Tadej Pogacar a multiplié les records d’ascension sur les monts flandriens pour remporter son deuxième Tour des Flandres. © BELGA PHOTO DAVID PINTENS

Pogacar impérial: comment il a cassé les records pour gagner le Tour des Flandres (analyse)

Tadej Pogacar a remporté son deuxième Tour des Flandres. Avec, une fois de plus, des chiffres d’extra-terrestre. Ou plutôt de Cannibale.

C’est évidemment un hasard, mais un beau hasard. Ce dimanche 6 avril marquait exactement les 50 ans de la deuxième victoire d’Eddy Merckx dans le Tour des Flandres. Ce jour-là, il s’était échappé à 104 kilomètres de l’arrivée avec Frans Verbeeck, avait décroché son compagnon d’échappée à six kilomètres de la ligne, et était arrivé en solo à Meerbeke. Verbeeck terminait à une demi-minute, et le troisième, Marc Demeyer, à pas moins de cinq minutes du champion du monde en titre.

Un numéro pour lequel le mot « Merckxien » (à la Merckx) a été inventé. Et qui reste gravé dans la mémoire des amoureux du vélo grâce à la citation légendaire de Frans Verbeeck: «J’ai formidablement souffert. Il faut dire les choses comme elles le sont. Il roule cinq kilomètres à l’heure trop vite pour nous.»

Exactement 50 ans plus tard, ceux qui ont connu 1975 ont peut-être pensé au Cannibale en voyant Tadej Pogacar, lui aussi en maillot arc-en-ciel, triompher à Audenarde après une démonstration. Tout comme Merckx en 1971/1972 puis en 1974/1975, le Slovène a remporté en un an un titre mondial, deux Grands Tours (Giro et Tour de France) et trois monuments différents (Liège-Bastogne-Liège, le Tour de Lombardie et le Tour des Flandres). Avec notre compatriote, Pogacar est désormais le seul coureur à avoir écrit son nom sur plus de cinq monuments avant l’âge de 26 ans et demi.

Il en compte désormais huit, contre dix pour Merckx à 26 ans, qui avait également un titre mondial de plus (deux). Le Belge finira sa carrière avec 19 victoires dans les monuments, à l’âge de 30 ans. Pogacar a encore 11 monuments à gagner pour l’égaler, mais peu d’experts osent encore dire qu’égaler (ou battre) le record apparemment imbattable de Merckx est une utopie pour lui.

Dimanche prochain, à Paris-Roubaix, un neuvième monument pourrait s’ajouter. La probabilité est plus faible que sur le Ronde mais même sur les pavés plats, un Pogacar comme celui-ci n’a pas à craindre Mathieu Van der Poel, Mads Pedersen ou Wout van Aert.

Comment Pogacar a sorti le marteau-piqueur

Qu’il se défasse de deux de ces trois-là dans la «plus belle des Flandres», beaucoup s’y attendaient. Qu’il le fasse aussi avec Van der Poel, comme en 2023, semblait bien moins probable. Surtout après la manière avec laquelle le Néerlandais l’avait mis échec et mat à Milan-San Remo, et dominé l’E3 Classic.

Au préalable, Pogacar avait bien annoncé comment il s’y prendrait. Stratégie simple: rendre la course ultra-dure. «Il doit s’assurer que Van der Poel ne puisse pas remplir son verre de cola après chaque côte», expliquait l’entraîneur Frank Vandewiele via une métaphore. Le Tour des Flandres n’est peut-être pas une vraie course de montagne mais la clé, c’est la récupération après chaque montée intense, qui se gravissent en une à quatre minutes selon les difficultés.

Bien qu’il ait perdu deux coéquipiers importants, Tim Wellens et Jhonatan Narváez, à cause de chutes, Pogacar a parfaitement exécuté son plan. Dès la deuxième ascension du Vieux Quaremont, à 54 kilomètres de l’arrivée, il a grimpé presque chaque côte plus vite qu’en 2023, lorsqu’il avait gagné le Ronde pour la première fois. Il a d’abord fait plier Van der Poel. Puis, après six énormes coups de massue, il l’a brisé.

