Bernard Jeunejean

Mort pour toujours, le marquage à la culotte?

Petit traité de lexicologie footballistique pas si anodin que cela. Parce que si certains termes sont pompeusement utilisés aujourd’hui mais signifient la même chose que ce qu’on disait plus simplement il y a vingt ans, d’autres traduisent une véritable évolution du foot.

Par Bernard JEUNEJEAN

Il faut jouer dans les intervalles, on ne trouve pas les intervalles, tel est le mot branché rimant avec Mondial: aucun commentaire n’évite plus un terme qui n’existait pas voici quelques années! Alors? L’intervalle a-t-il bouleversé le champ d’investigation footballistique? Est-il une trouvaille tactique de génie, mais que les théoriciens du millénaire précédent avaient été trop cons pour inventer?

Rassurez-vous, les vieux, y’a rien de neuf sous le soleil et sur les pelouses, sinon qu’on a la trouille d’être idiot en causant simple, comme quand un directeur du personnel devient celui des ressources humaines: jouer dans les intervalles signifie tout bêtement ce que nous nommions se démarquer!

Jadis, l’attaquant se démarquait parce qu’il avait sur le paletot un défenseur qui jouait en marquage: il tentait ainsi de trouver cet espace minimal pour peloter plus aisément les ballons qui lui parvenaient. Aujourd’hui, le joueur d’attaque doit encore se décoller, sauf que (au top niveau) ce n’est plus le même adversaire qui le colle/culotte durant 90 minutes. C’est la conséquence du jeu en zone, autre appellation en vogue dont je n’ai jamais saisi les subtilités novatrices, sinon ce qui suit. Quand l’attaquant sans ballon, serré par le défenseur axial droit, opte pour un p’tit voyage vers le défenseur axial gauche ou pour un décrochage vers le médian défensif adverse, le défenseur axial droit le laisse voyager. Y’a donc forcément, au milieu du trajet, un endroit où l’attaquant est bêtement démarqué: c’est ce qu’ils préfèrent appeler l’intervalle, conséquence du statisme défensif dicté par le jeu en zone.

Au top, un mec qui joue en marquage, ça n’existe plus. Fini le temps du match dans le match entre tel attaquant-vedette et tel défenseur, à l’issue duquel soit on s’extasiait si le second avait bouffé le premier, soit on déplorait que le premier ait roulé le second dans la farine, fût-ce une seule fois mais fatidique!

Ne me croyez pas nostalgique, j’essaie de comprendre ce que le jeu y a gagné! Sûrement pas du spectacle ou des buts, peut-être même affirmerai-je un jour que la défense de zone amène des buts en moins: en attendant, dimanche soir au Mondial, la moyenne était toujours inférieure à 2 buts, du jamais vu! On m’objectera qu’au moins, les pauvres défenseurs jadis astreints au marquage individuel strict sont aujourd’hui moins brimés et plus malins, plus épanouis, parce qu’autorisés à participer davantage au jeu et à sa construction. Bof!

Bof!, parce qu’en construisant, vouloir que tous soient ingénieurs est illusoire: surtout qu’il faut aussi détruire ce qu’un adversaire veut construire sur le même terrain! Un chien de garde ne joue pas avec ses potes chiens de garde: un chien de garde GARDE!

Bof!, ensuite parce que, dans ces défenses à quatre d’aujourd’hui, les deux gars de l’axe ne réamorcent que sommairement la reconstruction, sans guère profiter de cette liberté de zone pour s’illustrer offensivement: quand un bon libero de jadis sortait de position (remember qui vous savez et ses émules), ça boostait davantage le redéploiement offensif!

Bof!, enfin parce qu’au lieu d’un libero hier qui ne bougeait pas des masses (et un mec qui en garde sous la pédale est TOUJOURS un mec sous-utilisé!), ça en fait le double aujourd’hui: sur 90 minutes, les deux défenseurs centraux sont quasi toujours les deux gars courant le moins. Consultez le site de la FIFA (onglets matchcast>stats>distance), je vous cite les extrêmes au Danemark face au Cameroun: Christian Poulsen a parcouru 11.346m… pour 8.946 à Daniel Agger et 8.643 à Simon Kjaer!

Sans blague, ni passéisme: impossible de croire que désormais, un marquage individuel strict durant 90 minutes ne soit plus jamais la meilleure solution! Un jour reviendra où, lors d’un match-phare, tel coach décrochera une grande victoire inattendue, en ayant collé un garde-chiourme impitoyable sur la superstar de l’équipe adverse, spectaculairement réduite au silence. Et l’on s’ébahira d’une innovation de génie. Le foot est un éternel recommencement… par intervalles!

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