PAUL le poulpe

C’est le nouveau joueur-phénomène de l’Hexagone. Il paraît d’une telle facilité balle au pied qu’il en est déconcertant. Portrait de cette star en devenir.

En mal d’idoles depuis la Coupe du Monde 1998 et la retraite de Zinédine Zidane, la France a peut-être trouvé son nouvel héros. Elle qui n’avait jamais accroché avec la génération 1987, la faute à certains excès, à la grève du bus, aux insultes de Samir Nasri, et qui semblait en brouille avec ses footballeurs, voilà qu’elle s’accroche à cette équipe.

Depuis deux ans, les Bleus tentent de reconquérir le terrain. Mais ce n’est pas le très peu souriant Karim Benzema ni le gendre idéal Hugo Lloris qui vont rester dans les coeurs des petits supporters. Ceux-ci sont en train de se tourner massivement vers la nouvelle coqueluche des Bleus.

Il se nomme Paul Pogba, il sait tout faire avec un ballon, n’a même pas 22 ans, et joue pour la Juventus. Du moins pour le moment car son talent est tel que les plus grands clubs se l’arrachent à chaque mercato. La Juventus, qui rêve de retrouver son lustre d’antan, a jusqu’à présent résisté mais chaque supporter Bianconero sait le combat perdu d’avance.

Un jour ou l’autre, Pogba partira, convaincu que le club piémontais ne lui offre pas un cadre (et un salaire) à l’aune de son talent. Les Français en sont fous depuis maintenant deux ans. Les Anglais n’ont toujours pas compris comment Alex Ferguson avait laissé partir un tel joyau et rêvent de le rapatrier.

Les grands d’Espagne (le Real et Barcelone) en ont fait une cible prioritaire. Et l’Allemagne s’est concentrée sur lui, à l’approche du Juventus-Dortmund de Ligue des Champions. Quant aux Italiens, ils l’ont adoubé hier et sacralisé aujourd’hui. Ils s’accrochent à cette pépite, le considérant comme l’ultime star du Calcio.

 » C’est un athlète de NBA avec des pieds brésiliens « , l’a décrit La Gazzetta dello Sport. La planète foot s’accorde donc à dire qu’il s’agit d’une des dix plus grandes stars de ce sport. Mais qui est donc Paul Pogba, le symbole de cette nouvelle vague française, composée d’Antoine Griezmann et de Raphaël Varane ?

Bouillon de cultures

Pogba, c’est d’abord la France d’aujourd’hui. Ce multiculturalisme, ces banlieues, ces centres de formation qui déracinent. Pogba, c’est un mélange de Guinée, de Paris, de Roissy et du Havre. De ses parents guinéens, il a évidemment hérité cette couleur de peau, mais également cet attachement à la culture africaine.

Mais il ne peut être résumé à ses racines. Contrairement à ses frères aînés, des jumeaux, eux aussi joueurs de foot (à Crawley Town et à Saint-Etienne) qui sont nés en Guinée et ont répondu à l’appel de la sélection guinéenne, Paul Pogba n’a jamais hésité et a choisi comme maillot celui de la France, la terre où il a vu le jour.

Pour lui, la France débute à Roissy, en banlieue de Paris. Pas celui de l’aéroport. L’autre, Roissy-en-Brie. C’est là que la famille s’établit lorsqu’elle arrive de Guinée. Là qu’il recueille le nom de  » Paul le poulpe « , à cause de ses grandes jambes tentaculaires. Là qu’il débute le foot à six ans à l’US Roissy. Selon son père, c’est davantage avec ses frères plus âgés qu’il apprend le foot que dans le club. C’est en se frottant à plus grand que lui qu’il évolue plus vite.

En club, plus grand que la plupart de ses coéquipiers, il devient vite le meilleur de l’équipe. Malgré un refus à Clairefontaine, il part pour le club voisin de Torcy où il ne reste qu’un an avant d’émigrer vers Le Havre, à 14 ans. Et déjà un caractère capable d’aller à contre-courant puisqu’en 2007, il déclenche une mini-tempête en quittant le HAC, attiré par les 15.000 euros mensuels que lui offre Manchester United.

