Nommé directeur sportif de la Fédération, Vincent Mannaert a déjà révolutionné le fonctionnement d’une instance parfois trop bureaucratique pour être efficace.
Si la qualité du travail devait se mesurer à l’ampleur du pot de départ, difficile de nier que Vincent Mannaert a marqué le Club de Bruges. Dans un stade plein à craquer, pour un derby qui couronnera les Blauw en Zwart champions de Belgique un peu moins de deux heures plus tard, son prénom est affiché sur une banderole d’une centaine de mètres de long, face aux joueurs et aux caméras. La preuve que même si son départ se fait par la petite porte, après des accusations de management toxique et des aveux d’assuétude à l’alcool, l’homme a largement contribué à la transformation de l’équipe locale. En une dizaine d’années, il a fait du Club de Bruges la machine sportive la mieux rodée du football belge, le hissant à des hauteurs européennes que le pays n’espérait plus.
Pour la Fédération belge, offrir la direction technique à Vincent Mannaert était donc une aubaine. Il fallait, bien sûr, fermer les yeux sur ces techniques de management parfois étouffantes et sur une transaction pénale payée dans le cadre de l’opération «mains propres», mais le football belge n’a pas de problème à laisser dans le circuit des gens performants en évitant soigneusement d’évoquer leurs zones d’ombre. Dans la foulée d’un Euro raté et d’une Ligue des nations cataclysmique, l’ancien CEO du Club de Bruges a donc pris les rênes sportives de la Fédération.
Le changement de style avec Frank Vercauteren est radical. On voit bien plus souvent Mannaert en costume qu’en survêtement et, s’il se dit qu’il assiste à toutes les théories tactiques du nouveau sélectionneur Rudi Garcia, il ne monte pas sur la pelouse lors des séances comme le faisait son prédécesseur. Peut-être parce que, grâce à son si réputé sens de l’analyse, il a compris que son combat principal pour redresser la barre fédérale ne se jouerait pas sur le terrain.
Mannaert et les patrons des Diables
«La première chose qui me saute aux yeux, c’est qu’il faut réinstaller une culture du foot, tonne-t-il dès sa première interview dans son nouveau rôle. Le processus de fonctionnement était un peu trop bureaucratique, ou archaïque. On est attendu pour faire des résultats, ça doit être notre priorité.» Comme à Bruges, Mannaert insiste rapidement pour la mise en place d’une culture de l’excellence. Des mots qui réchauffent les oreilles d’un Kevin De Bruyne bougon, d’un Romelu Lukaku qui songe alors à quitter les Diables ou d’un Thibaut Courtois qui les réintègre après son conflit avec Domenico Tedesco. Si la cure de rajeunissement mise en place dans la foulée de la Coupe du monde 2022 avait parfois été trop radicale, la première volonté du nouveau directeur sportif fédéral est de s’assurer de conserver la colonne vertébrale des années de gloire pour rester compétitif au plus haut niveau.
Pour retrouver une pente ascendante, Vincent Mannaert a donc mis en place, en concertation avec Rudi Garcia, une série de règles lors des rassemblements de l’équipe nationale. Il n’y aura plus de jour de congé entre deux rencontres, comme c’était souvent le cas avec Roberto Martínez et encore avec Domenico Tedesco. L’objectif, en plus de travailler tactiquement, est d’amener le groupe à passer plus de temps ensemble pour renforcer les liens. Hors de question, dans le même ordre d’idée, que chacun reparte chez lui après le dernier match sans qu’un débriefing n’ait eu lieu. Autour d’un repas, les joueurs passent un dernier moment ensemble, sous la coupe des fameux cadres du vestiaire, si précieux pour transmettre leur expérience et leur palmarès.

Les anciens sont donc mis face à de plus grandes responsabilités. Si un capitaine unique n’a pas encore été désigné, hors de question pour Lukaku, De Bruyne et Courtois de jouer à cache-cache avec les journalistes lors des conférences organisées en marge des fenêtres internationales. Parce que Vincent Mannaert a compris que les Diables, en plus de gagner des matchs, avaient besoin de soigner leur image. Pas seulement auprès du grand public, mais aussi à l’égard des clubs avec lesquels la collaboration est capitale. Ainsi, c’est lui qui prend la peine de multiplier les coups de fil pour expliquer les choix de son sélectionneur. Quand Jorthy Mokio est invité à rejoindre le groupe des Diables après quelques apparitions chez les pros tandis que Matte Smets réalise une saison de haut vol à Genk, Mannaert compose le numéro de Dimitri De Condé pour lui en expliquer les raisons.
