Quand le président se déboutonne, on comprend déjà beaucoup mieux le mode de fonctionnement et le nouvel organigramme du Standard.
Bruno Venanzi a la Coupe de Belgique posée sur la table de son bureau chez Lampiris, il offre des oeufs en chocolat, il porte le jeans et montre fièrement, sur son smartphone, la photo de son abonnement au Standard en 2000-2001. Tranquille. On imagine mal le même accueil, le même détachement, la même ambiance sans chichis chez Roger Vanden Stock ou Bart Verhaeghe.
Le président du Standard n’a plus de fonction officielle chez le fournisseur d’énergie qu’il a créé et porté bien haut mais il y passe encore chaque jour. Ça lui rappelle peut-être que le monde de l’entreprise est décidément plus simple que le milieu du foot.
Après neuf mois de présidence, vous confirmez que c’est plus compliqué dans le foot ?
BRUNO VENANZI : Dans le football, on essaie de faire des plans à moyen et à long termes, mais dans un club comme le Standard, il suffit de trois défaites d’affilée, ou même seulement deux, pour que certaines personnes se demandent s’il ne faut pas tout remettre en cause. Le choix des joueurs, le choix du staff sportif, la politique de transferts, la façon de travailler avec les jeunes. Garder la raison, c’est arriver à ne pas prendre des décisions trop vite, en fonction des seuls résultats du moment.
Dans le monde des affaires, il n’y a pas la pression des supporters qui hurlent ou menacent la direction si les résultats ne sont pas bons.
VENANZI : On doit quand même satisfaire ses clients. La différence, c’est qu’ils ne lancent pas des tomates ou des mottes de terre s’ils ne sont pas contents.
Roland Duchâtelet s’est fait allumer dès qu’il est arrivé, il était la cible quand les résultats ne suivaient pas. Par rapport à lui, vous avez beaucoup de chance. Les supporters vous fichent la paix. L’élimination aux préliminaires de l’Europa League, la dernière place en octobre, la non-qualification pour les play-offs… Ils ont accepté tout ça sans trop broncher. Parce qu’ils vous sont toujours reconnaissants d’avoir rendu une coloration liégeoise au Standard ?
VENANZI : Déjà, le contexte de mon arrivée était différent, ça a sans doute joué en ma faveur. Roland Duchâtelet avait repris le Standard après une période faste avec les deux titres et une Coupe. C’était plus difficile pour lui que pour moi.
Et il avait éjecté Lucien D’Onofrio qui avait une bonne cote, alors que vous avez pris la place d’un Duchâtelet qui n’était pas apprécié…
VENANZI : Voilà ! Il y a aussi le fait que j’ai eu un meilleur dialogue avec les supporters. C’est sûrement pour cela que le public est resté patient. Ils ont aussi vu qu’il y avait un projet derrière. Et pour mettre un projet en place, il faut du temps.
» LES SUPPORTERS ONT GARDÉ LA CONFIDENTIALITÉ, C’EST REMARQUABLE »
Avant de reprendre le Standard, vous auriez expliqué votre projet, très confidentiellement, à quelques supporters, notamment aux ultras.
VENANZI : C’est exact. Ils m’ont assuré de leur confidentialité et ils l’ont gardée jusqu’au bout. Rien que ça, c’est assez remarquable, surtout qu’on ne se connaissait pas. Je leur ai expliqué que j’étais en phase de négociation avec Roland Duchâtelet et ça m’intéressait de savoir ce qu’ils en pensaient.
Ne pas voir une banderole hostile à la direction alors que le Standard était dernier, ça ne vous a pas étonné ?
VENANZI : Je ne suis pas naïf. Je sais que si on rate encore les play-offs 1 dans un an, ce sera déjà plus difficile !
Vous avez récemment nommé un ex-interdit de stade comme community manager. Ça ne risque pas de vous retomber dessus ?
