On la compare avec Martina Hingis ou Maria Sharapova. Ce qu’elle ne veut pas. Mirra Andreeva n’a que 18 ans et un avenir que tous annoncent radieux. Parcours d’une Russe bénie par la raquette.
Peut-être est-ce un prélude à son avenir ensoleillé? Toujours est-il que comme le cœur du système solaire, l’histoire de Mirra Andreeva se lève à l’est. Très à l’est même, au beau milieu de la Sibérie, dans la ville russe de Krasnoïarsk, à la fin avril 2007. La région, où les hivers font plonger le mercure jusqu’à 30 degrés sous le zéro, n’est pas un terrain propice à l’éclosion de talents tennistiques. On dit pourtant qu’il y a des exceptions qui naissent partout, et des parents qui peuvent les aider à réaliser ce pourquoi elles semblent faites.
C’est le cas de Mirra Andreeva. Sa mère, Raisa, est devenue accro au tennis en voyant son compatriote Marat Safin remporter l’Open d’Australie en 2005. Elle a transmis cette passion à ses deux filles: d’abord Erika, puis Mirra.
A l’âge de 6 ans, la cadette frappe déjà ses premières balles jaunes, même si les conditions ne sont pas idéales. Les courts extérieurs sont en effet inutilisables pendant les mois de l’hiver sibérien, et la dépendance à l’égard des installations intérieures, forcément moins nombreuses, limite les heures d’entraînement potentielles.
Pourtant, Mirra excelle très rapidement. Elle compense sa petite taille par une combativité sans pareille. Elle n’a soufflé que huit bougies quand elle atteint les demi-finales d’un tournoi international de jeunes, en Allemagne, dans la catégorie des moins de 12 ans. Les performances de Mirra Andreeva attirent l’attention d’un découvreur de talents qui encourage son père Aleksandr et sa mère Raisa à s’éloigner de la Sibérie.
Sotchi en famille
Pour offrir à Erika, 13 ans, et Mirra, 10 ans, de meilleures conditions d’entraînement, la famille déménage donc de Krasnoïarsk à Sotchi, en 2017. La ville, située sur les bords de la mer Noire, a accueilli les Jeux olympiques d’hiver trois ans plus tôt et dispose de courts de tennis modernes, ainsi que d’un climat plus doux.
Cela accélère le développement de Mirra qui, à 11 ans, obtient une place dans l’équipe nationale junior de Russie, un exploit à cet âge. L’objectif est déjà fixé: faire un jour partie des meilleures joueuses de tennis du monde. Ainsi, Raisa promet un chien à sa fille si elle atteint un jour le Top 20 mondial, un objectif que Mirra poursuit avec ardeur à l’adolescence. Histoire de rattraper, aussi, son autre modèle: sa sœur Erika, brillante chez les juniors au point d’atteindre, en 2019, la finale de Roland-Garros dans cette catégorie. La sœur aînée conseille sa cadette sur la tactique à adopter sur le court, ainsi que sur les caractéristiques de ses adversaires. Ce qui accélère le processus d’apprentissage de Mirra.
Cette dernière est consciente de ce qu’elle doit à sa sœur: «Grâce à Erika, j’ai évité certaines erreurs qu’elle a elle-même commises.» Leurs duels sur le circuit professionnel -où Erika s’est installée au fond du Top 100 mondial- sont considérés par Mirra comme les plus difficiles à jouer: «C’est émotionnellement difficile de jouer contre ma sœur. Je veux gagner, comme toujours, mais je ne veux pas lui faire de mal.»
Cannes et l’ascension
En 2022, les parents, Aleksandr et Raisa, décident de quitter la Russie pour établir leurs quartiers à Cannes, en France, où leurs deux filles s’entraîneront au très réputé Tennis Elite Center. Une décision audacieuse qui ne s’explique pas que sportivement. La situation géopolitique et les sanctions à l’encontre des athlètes russes empêchent les deux adolescentes de participer à des tournois internationaux sous leur bannière nationale.
La démarche est payante. En 2023, Mirra Andreeva atteint la finale de l’Open d’Australie chez les juniores, même si elle perdra au terme d’un match éprouvant face à Alina Korneeva. Après six titres glanés au niveau professionnel ITF inférieur, la Russe décide alors qu’elle n’a plus rien à apprendre chez les juniors, où elle a déjà atteint le premier rang mondial.
