Emile Masson s’est éteint à 95 ans.
On ne le verra plus bourrer sa pipe à la fenêtre d’une des brasseries de la Place Cathédrale dans le centre de la Cité ardente. Dans sa blague à tabac, Emile Masson n’avait que du Semois car cette légende était un homme de terroirs, de traditions, de fidélités, de paroles qu’on ne renie pas. C’était une forte tête, un vrai Tchantchès, capable de dire non aux plus grands quand la justice était en jeu. Et quand Masson tonnait, cela s’entendait. C’était un plaisir de le rencontrer chez lui au 137 de la rue Fond Pirette. Bonne fourchette, il aimait recevoir mais c’est surtout en parlant de cyclisme que ce conteur régalait ses convives. Et quand il évoquait son père, ancien coureur de talent, prénommé Emile comme lui, son regard s’embuait.
Emile Masson Jr a remporté la Flèche Wallonne en 1938 et Paris-Roubaix un an plus tard. » La veille de l’Enfer du Nord, détruit par une grippe intestinale, je n’avais avalé qu’un litre de lait « , racontait-il. » Les premières heures de course furent très dures avant que le moteur se mette en marche. «
Quelques mois plus tard, c’est la guerre. Les Russes le sortent d’un camp de concentration où il a croupi durant quatre ans. D’autres coureurs ont échappé à ce chemin de croix et entretenu leur coup de pédale durant la Deuxième Guerre. Masson reprend à zéro et devient champion de Belgique sur route en 1946 et 1947. Il empoche aussi Bordeaux-Paris en 1946, 23 ans après le succès de son papa dans le Marathon de la Route. Journaliste sportif à partir de 1951 (d’abord à Les Sports puis à La Wallonie), Masson écrit comme un expert. Membre depuis la nuit des temps du Pesant (le club cycliste qui organise la Doyenne), il se bat pour que la plus belle des classiques garde son rang.
En 1972, Liège-Bastogne-Liège est à l’article de la mort quand il rencontre Charles Vander Mijnsbrugge (rédacteur en chef du Sportif 80, un des ancêtres de Sport/Foot Magazine) : leur entente sauvera la vieille course qui se termine alors dans le centre de Liège. Masson la dirige avec maestria. Les plus vieux se souviennent qu’en 1965 il chassa les voitures qui aspiraient un coureur qui avait raté la bonne échappée : Jacques Anquetil. Sans cela, Carmine Preziosi n’aurait probablement jamais gagné cette classique. Le directeur sportif du champion normand était furax. Masson expliqua son point de vue au coureur : » Grand ou petit, je ne peux avantager personne. » Anquetil comprit et précisa : » Je suis d’accord avec vous, Si j’ai perdu, c’est à cause d’une petite fringale. Le pain d’épices qui se trouvait dans ma musette était mouillé et immangeable. » Plus tard, Masson se fâcha quand la Doyenne planta sa ligne d’arrivée Quai Mativa puis à Ans. Cela lui était insupportable. Il tira sa révérence mais ne renonça pas à fumer sa pipe.
PIERRE BILIC