Ils sont les premiers Bruxellois d’origine marocaine en Première chez les Coalisés.
Jusqu’à cette saison, la présence marocaine au stade EdmondMachtens s’était limitée aux seuls Hocine Ouchla, en 2001-02, ainsi qu’à Sofiane Zaaboub au cours du défunt exercice. Mais il en allait là de transfuges, puisque le premier rallia le club en provenance des FAR Rabat, tandis que le deuxième y aboutit après avoir porté les couleurs d’un autre club belge, La Louvière.
Pour Sofiane Benzouien (20 ans) et Mehdi Hadraoui (18), la situation est différente. D’origine maghrébine eux aussi, ils ont tous deux effectué leurs classes dans la capitale avant d’y forcer les portes de l’équipe fanion. Un exemple qui devrait faire des émules car les classes d’âge des Rouge/Blanc/Noir grouillent de jeunes talents aux ascendances nord-africaines, comme eux (v. cadre).
Mais pourquoi cette percée aujour-d’hui, alors qu’à l’époque pas bien lointaine de feu le RWDM, les jeunes allochtones répondaient déjà nombreux à l’appel à la rue Malis, sans qu’aucun d’entre eux ne soit toutefois jamais parvenu à faire la jonction avec les A ? Patrick Thairet, ex-joueur du club, devenu par la suite coordinateur du blé en herbe chez les Molenbeekois, met en exergue deux facteurs.
» Le premier, c’est le nombre sans cesse croissant de joueurs d’origine étrangère à cet échelon « , souligne-t-il. » De mon temps, 40 % des 600 affiliés de l’école des jeunes étaient constitués de non- Belges. A présent, cette proportion s’élève à 60 % et même plus. Le phénomène n’est pas seulement perceptible sur le territoire de notre commune. A Anderlecht aussi, les proportions ont évolué dans le même sens. Et plus la base est large, plus il y a de chances de voir l’un ou l’autre sortir du lot et émerger.
Le deuxième élément, c’est le suivi. A mes débuts dans cette fonction, les seuls parents qui encadraient les enfants étaient pour ainsi dire tous de chez nous. Les Maghrébins, qui constituaient à l’époque la première vague d’immigrés, vaquaient le plus souvent à leurs occupations, laissant à leurs enfants le soin de se débrouiller seuls. A la longue, ils se sont fait de plus en plus nombreux autour des terrains. Au point même, parfois, de devenir majoritaires et de s’impliquer tant et plus « .
Trilingues
Benzouien a composé avec cette réalité. Né à Berchem-Sainte-Agathe d’un papa venu de Tanger et d’une maman marocaine elle aussi, mais ayant grandi aux Pays-Bas, il a toujours été suivi de près par ses parents. Aussi bien sur le plan des études, qu’il a accomplies en section latin-mathématiques au Collège du Sacré-C£ur de Ganshoren, que sur le plan du sport, et du football en particulier.
» Un esprit sain dans un corps sain, tel était le leitmotiv de mes parents « , ob-serve-t-il. » Ils ne voyaient pas la moindre objection à ce que je fasse une activité sportive mais la scolarité devait immanquablement passer avant toute autre considération. En raison du vécu de ma mère, en Hollande, j’ai également été confronté dès mon plus jeune âge, à la maison, à trois langues : le français, le néerlandais et l’arabe. Des trois, c’est l’arabe que je maîtrise le moins bien. Pour les deux autres, c’est kif-kif. J’ai, certes, fait l’école en français mais en raison de mon passage à Beringen-Heusden-Zolder en 2003, je me suis perfectionné en néerlandais « .
» Chez moi, c’était le même topo « , embraie Hadraoui. » A cette nuance près que mon père est Belge et que ma mère est une Marocaine née en Algérie. Contrairement à Sofiane, qui a débuté en diablotins au RSCA, je ne me suis affilié au RWDM qu’à 12 ans. Jusqu’à ce moment là, mon univers se limitait à l’école et aux matches au Peterbos, le quartier d’Anderlecht où je résidais. Moi aussi, j’ai été confronté à une éducation trilingue : français avec mon paternel, arabe avec ma mère et néerlandais à l’école. A 14 ans, j’ai troqué l’enseignement néerlandophone contre le francophone en entrant au CERIA. A présent, je suis toujours aux études à Bisschofsheim, en section décoration. Mais je ne sais trop si je les mènerai à bien car le football accapare pour le moment l’essentiel de mon temps « .