Convaincre, gagner et épargner
Les fenêtres internationales ne sont pas les seuls moments chargés pour le «Sports Director», dont la pile de dossiers à régler dans le bureau qu’il partage avec Rudi Garcia à Tubize est vertigineuse.
C’est ainsi lui qui a mis la main sur l’épineux dossier des binationaux, lors d’un mandat entamé par les «pertes» des joyaux Kostas Karétsas et Chemsdine Talbi. Deux camouflets masqués par une issue positive inattendue dans le dossier du gaucher de Strasbourg Diego Moreira, avant de se lancer dans d’autres combats méconnus, en coulisses, pour étoffer le panel de choix à disposition de son sélectionneur et convaincre un maximum de joueurs de rejoindre le projet diabolique.
Entre-temps, il a également fallu étoffer les staffs des Diables Rouges et des Red Flames, notamment sur le plan physique. A Bruges, la préparation athlétique était l’un des thèmes de prédilection de Mannaert, qui a toujours insisté pour rendre son équipe la plus compétitive possible en la matière. C’est également le cas dans le giron des sélections adultes, au sein d’une Fédération où les temps sont pourtant aux économies.
Celles-ci ont été faites en rationalisant le fonctionnement des équipes de jeunes. Le tout au départ d’un constat: «Une analyse a montré que nous sommes simplement sous-représentés lors des tournois de jeunes. Cependant, cela fait partie de notre mission principale, c’est pourquoi nous devrions privilégier la sélection à la détection.» Une vingtaine de scouts ont ainsi pris la porte de sortie, et les équipes nationales U15 et U16 ont été supprimées pour entamer les rassemblements à partir des U17, catégorie qui abrite les premiers grands tournois internationaux. Là, Vincent Mannaert veut absolument voir la Belgique briller. Contrairement à l’ensemble des suiveurs, vantant le jeu pratiqué lors du dernier Euro U17 perdu en demi-finale contre la France, le directeur sportif n’était pas entièrement satisfait. Plus que bien jouer, l’ancien Brugeois veut gagner. Ce n’est pas un hasard si sa société de consultance s’appelle Vincere Consulting.
Il a compris que son combat principal pour redresser la barre fédérale ne se jouerait pas sur le terrain.
Le plan de Mannaert
Vincent Mannaert sait toutefois jouer les architectes, comme quand il incite à modifier quelques chemins entre les vestiaires et les terrains au centre de Tubize, où les choix logistiques ont parfois manqué de connaissance footballistique pour être les plus opérationnels possibles. Il a ainsi dessiné son plan quinquennal en cinq points, destinés à améliorer le football belge en profondeur. Le tout avec la collaboration de l’ACFF (Association des clubs de football francophones) et de VV (Voetbal Vlaanderen), emmenés par les anciens sélectionneurs de jeunes que sont Johan Walem et Bob Browaeys. Le trio s’est notamment penché sur une harmonisation des règles en vigueur chez les jeunes, du nombre de joueurs à la dimension des terrains, pour que la «petite» Belgique ne soit pas encore plus morcelée sur le plan footballistique.
Pour affiner le scouting dès le plus jeune âge et faire les bons choix en U17, tout en facilitant le passage de joueurs de bons clubs régionaux formateurs vers les clubs élite, Mannaert a aussi mis en place ce qu’il appelle un «sac à dos virtuel», contenant initialement des données administratives et médicales qui permettent un suivi de chaque joueur pendant tout son parcours, mais avec «l’ambition d’y intégrer des éléments techniques ou tactiques» à l’avenir. Un pas supplémentaire vers un territoire du ballon rond qui doit être le mieux maillé possible pour ne pas laisser des talents passer sous les radars. De quoi anticiper le plus tôt possible, aussi, ces fameuses questions binationales en préparant le terrain pour donner l’amour des Diables aux jeunes qui foulent les terrains belges.
En attendant que les pelouses de Tubize récoltent les fruits de ces graines plantées vers le football belge de demain, les portes du centre national s’ouvrent de plus en plus. Si Vincent Mannaert veut faire des lieux un pôle de recherche en sciences sportives, notamment en collaboration avec des universités belges, il a aussi invité des clubs étrangers à y venir faire leur stage d’avant-saison. Les espoirs de Chelsea ou l’équipe italienne de Venise ont ainsi poussé les portes du Martin’s Hotel et foulé les terrains, pour en rationaliser l’occupation et surtout en tirer quelques bénéfices financiers après une mise à niveau largement financée par les résultats de la génération dorée mais aujourd’hui en lourd déficit d’exploitation.
L’idée est même d’y rendre une tribune aux normes de la deuxième division nationale. Peut-être pour qu’un jour, on puisse y afficher les sept lettres de «Vincent».