Soutenue par la célèbre agence de management IMG, organisatrice de la plupart des grands tournois du calendrier mondial, elle s’installe définitivement sur le circuit WTA. La même année, juste avant son seizième anniversaire, Mirra Andreeva effectue ses débuts pros grâce à une invitation pour le tournoi de Madrid. Elle atteint le quatrième tour et devient ainsi la troisième plus jeune joueuse à remporter un match lors d’un tournoi WTA 1000, la catégorie juste en dessous des tournois du Grand Chelem.
Son ascension est fulgurante: en 2024, à seulement 17 ans, elle atteint les demi-finales de Roland-Garros, devenant ainsi la plus jeune demi-finaliste d’un tournoi du Grand Chelem depuis 1997. Elle y écarte notamment Victoria Azarenka (ancienne numéro une mondiale et double lauréate de l’Open d’Australie) et Aryna Sabalenka, la numéro deux mondiale qui avait balayé sa sœur Erika au premier tour. Quelques semaines plus tard, elle décroche l’argent au tournoi olympique de double, à Paris. Cette année, la Russe a encore franchi un cap en s’offrant la victoire finale au tournoi WTA 1000 de Dubaï et, un mois plus tard, un triomphe encore plus prestigieux à Indian Wells, un tournoi parfois appelé le «cinquième Grand Chelem».
A Dubaï, Mirra Andreeva est devenue la plus jeune gagnante d’un tournoi WTA 1000 et, à Indian Wells, la plus jeune joueuse, depuis 40 ans, à battre les numéros une et deux mondiales (Aryna Sabalenka et Iga Swiatek) dans un même tournoi. Seules des icônes du tennis comme Steffi Graf et Serena Williams avaient réussi des performances similaires à l’adolescence.
«Je me dis: Mirra, si tu perds, pas de pizza ce soir. Ça marche toujours.»
Martina Hingis et YouTube
Quelques semaines après avoir atteint l’âge de la majorité, qu’est-ce qui rend Mirra Andreeva si spéciale? Une combinaison de coups puissants, un service rapide, une vision du jeu exceptionnelle et une résistance mentale probablement forgée dans la glace sibérienne. Sa capacité à jouer sous pression et à construire patiemment des points la distingue également de ses adversaires, qui ont souvent du mal à faire face aux exigences physiques et mentales du tennis professionnel.
Alors que de nombreuses joueuses de haut niveau misent sur la puissance et l’agressivité, la Russe excelle également dans les variations techniques. Martina Hingis, qui a remporté cinq tournois du Grand Chelem dans les années 1990, n’est pas par hasard sa principale source d’inspiration. Comme la Suissesse, Mirra Andreeva utilise des coups comme le slice, le drop ou le topspin (NDLR: coup qui donne à la balle une rotation vers le haut et la fait donc plonger vers le sol après le rebond) pour déséquilibrer ses adversaires. La jeune Russe regarde même régulièrement des matchs de Martina Hingis sur YouTube: «Je veux jouer comme elle, mais de manière moderne.»
Conchita Martínez a également joué un rôle clé dans son développement. La lauréate espagnole de l’édition 1994 de Wimbledon est devenue sa coach au début de l’année 2024. Elle a affiné l’arsenal technique et tactique de sa protégée, grâce à des séances d’entraînement quotidiennes d’une durée totale de cinq heures. Elles se déroulent sur le court, lors d’analyses vidéo particulièrement poussées, ou à la salle de fitness pour améliorer son agilité, son explosivité et son endurance. De quoi permettre à la «petite» Sibérienne (1,75 mètre) d’affronter des joueuses plus grandes et plus fortes physiquement comme Aryna Sabalenka (1,82 mètre), la reine du circuit, qu’elle a vaincue en finale d’Indian Wells dans une longue bataille en trois sets.
La coach Martínez contrôle également le caractère parfois impétueux d’Andreeva. Un trait de personnalité qui s’est révélé très tôt: à l’âge de 6 ans, Mirra a refusé de terminer une séance d’entraînement parce qu’elle trouvait que les balles étaient «trop vieilles et trop « pelucheuses »». Son entraîneuse de l’époque, Marina Pavlova, a déclaré plus tard en riant: «Même à cet âge, elle savait déjà exactement ce qu’elle voulait.» Sur le circuit professionnel aussi, le tempérament et les colères de Mirra Andreeva lui ont déjà valu amendes et pénalités. Après qu’Aryna Sabalenka l’a sortie de son match au quatrième tour de l’Open d’Australie, en début d’année, elle a eu une discussion musclée avec Conchita Martínez au sujet de son attitude sur le court. «C’était dur, mais nécessaire», a admis la jeune promesse du tennis mondiale. La coach espagnole l’a également convaincue de travailler avec un psychologue pour qu’elle apprenne à mieux gérer ses émotions. Andreeva a notamment appris à contrôler sa respiration aux moments cruciaux d’un match.