VENANZI : Il est aussi notre ADN Directeur. Je sais que, de l’extérieur, ça peut sembler bizarre. Mais j’assume. Et aujourd’hui, il n’est plus IDS, interdit de stade. Il est ADS, autorisé de stade (il rigole)…
Vous avez compris l’état d’esprit de vos joueurs à Malines ? Aussi peu d’engagement alors qu’il y avait tellement d’enjeu !
VENANZI : Ça reste difficilement compréhensible. Ils étaient bien préparés. Yannick Ferrera avait analysé tous les détails, Olivier Renard connaissait par coeur le jeu de Malines. Par exemple, la phase type de cette équipe sur les corners, on la connaissait et on avait bien travaillé dessus à l’entraînement. Mais après dix minutes, ils ont un corner et ils sont à deux doigts de le mettre dedans.
Olivier Renard a été mal inspiré en chauffant les gens et les joueurs de Malines avant le match, non ?
VENANZI : Le président de Malines a aussi fait des déclarations qui le visaient. Il y a toujours un peu d’émotionnel dans des situations pareilles. Mais aucun adversaire n’a besoin de ça pour être motivé à fond contre le Standard, Bruges, Anderlecht ou Gand. On a tout entendu avant ce match, on a dit que les Malinois n’allaient pas jouer le coup, qu’ils allaient nous vendre des joueurs, que Jean-François Gillet n’allait pas être bon parce que c’est un grand copain d’Olivier Renard. Il ne faut pas accorder d’importance à tout ça. On devait être au-dessus de la mêlée. Même si j’avais dit que je détestais Malines, que c’étaient des gros imbéciles, et si ça les avait motivés à mort, ça ne devait rien changer : un Standard qui joue sa qualification pour les play-offs doit avoir suffisamment de qualité et de motivation pour gagner un match pareil.
Vous n’avez pas craint des dégâts irréparables pour la finale ?
VENANZI : En quittant Malines, je n’étais pas particulièrement de bonne humeur… Le lundi, en partant à l’Académie, je me disais : -Comment on peut remotiver tout ça ? Mais au fil de la semaine, j’ai vu qu’ils arrivaient à oublier Malines. Ils étaient dans leur finale. Et dès qu’elle a commencé, je me suis dit : -Même si on perd, voilà le Standard que je veux voir.
» LE FEELING QUE J’AI AVEC FERRERA, DUCHÂTELET L’AVAIT AVEC MUSLIN »
Vous avez débauché Yannick Ferrera à Saint-Trond puis Olivier Renard à Malines. Si vous forcez des opérations pareilles chaque saison, vous allez vous faire des ennemis dans tout le foot belge.
VENANZI : On devait mettre une structure en place, elle commence à l’être. Il y avait des personnes bien précises qu’on voulait à des postes clés, on a vu qu’elles avaient envie de venir dans notre projet. En janvier de l’année dernière, on était en stage en Espagne, au même endroit que Saint-Trond. J’avais vu Yannick Ferrera donner des entraînements. Je m’étais dit : -Ce petit gars qui crie, sa manière de coacher, c’est intéressant. C’était vachement plus intensif que nos séances. Mais je n’étais que vice-président, je n’avais rien à dire.
Et les entraînements de Slavo Muslin ?
VENANZI : Disons que c’était moins intensif. (Il rigole). Il transmettait une certaine agressivité mais c’étaient encore des anciennes méthodes. Muslin n’est pas une mauvaise personne mais son approche ne correspond pas à la mienne.
Vous avez quand même participé aux discussions avant son engagement. Et vous saviez que vous alliez racheter le club.
VENANZI : Je négociais avec Roland Duchâtelet. C’est comme ça partout : aussi longtemps que ce n’est pas signé, rien n’est sûr. Roland Duchâtelet ne discutait pas qu’avec moi. Les Hollandais de Value 8 étaient toujours dans le coup, il y avait aussi un autre groupe étranger. Et ce n’était pas la première fois qu’il mettait le club en vente, donc ça aurait encore pu capoter et il n’était pas exclu qu’il reste finalement.