» Dès l’instant où j’avais accompli mes humanités, mes parents m’ont laissé le choix soit de poursuivre sur cette voie ou de tenter ma chance dans le monde du ballon rond « , renchérit Benzouien. » Mes compagnons de promotion, au Sporting, avaient pour noms Vincent Kompany et Anthony Vanden Borre, notamment. Tous étaient en train de faire leur chemin et j’ai voulu les imiter. Mais le contrat qu’on me proposait au Parc Astrid n’était nullement comparable à ce qu’on leur offrait et j’ai pris la direction du club limbourgeois où je faisais figure de priorité pour Luc Nilis, qui était alors manager du club « .
» Par rapport à Sofiane, j’ai plus bourlingué « , précise Hadraoui. » Du RWDM, je suis passé à Strombeek, à l’Union Saint-Gilloise puis au FC Brussels. Je n’en ai jamais fait une question d’argent mais plutôt d’affinités. J’ai tout simplement suivi un coach, Zoubir, avec lequel je m’entendais bien, et qui a fait le tour de tous ces clubs. Faire carrière, je n’y songeais pas vraiment. Ma mère a toujours soutenu qu’en raison de mes origines, il ne fallait pas que je rêve. Et c’est vrai qu’il y avait de quoi se poser des questions en la matière, car rares étaient les exemples de joueurs marocains qui avaient fait du football leur métier à part entière « .
Les Maghrébins après les Blacks
Benzouien : » J’ai été confronté également à cette considération, en tout début d’adolescence surtout. Mais à mesure que les années passaient, j’ai senti une évolution. Vince a indéniablement ouvert la porte aux joueurs africains au Sporting. Il a toujours considéré qu’après les Blacks, les footballeurs d’origine maghrébine frapperaient à leur tour aux portes de l’équipe Première au stade Constant Vanden Stock. Hormis Nordin Jbari et Momo Lashaf qui avaient fait partie du noyau à un moment donné, jamais un autre Marocain n’avait eu cette chance. A présent, c’est mon cas, mais au Brussels. A l’image de Vince, j’espère pouvoir jouer le même rôle de locomotive. Car il y a pas mal de jeunes Marocains doués dans les formations d’âge « .
» L’équipe fanion, je n’y croyais pas en début de saison « , souligne Hardraoui. » La Réserve, c’était déjà pas mal, compte tenu de mon âge. Les blessures et au-tres suspensions ont accéléré le cours des événements. Je dois beaucoup à tous ceux qui ont contribué à mon éducation footballistique : Zoubir d’abord, puis tour à tour Olivier Lamberg, Jean-Marie Neuzy, Patrick Wachel et, bien sûr, Albert Cartier. Si je puis m’éveiller à de nouvelles ambitions aujourd’hui, c’est grâce à eux « .
» J’ai également franchi un nouveau palier en raison de mes piges en Première « , avance Benzouien. » En l’espace de quelques mois, tout s’est subitement accéléré. D’abord, mes prestations à Beringen-Heusden-Zolder n’ont pas échappé aux suiveurs de l’équipe nationale marocaine qui m’ont incorporé dans la formation des moins de 20 ans. Avec elle, j’ai eu l’occasion de disputer la Coupe du Monde de la catégorie aux Pays-Bas en juin 2005. Ce fut un tout beau souvenir car nous avions terminés à la quatrième place après avoir été battus par le Nigeria dans la petite finale. C’est d’ailleurs avec la plupart de ces joueurs que nous venons de réaliser un 4-4, à Molenbeek, face aux Espoirs belges. Pour la petite histoire, je tiens à préciser qu’à l’instar de Marouane Fellaini ou de Mohamed Messoudi, j’aurais pu faire partie aussi de la sélection coachée par Jean-François de Sart. Mais à Anderlecht, manifestement, certains ne l’ont pas entendu de cette oreille. J’ai appris de bonne source que plusieurs convocations pour moi, chez les Diablotins avaient fait d’emblée l’objet d’un classement vertical. Navrant, mais c’est vrai. De toute façon, c’est de l’histoire ancienne. Désormais, le problème ne se pose plus et je me livre sans la moindre arrière-pensée pour le Maroc « .
» La question ne s’est pas encore posée pour moi, car je n’ai encore été sollicité ni d’un côté ni de l’autre « , poursuit Hadraoui. » Personnellement, je me tâte. Si j’étais confronté à une demande, je ne saurais trop quelle suite lui donner. D’un côté, il va de soi que je ne songe nullement à renier mes origines. D’autre part, je ne tiens pas à oublier non plus que je dois l’essentiel de ma formation à la Belgique. C’est un fameux cas de conscience. Je comprends les raisons qui ont poussé Sofiane à opter pour le Maroc. Mais j’avoue être tout aussi réceptif aux motifs qui ont poussé Fellaini ou Messoudi à choisir pour la Belgique. Je dirais bien que j’espère que ce dilemme se posera le plus tard possible mais ce n’est pas vrai, car tout joueur qui se respecte ne peut évidemment pas rester insensible devant pareille convocation « .
BRUNO GOVERS