Les atouts d’une égérie
Le résultat de ce processus est remarquable. A Indian Wells, Mirra Andreeva a remporté le titre en affichant une attitude calme et enjouée qui a également séduit le public. Son discours de victoire était aussi teinté d’une certaine touche d’humour: «Je veux surtout me remercier moi-même, comme le ferait Snoop Dogg.»
La personnalité de Mirra se manifeste non seulement dans ses discours, mais aussi dans ses interactions à l’extérieur du court. Lors d’une conférence de presse à Indian Wells, où un journaliste lui a demandé comment elle gérait la pression lors de duels contre des joueuses de haut niveau comme Sabalenka et Swiatek, Mirra Andreeva a répondu avec malice: «Je me dis: Mirra, si tu perds, pas de pizza ce soir. Ça marche toujours.»
La séquence est devenue virale sur les réseaux sociaux. Cela montre sa capacité à ne pas se prendre trop au sérieux, un trait de caractère rare dans le monde souvent tendu du tennis professionnel. Elle ne perd évidemment pas sa concentration pour autant: «Je ris beaucoup, mais sur le court, je veux être une lionne.» De quoi alimenter les comparaisons déjà nombreuses avec Maria Sharapova, sa compatriote qui avait remporté Wimbledon en 2004, à seulement 17 ans. Comme cette dernière, Andreeva allie une volonté de fer à une maturité frappante pour son jeune âge, bien que son style de jeu soit moins puissant et plus technique.
Les deux femmes partagent également des similitudes hors des courts: elles parlent couramment l’anglais, sont très à l’aise avec les médias et sont très vite considérées par des entreprises comme des influenceuses potentielles. Pourtant, Mirra Andreeva insiste sur le fait qu’elle veut suivre sa propre voie: «Maria était géniale, mais je suis Mirra».
Seules deux autres adolescentes figurent dans le Top 100 du classement WTA.
Pourquoi les ados stars sont si rares au tennis
L’ascension de Mirra Andreeva est finalement unique dans le tennis féminin moderne. Après sa victoire à Dubaï, elle s’est hissée à la sixième place du classement mondial, devenant ainsi la plus jeune joueuse du Top 10 depuis la Tchèque Nicole Vaidisova en 2007. Seules deux autres adolescentes figurent dans le Top 100 du classement WTA. La Philippine Alexandra Eala, 19 ans, qui a étonnamment atteint les demi-finales à Miami, à la 70e place, et l’Australienne Maya Joint, 18 ans, à la 78e place.
A titre de comparaison, en 2000, on dénombrait 17 adolescentes dans le Top 100, tandis que des championnes comme Steffi Graf, Monica Seles, Martina Hingis, Serena Williams et Maria Sharapova avaient remporté un ou plusieurs tournois du Grand Chelem avant leurs 20 ans. Seules la Britannique Emma Raducanu et l’Américaine Coco Gauff, qui ont remporté l’US Open en 2021 et 2023 à 18 et 19 ans respectivement, ont égalé cette performance au cours des quatre dernières années. Depuis, elles n’ont plus renoué avec la victoire finale en Grand Chelem. Raducanu n’a plus atteint le moindre quart de finale d’un tournoi majeur depuis, alors que Gauff se maintient dans le Top 10 du classement WTA grâce à ses qualités athlétiques.
Le fait que les jeunes adolescentes aient plus de mal à percer aujourd’hui s’explique par l’évolution du tennis féminin: la force et l’endurance sont devenues plus prépondérantes que jamais. Des qualités qui se développent forcément avec les années.
De plus, les meilleures joueuses restent actives plus longtemps. Si Steffi Graf a rangé ses raquettes en 1999 à seulement 30 ans, Serena Williams a remporté son dernier Grand Chelem en 2017, à 36 printemps. Des joueuses plus âgées, comme Jessica Pegula (30 ans), Jasmine Paolini (29 ans) et Madison Keys (30 ans), commencent seulement à se révéler au plus haut niveau. Le circuit WTA est devenu un marathon plutôt qu’un sprint, ce qui rend les performances de Mirra Andreeva encore plus impressionnantes.
Elle n’hésite d’ailleurs pas à afficher de grandes ambitions: «Je veux devenir numéro une et gagner des tournois du Grand Chelem». Bien que le chemin vers le sommet soit encore semé d’embûches pour les adolescentes -même pour un super talent comme Andreeva-, de nombreux experts s’accordent sur un point: la question n’est plus de savoir si ça arrivera, mais quand.