Remco Evenepoel a surclassé les championnats du monde du contre-la-montre à Kigali. Il marque l’histoire de cette spécialité, et ce n’est sans doute pas fini.
Il y avait évidemment son état de forme, bien inférieur à ses espoirs. Sans oublier le mal-être généré par cette incapacité à être compétitif sur les routes de l’un de ses grands objectifs de la saison. Néanmoins, si Remco Evenepoel a quitté le Tour de France au lendemain d’un contre-la-montre en côte décevant, quand il a craqué dès le premier col des Pyrénées, c’était aussi en pensant à la suite. Il ne voulait pas s’épuiser physiquement et mentalement avant les championnats prévus plus tard dans l’année: deux championnats du monde et deux championnats d’Europe, tant sur route qu’en contre-la-montre, soit ses quatre grands objectifs de la fin d’année.
Evenepoel est donc rentré chez lui et est resté éloigné du vélo pendant un certain temps. Il a ensuite suivi un stage en altitude à Livigno, a participé au Tour de Grande-Bretagne à titre d’entraînement (et s’est même entraîné là-bas après quelques étapes) et a mis la touche finale à sa préparation dans sa deuxième maison à Calpe, en Espagne.
Il a laissé derrière lui le mauvais sentiment du Tour, toujours dû à sa collision avec une voiture en décembre dernier. Comme il l’a déjà fait à maintes reprises, il a surmonté cet échec avec une rapidité étonnante. Le fait que son transfert chez Red Bull-BORA-hansgrohe ait enfin été finalisé et qu’il ait été libéré de ce souci l’a également aidé à passer à autre chose.
Les interviews qu’il a accordées la semaine dernière ont d’ailleurs montré à quel point la fumée autour de lui s’était dissipée. Il était dans sa meilleure forme de l’année et n’hésitait pas à le dire, comme il a toujours eu l’habitude de le faire. C’était un moment médiatique à la Evenepoel. Les initiés savent depuis longtemps qu’il ne fait pas de promesses en l’air.
Evenepoel contre Pogacar
Pourtant, beaucoup d’analystes ne le considèrent pas comme le grand favori des Championnats du monde de contre-la-montre à Kigali. La concurrence est amoindrie puisque sur les trois derniers grands titres de Remco Evenepoel dans l’effort individuel (les Mondiaux 2023 et 2024, ainsi que les JO), on ne comptait que deux ou trois coureurs classés dans le top 10 à avoir fait le déplacement jusqu’à Kigali. Au rayon des absents notables, on note ainsi les noms de Filippo Ganna, Edoardo Affini, Joshua Tarling ou Wout van Aert.
L’explication à ce plateau clairsemé, c’est le parcours. La route tracée au Rwanda compte environ 680 mètres de dénivelé, soit la deuxième épreuve contre le chrono la plus dure jamais enregistrée dans un contre-la-montre des Mondiaux après celle de Lisbonne en 2001. C’est également la raison pour laquelle Tadej Pogacar s’est présenté au départ. Cela devait être l’occasion de sa carrière de devenir champion du monde du contre-la-montre, l’une des rares lacunes encore à combler dans son palmarès exceptionnel.
Pogacar avait également battu Evenepoel dans le contre-la-montre final de Nice lors du Tour 2024, sur un parcours parsemé de côtes difficiles. D’ailleurs, le Belge avait jusqu’ici perdu les trois contre-la-montre avec plus de 600 mètres de dénivelé auxquels il avait participé: neuvième du chrono olympique de Tokyo en 2021 (746 mètres de dénivelé), troisième de celui de Nice en conclusion du Tour 2024 (720 mètres de dénivelé) et douzième à Peyragudes cette année (645 mètres), en étant même repris par Jonas Vingegaard dans la rampe finale vers l’arrivée.
Tout cela fait que le favori des bookmakers était Tadej Pogacar et pas Remco Evenepoel, pourtant double champion du monde et champion olympique en titre.
Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que le Slovène était tombé malade avant les courses canadiennes et n’avait pas pu s’entrainer énormément. Evenepoel, quant à lui, était en pleine forme. Les pentes plus douces et les descentes très rapides du parcours rwandais, où il pouvait exploiter son aérodynamisme, lui convenaient parfaitement.