Les Anglais refusent de verser des indemnités mais Le Havre arrive finalement à trouver un accord à l’amiable. Lorsqu’il quitte Le Havre pour Manchester United, il se dit qu’il a trouvé son port d’attache pour plusieurs saisons. Quand tu es un jeune à United, soit tu forces les portes de l’équipe première grâce à ton talent, soit tu disparais dans les limbes des divisions inférieures.

Mais tu ne te retrouves pas transféré gratuitement à la Juventus alors que tu es le plus grand talent de l’Académie ! C’est pourtant ce qui lui est arrivé. La faute à sir Alex Ferguson qui n’a pas su lui faire comprendre qu’il comptait sur lui. Mais la faute aussi à l’impatience du gamin.

L’impatient Français

Sûr de son talent, il se sentait prêt pour l’équipe première. Ce n’était pas l’avis de Ferguson.  » Le coach comptait sur moi mais il ne me faisait pas jouer, disant que j’étais trop jeune. Il me disait : ‘ton heure viendra‘. Mais elle n’est pas venue. Je suis impatient.  » Son éclosion trois mois après son arrivée à la Juventus de Turin donne pourtant raison au poulpe.

Juste une question de timing. Car Ferguson n’aurait pas pu passer à côté du talent de ce jeune Français tant il était éclatant.  » Lorsque je le voyais à l’époque, je me disais : ‘Wow‘ « , explique son ancien coéquipier à l’Académie, Ryan Tunnicliffe, aujourd’hui à Blackburn. Son but face à Derby County en U18 fait encore un carton sur Youtube (158.000 vues). A l’époque, il est déjà capitaine et mène les jeunes Red Devils à la victoire de la FA Youth Cup, battant Chelsea au passage (6-3).

 » La première fois qu’il est venu s’entraîner avec nous, il a dominé le 11 contre 11. Il faisait ce qu’il voulait avec le ballon, pied gauche, pied droit. Tout le monde était impressionné « , expliqua à Four Four Two,Michael Keane, aujourd’hui à Burnley, autre membre de cette génération.

Un an et demi plus tard, il force les portes de l’équipe première de la Juventus en route vers le scudetto italien. Et depuis lors, rien ne l’arrête. Claudio Marchisio a fait les frais de l’ouragan Pogba, celui-ci trouvant sa place aux côtés du vétéran Andrea Pirlo et du dynamiteur Arturo Vidal.

La Juve règne sur l’Italie et Pogba a gagné deux titres (il est en route vers son troisième), deux Supercoupes, un trophée de meilleur jeune lors de la dernière Coupe du Monde et est apparu cette année dans la liste des 23 nominés pour le Ballon d’Or. Une ascension qu’il avait prévue mais qui l’étonne quand même.

 » Je suis surpris, oui, c’est venu très vite. Je n’avais pas imaginé cela « , explique-t-il à L’Equipe après ses premiers mois comme titulaire dans l’équipe turinoise.

Une ambition débordante

Il incarne également pleinement sa génération, celle des joueurs, à l’instar de nos Diables Rouges, qui n’ont peur de rien et manifestent leur ambition.  » Mon but, c’est d’être le meilleur à mon poste, puis le meilleur en Europe, et le meilleur dans le monde « , n’hésite-t-il pas à déclarer. Son ambition ne va pourtant pas de pair avec un ego surdimensionné.

En équipe de France comme à la Juventus, on le dit à l’écoute des autres, et même dans les équipes d’âge où son talent surclassait celui de ses équipiers, il ne la ramenait pas, s’imposant comme leader technique et de groupe uniquement par son talent. Ainsi, alors qu’il avait déjà fait son trou à la Juventus, il se montre très respectueux de Nicolas Anelka lorsque ce dernier arrive en prêt.

 » Je suis un ancien par rapport à lui et j’ai vu son respect. C’était touchant « , explique d’ailleurs l’ancien attaquant de l’équipe de France. Pour réussir, il se donne les moyens de ses ambitions et ne se repose pas sur son talent. Pogba est un travailleur et sait s’entourer.

Il a un avocat, un homme qui gère sa communication, un concierge de luxe, une diététicienne, un préparateur physique personnel et un masseur attitré. Avant la Coupe du Monde, il a suivi un programme physique pendant un mois et ajoute aux entraînements de la Juve un surplus d’une heure à une heure trente.

