Tadej Pogacar a remporté son quatrième Tour de France. © GETTY IMAGES

Pogacar fatigué et agacé: stratégie pour le rendre humain ou résultat du plan de la Visma?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Tadej Pogacar a gagné le Tour de France, mais a souvent semblé avoir perdu son sourire. Qui a donc bien pu miner la bonne humeur de l’extravagant Slovène?

Il y a comme une étrange forme de désespoir dans les yeux de Tadej Pogacar. Celle d’un maillot jaune sans sourire, qui ne parle que d’arriver à Paris sans même sembler tout faire pour gagner des étapes taillées pour lui. En route vers les sommets de la station de La Plagne, alors que le Néerlandais Thymen Arensman vacille sur ses pédales quelques mètres plus haut, le glouton slovène ne fait même pas l’effort de lancer un sprint qui lui semble promis.

L’attitude interpelle, surtout quand elle survient une semaine après une nouvelle démonstration sur les pentes de Peyragudes, gravies à l’occasion d’un contre-la-montre. Ce soir-là, avec un quatrième succès d’étape en poche après treize jours de course à peine, Tadej Pogacar prévient: «Mon équipe me paie pour gagner, pas pour laisser des victoires». Avec huit étapes encore à parcourir dont quatre arrivées au sommet, certains se mettent alors à parler de danger pour le record de huit victoires sur un même Tour, détenu de concert par Eddy Merckx, Freddy Maertens et Charles Pélissier.

D’autant plus que l’homme fort de l’équipe UAE n’est pas du genre à faiblir en cours de route: un an plus tôt, avec pourtant un Giro dans les jambes, il avait gagné cinq fois sur les huit derniers jours de course, réussissant même un triplé lors du dernier week-end de la course au maillot jaune. Sur les quatre arrivées au sommet de cols de première ou hors-catégorie dessinées par Thierry Gouvenou, architecte du parcours du Tour, il n’avait alors pas laissé la moindre miette à ses concurrents.

Vexé par les critiques

Cette fois, c’était bien différent. Jusqu’aux Champs Elysées, abordés cette année après un détour sur la difficile butte de Montmartre, Tadej Pogacar n’a plus gagné, déposé par le Belge Wout van Aert. Une déconvenue presque opportune pour rendre au désormais quadruple vainqueur du Tour de France un visage humain, lui qui semblait trop fort pour être vrai lors des deux premiers tiers de l’épreuve. La deuxième journée de repos, atteinte avec un matelas d’avance déjà confortable sur son grand rival Jonas Vingegaard, était surtout marquée par un rendez-vous face à une presse sportive de plus en plus défiante. Ca, Pogacar ne le supporte pas.

A l’heure d’expliquer la disparition de sa joie de vivre au bout de la Grande Boucle, quand un journaliste l’emmène sur le terrain de la santé mentale, le Slovène est encore plus explosif que dans les gros pourcentages d’Hautacam: «La pire chose qui influence notre santé mentale, ce sont les réseaux sociaux, les médias, Internet, qui affectent notre confiance.» Dans l’intimité du peloton, on dit que le maillot jaune aurait été particulièrement touché par les critiques d’arrogance formulées par les journalistes à l’encontre de son équipe, quand son coéquipier Nils Politt a semblé jouer les gendarmes pour juguler les tentatives d’échappée où quand lui-même déclarait qu’il avait pu s’économiser dans le final d’une étape survolée.

Cela suffit-il à justifier le visage marqué du vainqueur du Tour lors des dernières journées de l’épreuve. La pluie, fracassante dans l’ascension vers La Plagne et omniprésente au cours de ces ultimes étapes vers Paris, a-t-elle également joué un rôle en augmentant la nervosité tout en minant la bonne humeur de coureurs déjà éreintés par une course menée à toute allure? Il y a probablement un peu de tout ça dans cette fin de Tour de France presque dépressive du leader absolu du cyclisme actuel, le tout saupoudré d’une loi tacite du peloton qui dit qu’il faut en laisser aux autres pour ménager la bonne entente de la meute sur deux-roues.

Pogacar et le plan de la Visma

L’explication principale est sans doute, plutôt, à chercher dans le camp d’en-face. Dès le Critérium du Dauphiné, course préparatoire au Tour et déjà survolée par Pogacar, l’équipe Visma-Lease a Bike de Jonas Vingegaard avait annoncé la couleur en forçant le Slovène à prendre des risques dans la délicate descente du Col de la Croix de Fer. Vainqueur quelques péripéties plus tard dans la station savoyarde de Valmeinier, «Pogi» avait pointé du doigt l’attitude de ses rivaux: «Ils ont attaqué juste avant le sommet. Je pense qu’ils voulaient se débarrasser de moi dans la descente parce que dans les premiers kilomètres, ils ont roulé un peu dangereusement. Je n’ai pas aimé cela. Mais c’est le cyclisme moderne, je suppose».

Le courroux public de Tadej Pogacar est sans doute devenu la source d’une stratégie assumée dès le premier jour de course par l’équipe batave: puisque ses jambes étaient intouchables, il fallait viser la tête. Très vite, l’ancien cycliste américain Tom Danielson –qui partage ses analyses pointues sur les réseaux sociaux– a évoqué la stratégie agressive de l’équipe Visma sur tous les terrains pour ne jamais offrir un instant de répit au tenant du titre. Pogacar l’a d’ailleurs souligné à Paris: la première semaine de course, celle où il a remporté deux étapes, n’a certainement pas été sa préférée. «Il y avait tellement d’attaques, de Visma notamment», a soupiré le maillot jaune.

Si ses jambes ont finalement suffi pour rapidement sortir Jonas Vingegaard (lui aussi usé par cette stratégie) de la course au maillot jaune en une dizaine d’étapes, la tête de Tadej Pogacar a souffert de ce plan adopté par l’équipe néerlandaise. Au point de faire ressentir qu’en route vers La Plagne, priver Jonas Vingegaard d’une victoire d’étape était presque plus important pour lui qu’aller en gagner une cinquième.

Tadej Pogacar est sorti du Tour de France usé, là où ses victoires étaient habituellement célébrées d’un sourire éclatant. Le Slovène a parlé de sa retraite pour la première fois, ne la situant toutefois pas avant les Jeux olympiques de Los Angeles en 2028, et parlait plus de sa hâte de retrouver les pavés de Paris-Roubaix que les cols de la Grande Boucle.

Visma voulait lui enlever son maillot jaune, ils seront seulement parvenus à lui ôter son sourire.

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