraîneurs, nos diététiciens et notre psychologue, j’adapte mon approche. C’est du sur-mesure, car le puzzle du sommeil comporte de nombreuses pièces variables.»

«Le sommeil est l’un des outils les plus puissants pour améliorer les performances.»

Alors que les équipes cyclistes emploient des entraîneurs physiques, des diététiciens, des experts médicaux et des psychologues, vous êtes une exception en tant que spécialiste du sommeil. L’importance de celui-ci est-elle encore sous-estimée?

Une idée fausse, mais très répandue, veut que le sommeil soit quelque chose auquel on s’adonne lorsque toutes les tâches de la journée sont terminées. Tant dans la vie quotidienne que dans le sport de haut niveau, le sommeil reçoit trop peu d’attention, alors qu’il ne s’agit pas d’une simple pause prolongée, mais de l’un des outils les plus puissants pour améliorer les performances. Ceux qui dorment bien s’entraînent mieux, mangent mieux et restent beaucoup plus concentrés.

Que se passe-t-il dans le corps d’un coureur pendant son sommeil?

Les muscles récupèrent, les réserves d’énergie sont reconstituées et le cerveau traite les stimuli mentaux. Cela vaut pour tout le monde, mais la charge physique des cyclistes est exceptionnelle, en raison de leur énorme volume d’entraînement et du nombre de jours de course. Par conséquent, la quantité de sommeil dont ils ont besoin varie. Certains fonctionnent avec huit heures, d’autres avec dix. Moins de sept heures, c’est, à long terme, trop peu. Ceux qui affirment –y compris les non-sportifs– que cinq ou six heures de sommeil leur suffisent ne remarquent souvent pas que leurs performances, leur humeur et leur santé en pâtissent. Je doute fort qu’ils se sentent vraiment reposés.

Pour les cyclistes, le chronotype –être matinal ou noctambule– joue-t-il un rôle?

Absolument. Les courses par étapes ne sont généralement pas compatibles avec les types matinaux. Les coureurs arrivent souvent tard à l’hôtel, mangent tard et ne se couchent pas avant 23 heures ou minuit. Cela peut poser des problèmes, surtout la première semaine. Pour ceux qui en souffrent, je les aide à ajuster leur horloge biologique à l’avance, comme pour le décalage horaire. Ils commencent progressivement à dormir et à se lever plus tard.

Dormir plus longtemps avant un Tour de France pour accumuler des réserves, est-ce utile?

Oui, mais cela aussi doit se faire progressivement. On ne peut pas se coucher une heure plus tôt, on ne dormira de toute façon pas. Le corps doit s’y habituer. Avec des protocoles spécifiques, je recherche la durée de sommeil optimale pour m’assurer que les coureurs sont parfaitement reposés lorsqu’ils prennent le départ d’un grand tour de trois semaines.

Charlotte Edelsten, la botte secrète de Soudal Quick-Step pour Remco Evenepoel et ses coéquipiers. © Wout Beel

Le sommeil devient-il plus profond ou plus long à mesure que la fatigue augmente sur les grands tours?

C’est très individuel. Certains dorment mieux car leur corps demande plus de repos. D’autres dorment moins bien, en raison de douleurs musculaires, du stress ou de facteurs tels que le bruit, la chaleur ou le changement de chambre d’hôtel. Les coureurs prennent aussi parfois de la caféine dans le final d’une étape, en fin d’après-midi. Cela rend l’endormissement plus difficile et diminue la qualité du sommeil, même si le corps est fatigué.

Les coureurs lors d’un grand tour mangent souvent tard –parfois à 22 heures– et beaucoup, alors que selon les recommandations en matière de sommeil, il est préférable de manger deux à trois heures avant de s’endormir. Comment faire face à cette situation?

Un estomac plein rend l’endormissement plus difficile: la digestion augmente le rythme cardiaque et la température corporelle. Certains coureurs ne sont pas affectés par ce phénomène, d’autres le sont. En concertation avec les diététiciens, nous essayons d’échelonner l’apport calorique très important –jusqu’à 7.000 calories par jour– avec un repas de récupération après la course et un repas du soir plus léger.

Le stress ou l’adrénaline peuvent également empêcher les coureurs de s’endormir. Comment y remédier?

Grâce aux techniques de distraction cognitive, comme les exercices de respiration, la pleine conscience, l’écoute d’un podcast, le visionnage d’une série, la lecture. Il existe également des techniques telles que la relaxation musculaire ou des exercices de langage sémantique –la récitation de séquences de mots. L’objectif est d’instaurer une routine de sommeil qui agisse comme un déclencheur.

C’est la question que tout le monde se pose: chez les sportifs aussi, on dort avec un doudou?

J’ai travaillé avec des athlètes –pas chez Soudal Quick-Step– qui dormaient avec un ours en peluche. Je ne le déconseille certainement pas. Tout ce qu’on associe à un bon sommeil, que ce soit un oreiller spécifique, une couverture ou un ours en peluche, peut être apaisant.

Comment les coureurs doivent-ils gérer l’utilisation des écrans?

Une interdiction totale n’est pas réaliste. Ils utilisent leur téléphone portable pour se détendre ou rester en contact avec leur famille. C’est mentalement important lorsque vous êtes loin de chez vous pendant trois semaines. Je recommande toutefois de fixer un moment précis d’utilisation pour éviter de tomber dans le scroll incessant. Il est également possible de limiter les réseaux sociaux, parce qu’ils peuvent déclencher des émotions qui créent de l’adrénaline et du cortisol, ce qui empêche de s’endormir.