Car Pogba est maintenant plus qu’un talent. C’est une valeur marchande et une mécanique qu’il faut surveiller. La saison passée, il a enchaîné plus de 60 matches, n’a pas connu de longues vacances puisqu’il était à la Coupe du Monde du Brésil, un an après avoir été déjà privé de récupération, lui qui avait été sacré à la Coupe du Monde -20 ans en 2013.

Aujourd’hui, même s’il n’a jamais joué en Ligue 1, la France a appris à le connaître et à l’adorer.  » Il est arrivé à un moment de vide et il l’a comblé « , explique l’ancien président du PSG, Michel Denisot.  » Escorté par une inébranlable confiance en lui et en son destin, il a rasséréné des Bleus, tuméfiés par les accidents de vie… et de bus « , écrivait à son propos France Football dans un numéro spécial qui lui était consacré la semaine passée.

Symbole de renouveau

 » Pour les médias, il incarne le renouveau des Bleus « , conclut Pierre Mankowski, sélectionneur des -20 ans. Et ce, même si ses prestations en équipe de France ne sont pas encore au niveau de celles à la Juventus.  » C’est évidemment un joueur extraordinaire mais il ne fait pas encore tout bien « , estime Vincent Duluc, journaliste à L’Equipe.  » Comme Varane, il est tellement doué qu’il est encore un peu naïf.

Même si le meilleur match de la France à la Coupe du Monde, face à la Suisse, s’est réalisé sans Pogba, on sait qu’il est indispensable à cette équipe. Mais on s’en rend compte surtout lorsqu’il a un coup de mou. Car à chaque fois qu’il n’est pas bon, l’équipe de France est chahutée.  »

Reste alors à le définir. Trop bas pour être comparé aux numéros dix de légende comme Zidane ou Michel Platini, trop offensif pour être considéré comme un milieu défensif.  » C’est cela qui est puissant avec Pogba, il invente un nouveau type de joueur « , explique l’ancien nerazzurroBenoît Cauet.

Une sorte d’hybride, technique mais bas sur le terrain (un peu comme Pirlo), capable de défendre et d’attaquer sur la même action, comme les box-to-box Frank Lampard ou Paul Scholes, et avec le sens inné du leadership, comme Didier Deschamps.

 » Dans les pieds, il a du plus beau foot que Patrick Vieira « , analyse Duluc.  » Par contre, il n’est pas capable de récupérer la moitié des ballons de Vieira. Il n’a pas d’impact physique sur l’entrejeu. C’est un relayeur libre, davantage qu’un pur médian défensif. De plus, il a besoin d’espace, d’être face au jeu.

Certes, il ne marque pas beaucoup mais ce qu’il fait avec le ballon, seul Zidane savait le faire en France. Je ne vois pas d’autres joueurs capables de rivaliser en termes de talent footballistique.  »

En haut de l’affiche

 » Il a tout pour rester tout en haut « , ajoute Anelka dans France Football. » Le talent, le charisme, le comportement. Il va durer vingt ans au très haut niveau. C’est un joueur extraordinaire, mais au-delà du terrain, c’est sa maturité qui m’a frappée. D’ici à l’Euro 2016, il sera dans le top-5 mondial. Et ensuite dans les trois plus grands. Déjà actuellement, avec l’équipe de France, sa présence inspire la crainte dans l’équipe adverse et modifie son comportement.

Un jour, il aura le brassard. C’est sa vie, sa destinée. A son poste, il est moins dans la lumière, on ne va pas lui demander de marquer des buts à chaque match mais il sera l’homme fort de l’équipe, celui qui gère et prend les décisions.  »

Quant à celui qui l’a lancé dans le bain du professionnalisme, Antonio Conte, aujourd’hui à la tête de la Nazionale, il ne tarit pas d’éloges sur son ancien poulain :  » C’est un médian moderne : fort, rapide et endurant.  »

Et en guise de conclusion, son entraîneur Massimiliano Allegri affirme :  » Il est déjà exceptionnel mais je suis persuadé qu’il a encore une marge de progression de 30 à 40 %.  » De quoi en faire un jour un des meilleurs joueurs du monde, si ce n’est LE meilleur. Roissy-en-Brie pourra alors faire construire un aéroport à sa gloire, le Roissy-Paul-Pogba.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Ce qu’il fait avec le ballon, seul Zidane savait le faire avant lui en France.  » Vincent Duluc

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