La Coupe Davis vit sa phase finale en Italie. Sans véritable star à se mettre sous la dent, parce que la compétition a perdu son charme en tentant de se moderniser.
Pour mesurer l’ampleur d’une actualité sportive en Italie, la Une de la Gazzetta dello Sport est le meilleur thermomètre. Affilié à la religion footballistique, le quotidien aux pages roses n’est pas du genre à laisser le ballon rond aux marges de sa vitrine, surtout un soir de Ligue des Champions. Le 21 octobre, pourtant, les affrontements de l’Inter et du Napoli contre l’Union Saint-Gilloise et le PSV passent au second plan. La presse italienne s’adresse alors à Jannik Sinner, son étoile du tennis, pour l’implorer de revenir sur sa décision de zapper la Coupe Davis pour se concentrer sur la saison à venir. Vainqueur des deux dernières éditions en compagnie de la sélection italienne, le ténor de la petite balle jaune ne sera pas de la partie pour un «Final 8» pourtant disputé sur ses terres, à Bologne. L’Italie est sous le choc, mais c’est sans doute la seule.
Parmi les membres actuels du top 15 mondial, seul Alexander Zverev est au rendez-vous du dernier grand évènement de la saison de tennis. Pas de gaieté de cœur, puisque l’Allemand a raconté en prélude à l’apothéose qu’il était surtout là pour faire plaisir aux vétérans du tennis teuton et saisir cette opportunité, peut-être la dernière, d’offrir à l’Allemagne le Saladier d’argent, prestigieux trophée qui lui échappe depuis 1993. «Si vous perdez en quart ou en demi-finale, c’est vraiment une perte de temps», décrit le troisième joueur mondial, se rappelant avec nostalgie du monde d’avant: «J’ai joué contre Nadal dans une arène en Espagne. Ca, c’était la vraie Coupe Davis.»
Jusqu’à 2018, l’épreuve se dispute effectivement de façon décousue au fil de la saison, avec une formule bien rôdée. Des matchs en trois sets gagnants, comme en Grand Chelem, et des rencontres étalées sur trois jours: deux simples le vendredi, un double le samedi et deux autres simples le dimanche, avec trois victoires nécessaires pour remporter le duel. Les souvenirs sont épiques, mais la formule éreintante et difficile à lire. Souvent, les stars du circuit n’entrent en scène que pour les derniers tours, et préfèrent le repos à des déplacements parfois longs dans leur calendrier surchargé de tournois. Si Rafael Nadal, Novak Djokovic, Roger Federer ou Andy Murray l’ont tous gagnée, ils y ont rarement consacré plusieurs tentatives, et y reviennent encore moins souvent une fois le Saladier posé sur leur cheminée.
Un footballeur a cassé la Coupe Davis
Dès 2019, la société Kosmos du footballeur Gerard Piqué décide donc d’offrir un lifting à la compétition, pensée comme une Coupe du monde: tout se joue en quelques jours, au même endroit, avec 18 (puis très vite, seize) équipes réparties en six poules de trois, et des matchs désormais joués en une journée et trois duels, deux simples puis un double. Le charme s’envole.
La crise sanitaire passe par là, les matchs sont des fiascos en tribune, en-dehors de ceux qui concernent l’équipe locale (l’Espagne, pour les cinq premières éditions), et Kosmos est éconduit par la Fédération internationale de tennis (ITF) dès le début de l’année 2023, bien loin du contrat de 25 ans initialement signé. Le soutien inconditionnel de Rafael Nadal, acteur majeur de la première «nouvelle» édition remportée par les Espagnols en 2019, n’aura pas suffi. Si le Majorquin avait raison d’affirmer que »les meilleurs joueurs n’étaient pas toujours disponibles pour tous les éliminatoires», il visait bien moins juste en s’affirmant «confiant que cela fonctionne».
L’ITF tente de sauver le flop, adapte la formule pour l’édition 2025. Finie la phase de poules préalable au «Final 8», remplacée par des huitièmes de finale à l’ancienne, disputés en trois matchs gagnants (sans revenir à la formule des duels en cinq sets) avec l’une des deux nations qui évolue à domicile. Insuffisant pour recréer l’engouement, ce qui est de nature à agacer un ancien vainqueur. Ex-numéro 1 mondial, propriétaire du Saladier d’argent au terme de l’édition 2007, Andy Roddick gifle l’épreuve comme il claquait ses services face au micro de son podcast «Served with Andy Roddick». L’Américain n’a pas goûté à la défaite à domicile de ses couleurs contre la République Tchèque, face à des gradins clairsemés à Delray Beach alors que Frances Tiafoe jouait un match décisif contre Jakub Mensik à 2-2: «Il y avait seulement 3.000 personnes. Quand nous avions perdu contre l’Espagne en 2004, il y avait 29.000 fans dans un stade de football. L’ambiance était incroyable. C’est ça, la Coupe Davis.»