Pourquoi voulait-il absolument Muslin ?
VENANZI : C’est aussi une question de génération. Ils se comprenaient très bien. Le feeling que j’ai avec Ferrera, Duchâtelet l’avait avec Muslin.
Duchâtelet marchait beaucoup à l’affectif, vous êtes plus raisonné.
VENANZI : J’essaie de prendre différents avis. Sur les joueurs par exemple, Daniel Van Buyten pense un truc. Olivier Renard pense autre chose. Et Bob Claes dit encore autre chose. J’écoute tout le monde.
Ce n’est pas compliqué, cette structure avec autant de monde ?
VENANZI : J’aime bien cette diversité. Ecouter plusieurs personnes, ça m’oblige à prendre du recul et ça m’évite de prendre des décisions émotionnelles. J’écoute aussi mon associé de chez Lampiris, qui ne suit pas le football de près. Et mon conseiller financier n’y connaît absolument rien. Lui, il voit le business plan, les impacts exclusivement financiers. Par exemple, il voit qu’on a eu Anthony Knockaert gratuitement, qu’on a l’occasion de le vendre pour 3 millions, et encore un bonus de 500.000 si Brigthon monte en Premier League. Il est clair : -Fonce ! C’est le coup de l’année.
C’est le rôle de Bob Claes de vous conseiller sur des dossiers pareils.
VENANZI : Oui mais il reste supporter. Alors que mon conseiller financier fait une analyse financière froide.
Il y avait aussi Axel Lawarée mais dès l’arrivée de Daniel Van Buyten, on a vu qu’il avait de moins en moins d’impact. On dit même qu’il n’était pas au courant de certaines négociations quand il était toujours directeur sportif.
VENANZI : Disons qu’il était déjà moins impliqué dans le mercato de janvier. Il a compris qu’il n’était plus dans la dynamique. Il y a des choses qu’il aime et qu’il fait très bien, et ça, il aimait un peu moins. On a discuté avec lui, on a compris qu’il avait plus envie de s’occuper d’un noyau d’aspirants professionnels.
» ON A DÉJÀ RENCONTRÉ LE BAYERN, LA JUVE, CHELSEA, TOTTENHAM, BENFICA, L’ATLÉTICO, LE PSG… »
Qu’est-ce que Van Buyten vous a déjà apporté, concrètement ?
VENANZI :On lui demande de faire marcher son carnet d’adresses, de se renseigner sur des partenariats possibles. Ensemble, on a déjà rencontré plusieurs présidents. On est allés au Bayern, à la Juventus, à l’Olympiacos, à Tottenham, à Chelsea, à Benfica, à l’Atlético Madrid, au PSG, à Lyon, à Saint-Etienne, à Monaco… Bientôt, ce sera l’AS Rome.
Vous espérez que ça ira plus loin qu’un bon resto ?
VENANZI :Bien sûr. Ça peut aussi faciliter des transferts, par exemple. Ce n’est jamais perdu.
Van Buyten est censé professionnaliser encore plus le club. Ça marche ?
VENANZI : Oui. Il nous ouvre les yeux sur pas mal de choses. Quand on est allés à Chelsea, on était à la cafétéria, José Mourinho l’a reconnu et il est venu s’asseoir à notre table. Puis tous les joueurs sont venus nous serrer la main. Willian, Branislav Ivanovic, Diego Costa… Tous les joueurs du Standard ne l’auraient pas fait. Peut-être des conneries, mais finalement, je trouve ça important parce que c’est révélateur d’un état d’esprit. Et on a vu toute la professionnalisation du club. Michael Emenalo, le directeur technique, nous a sorti un fascicule avec tous les joueurs prêtés par Chelsea. Chaque lundi matin, c’est mis à jour : qui a joué, combien de temps, contre qui, comment ? On ne faisait pas ça chez nous. A la Juve, on a vu encore autre chose. Au Bayern, c’est la culture de la gagne qui nous a frappés. Daniel Van Buyten m’avait expliqué, avant d’y aller ensemble, qu’il avait été pris à partie par Mehmet Scholl et un autre cadre, le jour où il avait signé son contrat. Ils lui avaient dit : -Tu viens ici pour faire quoi ? Pour jouer au foot ? Il avait répondu : -Oui, pour jouer au foot. Ils lui avaient alors lancé : -Non, tu ne viens pas au Bayern pour jouer au foot. Tu viens pour gagner des matches. C’est la mentalité qu’on veut insuffler au Standard. Un autre exemple. Il y avait deux chaises cassées à notre Académie. Van Buyten n’avait pas encore signé comme administrateur, il m’a dit : -C’est quoi ce truc ? Ça ne va pas. Ça montre un manque de discipline. Les joueurs ne vont pas respecter le club s’ils voient que le club ne respecte pas le matériel. Je peux aussi parler des ballons. Par exemple, on allait jouer à Genk mais on ne s’entraînait pas avec des ballons Nike.
C’est étonnant à ce niveau !
VENANZI :C’est terrible ! La veille du match retour contre Molde, Van Buyten vient voir l’entraînement. Il fait sec mais on annonce des fortes pluies pour le lendemain. Il demande pourquoi on n’arrose pas le terrain. Muslin le regarde : -Ah oui, pourquoi pas ? Mais le gars qui sait ouvrir les vannes est déjà parti. Donc, on n’arrose pas. Et le lendemain, il n’arrête pas de pleuvoir, donc on doit jouer sur un terrain détrempé. Il y a aussi Victor Valdés qui arrive au repas, le jour de son premier entraînement. Il n’a pas mis le même training que les autres. Il s’excuse auprès de Ferrera et part se changer. Un jeune ne l’aurait jamais fait. Van Buyten et Valdés ont joué au Bayern et à Barcelone, sans doute les clubs les plus pros du monde. Ça nous aide. Et puis, vous pensez qu’un joueur convoité par le Standard écoutera plus volontiers Bruno Venanzi ou Daniel Van Buyten ? L’impact ne sera pas le même. Entre le président qu’il a vu sourire ou faire la gueule en tribune, et un gars qui a passé huit ans au Bayern, qui a gagné la Ligue des Champions et qui a fait deux Coupes du Monde… je pense que l’avis de Van Buyten comptera plus que le mien.
Vous n’avez pas encore regretté d’avoir racheté le Standard ?
VENANZI : Non, quand même pas. Mais j’ai vite su qu’il y avait un boulot énorme. Déjà avant de se retrouver à la dernière place, Van Buyten m’avait prévenu : -Tu n’imagines pas à quel point cette équipe est au fond du trou. La mentalité, ce n’est vraiment pas bon. On n’y est pas. Lui, il veut amener le Standard en Ligue des Champions, c’est pour ça qu’il est venu.
Pour vous, l’objectif, c’est bien le titre dès l’année prochaine ?
VENANZI : Oui, ou en tout cas essayer de le jouer jusqu’au bout. On sait qu’on ne peut pas rivaliser avec quelques clubs au niveau financier, en montants de transferts, en salaires. Mais La Gantoise l’a fait sans avoir un gros budget. Au fait, qui va être champion, vous croyez ? Juste pour avoir une idée de l’adversaire qu’on aura en Supercoupe. (Il rigole).
PAR THOMAS BRICMONT ET PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE – CHRISTOPHE KETELS
» En affaires aussi, on doit satisfaire ses clients. La différence, c’est qu’ils ne lancent pas des tomates ou des mottes de terre s’ils ne sont pas contents. » – BRUNO VENANZI
» La vente de Knockaert à Brighton, c’est le coup de l’année. » – BRUNO VENANZI