La plus grande avance au kilomètre
Cela s’est vu dès le premier point intermédiaire: Remco Evenepoel avait près de 45 secondes d’avance sur Jay Vine, Pogacar étant encore quelques secondes plus loin. Le coureur de Schepdaal a augmenté son avance jusqu’au sommet de la deuxième côte, mais a dû céder quelques secondes à Vine dans la dernière partie.
Pas sur Pogacar: il l’a même rattrapé dans la dernière montée pavée, ce qui est peut-être la plus grande «humiliation» que le Slovène ait connue dans sa carrière.
Evenepoel a finalement remporté la victoire avec une avance d’une minute et 14 secondes. Ce n’est pas la plus grande avance jamais enregistrée dans un contre-la-montre des Championnats du monde depuis 1994 –ce record est toujours détenu par Fabian Cancellara (1’29’’ en 2006)-mais c’est la plus grande avance par kilomètre (1,82 seconde) dans un Championnat du monde de plus de 40 kilomètres. Seul Tom Dumoulin a fait légèrement mieux en 2017 à Bergen (1,84 seconde, sur seulement 31 kilomètres).
Son avance sur le troisième classé, son compatriote Ilan Van Wilder, est un autre record. Jamais le médaillé de bronze n’avait été devancé de 2’36’’ sur la ligne d’arrivée. Les critiques pourront évidemment rappeler que la concurrence était moins forte en raison des nombreuses absences. Mais sur ce parcours difficile, cet Evenepoel en pleine forme aurait sans doute également devancé de deux minutes au moins des poids lourds tels que Ganna, Affini et Tarling.
La chasse aux records
Les chiffres démontrant la domination de Remco Evenepoel parlent d’eux-mêmes. Sur ses quatorze contre-la-montre depuis début 2024, il en a remporté dix, soit un pourcentage de victoires de 71%. C’est mieux que les meilleures années des quadruples champions du monde Fabian Cancellara et Tony Martin. Cancellara a atteint un maximum de 65% (treize sur 20 en 2008 et 2009), Martin 69% (18 sur 26 en 2013 et 2014).
Les quatre contre-la-montre qu’Evenepoel a perdus ces deux dernières années étaient soit très courts (10 km au Pays basque, 3,4 km en Romandie), soit très pentus (les contre-la-montre en côte du Tour en 2024 et 2025).
Vainqueur de 47% des chronos qu’il a disputés depuis le début de sa carrière, Remco visera désormais un quatrième titre mondial consécutif en 2026. Puisque l’Australien Michael Rogers et l’Allemand Tony Martin sont restés bloqués à trois médailles d’or consécutives, ce quadruplé serait historique. En y ajoutant son titre olympique, il réaliserait donc une série unique. Cancellara a certes été champion du monde en 2006, 2007, 2009 et 2010 et champion olympique en 2008, mais il a déclaré forfait pour les Championnats du monde de cette année-là.
Quelqu’un peut-il menacer Evenepoel?
Il y a de fortes chances que le coureur originaire de Schepdaal batte tous les records du contre-la-montre dans les années à venir. A 25 ans, il est déjà le meilleur «jeune» coureur de contre-la-montre de l’ère moderne, avec quatre titres mondiaux, sept podiums et cinq victoires dans des contre-la-montre lors de grands tours.
A titre de comparaison, Cancellara avait remporté un titre mondial à l’âge de 25 ans, Tony Martin aucun. Seul Michael Rogers s’en est quelque peu approché avec trois titres mondiaux et une médaille de bronze olympique, mais il n’a plus ajouté aucun titre à son palmarès par la suite.
Sans accident, personne ne semble vraiment pouvoir menacer Evenepoel à court terme. Certes, le puissant Joshua Tarling est un adversaire redoutable sur les parcours plats alors qu’à 28 ans, Filippo Ganna n’est pas encore à bout de souffle. Il faudra aussi bientôt compter sur les jeunes talents qui sont appelés à briller dans l’effort solitaire comme Jasper Schoofs (19 ans), Matisse Van Kerckhove (19 ans), Albert Withen Philipsen (19 ans), Paul Seixas (18 ans) et Ashlin Barry (17 ans). Mais il reste à voir s’ils pourront un jour rivaliser avec Evenepoel dans les contre-la-montre.
Et même si le coureur originaire du Brabant flamand devait subir un nouveau revers, il le surmonterait encore plus rapidement qu’il ne roule en contre-la-montre. Cette résilience, renforcée par son ambition, est déjà, outre son impressionnant palmarès, le plus grand héritage de sa carrière.