Sans doute Andy Roddick n’a-t-il pas suivi d’aussi près la défaite amère du Danois Holger Rune face aux Espagnols, devant un public bruyant et chambreur, ou le double exploit de Raphaël Collignon devant un public australien surchauffé. Toujours est-il qu’on ne peut pas lui enlever: la compétition a changé. «Malheureusement, je n’ai jamais pu jouer la vraie Coupe Davis, celle où il y avait les matchs à l’extérieur», déplore Jannik Sinner en marge de son forfait. «Un match entre les Etats-Unis et l’Australie à Bologne, il manquera du frisson propre à la Coupe Davis.»
Atmosphère, journées et double sabordé
«La vraie Coupe Davis, c’est une question d’atmosphère», abonde Alexander Zverev, coutumier de l’épreuve depuis ses plus jeunes années. Des ambiances plus proches du football que du calme tennistique, des spectateurs qu’il faut calmer, des champions qui s’agacent ou des anonymes qui se transcendent devant des gradins bouillants: tout ça fait la recette d’une compétition qui a marqué les esprits. Un tirage au sort favorable peut parfois permettre à un pays sans véritable star d’être porté par son public jusqu’à la finale, voire au trophée.
L’étalement sur plusieurs jours jouait également un rôle majeur dans la dramaturgie de l’épreuve. Spécialiste belge des victoires inattendues une fois transcendé par son patriotisme, Steve Darcis en témoigne. L’actuel capitaine de l’équipe nationale affirme que «trois matchs en deux sets gagnants sur une seule journée, ça va très vite, c’est de la merde. La Coupe Davis n’existe plus vraiment, je trouve que le format est vraiment dégueulasse.»
Pour couronner le tout, la réduction à trois duels lors de la phase finale atténue le rôle pivot du match joué en double, autrefois disputé à mi-chemin des cinq rencontres. C’était également l’occasion pour les spécialistes de cette discipline particulière de recevoir une rare mise en lumière nationale, là où leur match passe aujourd’hui régulièrement à la trappe. Lors des cinq finales disputées depuis l’adoption de la nouvelle formule, le score était à chaque fois de 2-0 après les deux matchs en simple. Non seulement le double n’est plus décisif, mais il n’est même plus joué.
Une Coupe Davis tous les deux ans?
Ancien finaliste de l’épreuve, contraint à l’abandon dans une arène milanaise surchauffée alors que le score était de 6-6 dans son cinquième set contre le Suédois Magnus Norman, Andrea Gaudenzi est aujourd’hui le président de l’association des tennismans professionnels (ATP). L’Italien est conscient que «l’atmosphère est le cœur du produit», mais peine à convaincre l’ITF de revenir à l’ancienne formule, trop contraignante dans un calendrier qui déborde déjà et qui doit désormais composer avec l’expansion de ces tournois d’exhibition très prisés par les joueurs car plus relaxants et surtout rémunérateurs.
S’il a déclaré forfait pour le «Final 8» afin de se reposer, Jannik Sinner a ainsi rallié l’Arabie saoudite pour y disputer le Six Kings Slam, un tournoi où trois matchs suffisent pour empocher six millions de dollars, le triple de la somme mise en jeu lors d’une levée du Grand Chelem comme l’Open d’Australie.
«C’est difficile d’avoir les meilleurs joueurs de chaque pays tous les ans», explique encore le champion italien. En coulisses, une formule à l’ancienne, mais étalée sur deux saisons pour ventiler le calendrier serait à l’étude. «Il n’y a aucun sport où la Coupe du monde se joue tous les ans», justifie Andrea Gaudenzi, visiblement séduit par l’idée. En attendant, le forfait de Jannik Sinner conjugué à celui de son compatriote Lorenzo Musetti, huitième mondial, pourrait faire les affaires de la Belgique, opposée au double tenant du titre italien en demi-finale. Si la Belgique venait à aller au bout, surpassant ses performances de 2015 et 2017 (deux défaites en finale), on trouverait forcément quelques personnes sur le sol belge pour glisser, peut-être avec un brin de mauvaise foi, que cette nouvelle formule n’est pas si merdique que ça.