Les chiffres derrière le tour de force de Pogacar

La liste des temps d’ascension est incroyablement rapide. Nous nous focalisons sur les plus impressionnants: lors de la deuxième montée du Vieux Quaremont, Pogacar a grimpé en 2 minutes et 49 secondes, un record sur Strava, le meilleur temps jamais enregistré, partagé avec Wout van Aert et Matteo Jorgenson, soit 11 secondes de mieux qu’en 2023 lors du même passage. Lors de la première montée du Paterberg, malgré un vent de face, il a mis une minute tout rond, soit 12 secondes de mieux qu’en 2023. Sur le Koppenberg, il a réalisé 1 minute et 38 secondes, un nouveau record également, 13 secondes plus vite que l’année précédente. Le Kruisberg a été avalé en 1 minute et 32 secondes, là encore un meilleur temps historique, avec 10 secondes de mieux que l’an passé. Lors de la troisième montée du Vieux Quaremont, il a mis 3 minutes et 8 secondes, soit une seconde de plus qu’en 2023, mais à ce stade avancé de la course, cela reste extrêmement rapide, et suffisant pour décrocher définitivement Van der Poel, Van Aert, Pedersen et Stuyven. Sur la dernière ascension du Paterberg, Pogacar a encore accéléré: 1 minute et 9 secondes, soit 5 secondes plus vite que la fois précédente. Les 7,38 derniers kilomètres jusqu’à l’arrivée, avec un fort vent d’est de côté, il les a parcourus à une moyenne de 43,7 km/h, et il a même levé le pied dans le dernier kilomètre. Son avance de 23 secondes au sommet du Paterberg est passée à 1 minute et 1 seconde sur la ligne d’arrivée, face à quatre coureurs qui avaient collaboré mais ont rapidement dû s’incliner devant une telle démonstration de classe.

Et si Van der Poel avait été au top?

Et si Mathieu Van der Poel, comme à Milan-Sanremo, avait été en pleine possession de ses moyens? Après l’E3 Saxo Classic, il avait attrapé un rhume et, selon son directeur sportif Christoph Roodhooft, il a dû suivre une cure d’antibiotiques pendant trois jours. De plus, le Néerlandais est tombé dans l’approche effrénée vers l’Eikenberg, en partie à cause de sa mauvaise position dans le peloton.

Il a donc dû rattraper une minute sur le groupe principal. Il a confié à son coéquipier Gianni Vermeersch qu’il avait mal à l’épaule. Mais savoir si cela, sa maladie, et son placement parfois négligent dans les côtes l’ont réellement empêché de suivre Pogacar, lui seul peut en juger.

Quoi qu’il en soit, la performance de Tadej Pogacar reste tout à fait exceptionnelle sur un parcours comme celui du Tour des Flandres. Avec ses 66 kilos, il pèse dix kilos de moins que la moyenne des neuf autres coureurs du top 10, et six de moins que la moyenne du trio Pedersen (70 kg), Van der Poel (74 kg) et Van Aert (78 kg). Personne ne combine à la fois explosivité, endurance et capacité de récupération sur 270 kilomètres comme lui.

Ainsi, Pogacar n’a pas roulé «cinq kilomètres par heure trop vite» –selon l’expression célèbre– mais bien à près de 45 km/h de moyenne, ce qui en fait l’édition la plus rapide du Tour des Flandres. Et surtout, il a battu pour la deuxième fois les meilleurs spécialistes des classiques pavées, sur leur propre terrain. Et ce, sans avoir couru une seule course en Flandre ce printemps. Le dernier à avoir réussi cet exploit? Rudi Altig, en 1964.

Proclamer Pogacar meilleur coureur de tous les temps serait manquer de respect à Eddy Merckx et à son immense palmarès. Mais affirmer que le Slovène est en bonne voie pour le regarder dans les yeux, personne ne peut désormais le nier.

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