SUPPORTER OU SYMPATHISANT ?

Bernard Jeunejean

Globalement, je ne suis quasi jamais arrivé à être supporter de tel ou tel club de la haute : ni d’Anderlecht, ni du Standard, ni d’un grand d’Europe. Ce n’est pas une volonté ou un parti pris, c’est un constat auquel je suis amené quand j’ausculte mon p’tit c£ur : mon palpitant n’est pas capable de fidélité indéfectible à un grand club qui serait  » son  » club jusqu’à la mort ; incapable de souffrir, se morfondre ou râler quand les résultats du club aimé s’avéreraient décevants.

Ponctuellement, il m’arrive cependant de souhaiter tel vainqueur plutôt que tel autre : parce qu’il joue mieux à mes yeux, parce qu’il a déjà six fois frappé le cadre, parce qu’il est Poucet face à Goliath plus friqué, parce que deux ou trois gars de l’autre camp sont d’épaisses brutes vicieuses… Ou parce que l’alternance du pouvoir me paraît foncièrement préférable au pouvoir absolu : c’est la raison pour laquelle je souhaite enfin le titre au Standard cette saison, y’en a marre que ce soient toujours les mêmes qui bouffent les cerises et les gâteaux ! Mais je le répète, je suis alors un sympathisant ponctuel, susceptible de changer de camp le lendemain, et imperméable à toute douleur supporteresse : deux secondes après la fin d’un match, si mon favori pour l’occasion a échoué, je pense déjà à autre chose…

Gamin toutefois, je fus supporter : à la récré jadis, Anderlecht ou Standard, fallait choisir ton camp si tu voulais shooter dans le ballon ! Peut-on d’ailleurs être tout gamin, sentir s’instiller le virus du football et ne pas être supporter ? Passage obligé. Maladie infantile comme une rougeole à faire, ma rougeole à moi fut mauve pour deux raisons. D’abord par hasard, puisque c’est à Bruxelles qu’un cousin me fit découvrir mon premier match de D1, et toute cette magie d’une première nocturne : la pelouse d’un vert jamais vu, les géants des quatre coins qui crachaient la lumière, l’odeur des hot-dogs, les émotions d’une foule, le bruit du ballon frappé, les points jaunes des briquets toutes les trois secondes, tout était friandise offerte aux sens…

Ensuite, je fus mauve par lâcheté, puisque j’ai bêtement regardé le classement à l’époque où j’ai dû choisir : Anderlecht gagnait davantage, être supporter d’Anderlecht serait plus glorieux, j’optai pour Anderlecht. Certains restent ensuite supporters pour la vie, cela m’a passé à moi dès l’adolescence. Complètement. Je n’en tire nulle gloire. C’est comme ça.

Est-ce mieux ? Parfois, mathématiquement, je me dis que oui ! Prenons un match dont le résultat m’indiffère et qui se termine sur 1-1 : avec deux buts aussi éblouissants l’un que l’autre, du style  » lucarne des 25m après slalom fantastique et appui en une/deux « . Moi, le neutre, je vais voir deux fois la beauté, jouir deux fois ! Alors que lui, l’inconditionnel supporter, sur le but encaissé, il va se lamenter au lieu de s’extasier, interpréter ce but en termes d’erreur impardonnable de marquage ou de positionnement, refuser la beauté, la diviser par deux ! C’est un peu maso, non ? Quelque part dans nos caboches, n’y a-t-il pas antagonisme entre supportarisme et amour du jeu ? Moi qui ai déjà du mal à être supporter de moi-même, je me dis parfois ça…

Mais aussi parfois pas… D’abord en me rappelant le philosophe Friedrich Nietzsche (que je n’ai jamais lu), mais je sais qu’il a dit qu’ il n’y avait pas de grande joie sans grande douleur : et je sens confusément que le fana ci-dessus jouit davantage via un seul beau but des siens que moi via deux voire trois… Ensuite hélas, il serait faux de partir du principe qu’un match quel qu’il soit offre toujours de la beauté. C’est même souvent l’inverse, tant nombre de matches sont mornes et emmerdent : et là, si tu ne prends pas parti, si tu n’installes pas un vrai rapport affectif à l’un des deux protagonistes, tu t’emmerdes encore bien davantage ! Enfin, comment nierais-je que j’aime la vie, le folklore, la couleur que mettent les (bons) supporters dans un stade : en réalisant parfaitement que si tous ces gens étaient PAR MALHEUR neutres autant que moi, bonjour l’ambiance et ciao les tifos !

bernard jeunejean

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