Même en planifiant tout au maximum, il reste des facteurs difficiles à maîtriser: la lumière et le bruit dans un hôtel, par exemple.

Ce sont souvent les plus grands perturbateurs externes. Nous encourageons les masques pour les yeux et les bouchons d’oreille, même si tout le monde ne les aime pas. Nous choisissons également les chambres de manière stratégique: loin des couloirs, des ascenseurs, des escaliers, de la route très fréquentée à proximité de l’hôtel… S’il y a trop de lumière, nous utilisons des rideaux occultants.

Et s’il fait trop chaud? Toutes les chambres ne sont pas parfaitement climatisées…

Nous avions l’habitude d’utiliser des climatiseurs mobiles lorsque les chambres d’hôtel n’étaient pas correctement rafraîchies. Cette année, nous avons introduit un nouveau système que nous utiliserons pendant le Tour et la Vuelta: des surmatelas rafraîchissants, placés sur nos matelas personnalisés. Ils sont reliés à une petite unité qui fait circuler de l’eau dans le surmatelas. Cela permet d’abaisser la température du lit à 13 °C. La climatisation n’est donc plus nécessaire. Chaque coureur peut ainsi régler sa propre température. Pratique lorsqu’on partage une chambre avec quelqu’un qui préfère un autre niveau de confort.

L’autre paramètre difficile à contrôler, c’est l’air tout court. Une chambre où l’air n’est pas renouvelé, c’est le risque d’un niveau de CO2 trop élevé. Quel est votre conseil dans ce cas?

Cela dépend. Une fenêtre ouverte peut laisser entrer de l’air frais au printemps ou à l’automne, ou lorsque vous séjournez en altitude, ce qui est agréable dans une pièce humide. Mais en été, elle peut réchauffer la pièce, ce qui rend la climatisation moins efficace. En outre, le bruit extérieur ou l’arrivée de poussière et de pollen peuvent perturber le sommeil, en particulier pour les personnes souffrant d’allergies. L’effet d’une fenêtre ouverte ou fermée sur les taux de CO2 est moins important que ces facteurs pratiques.

L’Union cycliste internationale (UCI) l’interdit, mais dormir dans un camping-car serait-il une meilleure option que de changer de chambre d’hôtel tous les soirs?

C’est une idée hypothétique, mais intrigante. Un camping-car luxueux vous permet de contrôler totalement votre environnement. D’un autre côté, un camping-car n’éliminera ni le stress ni les émotions de la course. Et il ne faut pas oublier qu’ajouter d’autres véhicules à la flotte de l’équipe n’est pas pratique logistiquement parlant.

Quelle est votre position sur les somnifères?

Je les déconseille fortement. Ils modifient la structure naturelle du sommeil, notamment la durée du sommeil profond, et peuvent nuire à la récupération. Ce n’est que dans des cas exceptionnels, par exemple après une lourde chute, qu’un médecin de l’équipe peut prescrire un somnifère qui peut être brièvement utile. Leur utilisation est de toute façon strictement contrôlée, afin que les coureurs n’y deviennent pas dépendants.

«Les coureurs devraient apprendre à se fier à leur instinct, à la fraîcheur et à l’énergie qu’ils ressentent.»

Mesurer son sommeil avec une montre intelligente, cela a-t-il du sens?

Nos montres Garmin donnent une bonne idée de la durée totale du sommeil, mais la plupart des dispositifs portables ne sont pas fiables en ce qui concerne les stades du sommeil. Ils mesurent les mouvements et non l’activité cérébrale, et sont donc souvent trompeurs. La VRC (NDLR: la variabilité de la fréquence cardiaque) et la fréquence cardiaque au repos peuvent également servir d’indicateurs de récupération. Les coureurs devraient apprendre à se fier à leur instinct, à la fraîcheur et à l’énergie qu’ils ressentent. S’ils souhaitent vérifier les données, il est préférable qu’ils le fassent après une séance d’entraînement ou une course, car un mauvais score de sommeil peut causer un stress inutile.

Conseillez-vous aux coureurs en couple de dormir seuls lors des nuits qui précèdent une course importante?

Parfois, oui. Si le partenaire est enrhumé, s’il bouge beaucoup ou si un bébé perturbe le sommeil, il est recommandé de dormir séparément. Certains le font spontanément. D’autres, au contraire, trouvent auprès de leur partenaire un sentiment de calme et de réconfort. J’en discute avec eux, sans rien imposer.

Une mauvaise nuit avant une course, due à l’adrénaline ou au stress, peut-elle affecter les performances?

Ce n’est pas une catastrophe, si vous avez bien dormi les nuits précédentes. C’est le plus important. Mais si vous pensez qu’une mauvaise nuit vous rendra moins performant, cela peut jouer un rôle. Le sommeil est aussi souvent psychologique. Les coureurs qui n’ont pas de problèmes ne sont pas remis en question, car leur donner des conseils peut être contre-productif. Avec d’autres, je travaille sur l’état d’esprit et les routines, mais je ne problématise jamais trop le sommeil. Sinon, ils s’inquiètent trop de la façon dont ils doivent dormir et ont donc plus de mal à le faire. L’objectif ultime est de dormir, sans réfléchir. Cela devrait être aussi normal que de respirer.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire