Raphaël Collignon est le tennisman belge qui monte en cette fin d’année 2025. Tombeur de têtes de série en Grand Chelem, spectaculaire en Coupe Davis, le Liégeois muscle son jeu et son esprit pour voler de ses propres ailes.
Le carton d’invitation sonne comme une récompense. Parce qu’il est toujours de bon ton d’alimenter le contingent de joueurs nationaux pour animer les tribunes et faire vibrer les cordes vocales des patriotes, Raphaël Collignon reçoit l’une des trois wild-cards de l’European Open, disputé à Anvers aux premières chutes de feuilles de l’automne 2024. L’aventure est de courte durée. Il n’y a que la bruyante sonnerie du téléphone de Márton Fucsovics, 93e joueur mondial, pour créer un soupçon de surprise au début d’un match qui tourne vite à la démonstration: le Hongrois colle un autoritaire 6-2, 6-0 à un Belge qui semble tétanisé par l’enjeu.
Un an plus tard, la nouvelle invitation envoyée à Raphaël Collignon a une tout autre portée. Quelques semaines auparavant, le Liégeois a créé la sensation en Coupe Davis, venant à bout de son premier membre du Top 10 mondial. La victime s’appelle Alex de Minaur, et rejoint un tableau de chasse qui comptait déjà depuis quelques jours la raquette du Norvégien Casper Ruud, battu en cinq manches au deuxième tour d’un US Open dont il disputait pourtant la finale trois ans auparavant. C’est dire si en une année, le joueur belge a pris une autre dimension. «Raph» le confirme d’ailleurs sans traîner, venant à bout en deux manches de son compatriote et ami Zizou Bergs, dans un match qu’il redoutait pour son entrée en lice dans le tournoi, organisé cette fois à Bruxelles.
Il faut dire que Raphaël Collignon n’est pas connu pour maîtriser au mieux ses émotions. Peut-être a-t-il trop souvent vu son père, neurochirurgien de renom, avoir la main qui tremble au moment de manier la raquette quelques heures après avoir minutieusement déplacé son scalpel dans une boîte crânienne. «Parfois, je demande à mon père comment il se sent quand il opère, alors qu’un faux mouvement peut être fatal à son patient, expliquait-il dans un article publié sur le site Web de l’ATP au début de l’année. Il me répond qu’il fait ça depuis 25 ou 30 ans, qu’il est une machine. Mais lorsqu’il joue au tennis, il éprouve du stress et n’ose pas frapper la balle.»
«J’ai toujours progressé, chaque année.»
Enfance chirurgicale et laboratoire de talents
C’est qu’en touchant la balle du bout de la raquette, Frédéric Collignon n’a pas ce talent supplémentaire qu’il a vite décelé chez son fils, quand il l’emmenait à sa suite au club du Royal Fayenbois, à Liège. Dans son lieu de détente privilégié, hors des heures qu’il accumule à la tête du service de neurochirurgie de l’hôpital Delta à Auderghem, le père remarque que son rejeton fait facilement rebondir la balle à plusieurs reprises entre un mur et le tamis de sa raquette. Les rêves de carrière sont encore loin, mais le talent est suffisant pour enchaîner des matchs, des victoires, des stages d’une semaine à Mons au sein de la Fédération francophone de Tennis, puis une intégration, dès ses 13 ans, à l’internat où se retrouve les meilleurs talents.
En résumé, Raphaël Collignon est très doué. Son mètre 95 rapidement acquis lui permet de frapper très fort la balle, notamment au service, et son jeu de jambes est d’une vivacité exceptionnelle pour un homme de sa stature. Autant d’atouts qui finissent de convaincre la Fédération de l’intégrer à sa «Team Pro», une fois la majorité atteinte. En compagnie de Jack Loge, Emilien Demanet et Gauthier Onclin, les trois autres bénéficiaires de ce statut particulier, le Liégeois peut s’appuyer sur une bourse d’aide à la compétition pour couvrir une partie des importantes dépenses que requiert la course à une place dans le Top 100, ainsi que d’un encadrement de haut niveau. Pour Collignon, il s’incarne en la personne d’un certain Steve Darcis, Liégeois comme lui, et devenu son coach en 2020, à une époque où «Shark» met un terme à sa carrière pour prendre en charge celle d’un gamin sorti des juniors, sans le moindre point ATP au compteur.
La suite, c’est Raphaël Collignon qui la raconte le mieux, à Eurosport: «J’ai toujours progressé, chaque année. J’ai commencé sur le circuit pro en 2021, j’ai fini 980e. En 2022, j’ai réalisé une très bonne année, je suis passé 280e. En 2023, j’ai très bien joué les six premiers mois, je suis entré dans le Top 200 et j’ai participé à mes premières qualifs de Grand Chelem. Là, malheureusement, à Wimbledon, je me suis fait une fracture de fatigue au bras. J’ai essayé de revenir au bout de trois mois et je me suis fait le pied. Fracture de fatigue, encore. Je n’ai pas joué pendant six mois. Ça m’a un peu stoppé. Finalement, l’an dernier, j’ai fini 120e.»

Collignon contre le stress
Parmi les causes souvent relevées des fractures de fatigue, il y a le stress. Le talon d’Achille de Collignon, selon tous ceux qui l’ont côtoyé. Aux dires de ceux-là, son évolution majeure de l’année 2025 est en bonne partie due à sa collaboration accrue avec Dominique Eloy, kiné spécialisée dans la préparation mentale et ancien atout de choix du staff des frères Saive, de Justine Henin ou de Steve Darcis. Avec le Liégeois, elle pratique l’hypnothérapie et la chromothérapie pour faire évoluer son rapport à la compétition.
L’hypnose, surtout, produit des effets salués par le joueur. Dominique Eloy la détaille à la DH: «L’hypnothérapie, c’est un état de conscience modifié. On est bien dans la conscience, mais par ce biais-là, on peut aller remodeler toutes les croyances limitantes qui empêchent d’atteindre notre objectif.» Un boost pour la confiance en soi que Raphaël Collignon réalise également à travers des séances d’autohypnose quotidiennes, suivant des rituels de respiration pour que sa concentration décolle et que son stress s’effondre. Visiblement avec succès, au vu d’une fin d’année 2025 qui l’installe solidement dans le Top 100.
Au-delà des séances de sa coach mentale, le déclic se produit aussi sur les courts. Ceux de l’US Open, précisément, où il décroche à la fin du mois d’août sa première victoire en Grand Chelem, dès son deuxième tournoi. Forfait à Roland-Garros, Collignon découvre l’univers des tournois majeurs à Wimbledon, là où son corps avait crié stop deux ans plus tôt. Le tirage au sort lui offre une confrontation avec Marin Cilić, le puissant croate finaliste du même tournoi en 2017. L’expérience ne dure que trois sets, mais est bien utile pour venir à bout du Colombien Daniel Elahi Galán quelques semaines plus tard, à New York. La belle histoire se poursuit quand Casper Ruud est la victime suivante et, même suite à la défaite contre Jiri Lehecka au troisième tour, la médiatisation est en marche pour celui dont la vie se raconte d’autant plus aisément qu’elle a commencé aux Etats-Unis, sur les terres de ses premiers exploits. C’est en effet dans le Minnesota, précisément à Rochester, que Raphaël Collignon est né au début du siècle, quand son père travaillait à la Mayo Clinic puis dans un hôpital new-yorkais durant trois ans.
Sa botte secrète pour évacuer le stress: des séances d’autohypnose quotidiennes et des rituels de respiration.
La magie de la Coupe Davis
En Australie, il n’y a plus de lien à faire avec le passé. Simplement un grand coup frappé à la porte de l’avenir, avec cette victoire spectaculaire contre la star locale Alex de Minaur dans un stade de Coupe Davis surchauffé par 10.000 spectateurs. L’atmosphère sublime Raphaël Collignon, dont le passé de footballeur prometteur sous les couleurs du petit club de Beaufays rappelle l’amour du collectif, important pour ce tennisman dans une discipline parfois trop individuelle à son goût.
Aussi patriote que son coach Steve Darcis, qui avait pris l’habitude de jouer son meilleur tennis une fois que la Brabançonne résonnait sur le court, le Liégeois était d’ailleurs dans les tribunes lilloises en 2017 pour voir sa Belgique défier la France en finale de la Coupe Davis. Terrassé par Jo-Wilfried Tsonga puis par Lucas Pouille en simple, Darcis avait toutefois joué un grand rôle dans la présence de son pays pour l’apothéose collective de la saison de tennis. Cette fois encore, dans une nouvelle formule de la compétition, c’est la France qui se dressera face aux Belges pour les quarts de finale de la coupe, disputés en Italie. En compagnie de Zizou Bergs, Raphaël Collignon y défendra les chances de la Belgique pour les matchs en simple. Avec l’envie de montrer à son entraîneur, également coach de l’équipe nationale, que sa progression est loin d’être terminée.
«Ça fait cinq ans qu’on travaille ensemble, évoque le Liégeois à Eurosport au sujet de celui qui le pousse souvent dans ses retranchements et l’incite à jouer un tennis plus agressif. J’ai vraiment eu beaucoup de chances que la Fédération me le mette à disposition.» Ce sera le cas jusqu’à ses 25 ans, âge auquel son statut au sein de la Team Pro prendra fin pour que Raphaël Collignon se mette à voler de ses propres ailes. Le plus haut possible.