Marcel, pressing et pression…

Bernard Jeunejean

« J’ai honte… « , annonça simplement Marcel en rentrant de l’entraînement, sans même voir que Berta sa chienne remuait la queue comme chaque fois, pour savoir comment ça s’était passé.

Fallait déjà beaucoup pour que Marcel ait honte, et encore plus pour qu’il ait honte à jeun. Or, à jeun, il l’était : le coup d’£il rapide et expert qu’avait de suite jeté Georgette sur les pupilles maritales, ni dilatées, ni vaseuses, le lui avait certifié.

– » J’ai doublement honte… « , reprit son époux.

Une chose était certaine : pour que ce gros macho de Marcel ait honte de lui-même, pour qu’on ait réussi à marquer un but à son amour-propre, il fallait forcément qu’il soit question de football.

– » Je dirais même presque que j’ai jumellement honte…  »

– » Chaque chose en son temps ! « , rationalisa Georgette, qui n’avait rien compris à cette dernière précision mais lui apportait ses pantoufles.  » Assieds-toi, coach, mets-toi à l’aise, et commence par me raconter la première de tes deux bêtises, selon toi monumentales… »

Dans ces cas-là, pour le vieux couple, à la table de cuisine, c’était vraiment comme à confesse : accoudé sur deux coudes, Marcel accouchait de ses conneries comme un petit garçon penaud ; accoudée sur un seul, Georgette écoutait comme un vieux curé magnanime. C’était comme un deal, dont tous deux éprouvaient le besoin…

– » Cela s’est passé voici huit jours, après une défaite. Je t’avoue d’emblée (ne me le demande donc pas !) que j’avais tété en douce à ma fiole de poche durant tout le match… vu qu’il faisait très froid ! Albert, mon vieux capitaine en qui j’ai toute confiance, était silencieux, torse nu, et se grattait partout, en regardant comme un zombi son maillot en boule qu’il tenait de l’autre main. Tout à coup, il l’a jeté à l’autre bout du vestiaire en hurlant : – Marcel, ça nous porte malheur, faut plus aller au pressing !  »

– » Marcel, ce n’est pas à un tacticien de ton acabit que je vais expliquer ce qu’est un pressing bien pensé « , s’étonna Georgette.

– » Je t’ai dit que j’étais saoul ! « , geignit Marcel.  » C’est sans doute parce qu’Albert se grattait partout, mais j’ai pensé que le maillot l’avait irrité pendant le match et qu’il voulait qu’on aille faire lessiver nos maillots ailleurs ! Dix minutes plus tard dans le vestiaire, je prenais la parole haut et fort pour demander qui reprenait les maillots pour les laver, puisque Albert ne voulait plus qu’on aille au pressing. Si tu avais vu alors comme ils m’ont tous regardé, c’était horrible…  »

Georgette faillit pouffer, et ajouter que c’était au moins une équipe où le linge sale se lavait en famille… Mais Dieu interdisant formellement à ses prêtres de se marrer durant la confession, elle se borna à dire qu’elle trouvait la gaffe vénielle. Curieuse, elle voulait surtout savoir vite pourquoi il avait parlé de honte jumelle. Marcel expliqua.

– » De pressing à pression, y’a qu’un pas et je l’ai franchi ! « , gémit-il.  » Ce dimanche, nous avons encore été battus, il avait encore fait froid et je… je m’étais encore réchauffé pendant le match ! Je venais d’apporter un casier dans le vestiaire. J’étais à côté d’Albert qui, ruminant la défaite, sirotait sa bière sans joie et qui m’a dit : -T’es gentil, coach, mais c’est pas bon ! Faut mettre la pression ! Et tous les autres ont acquiescé tristement !

– » Marcel, ce n’est pas à un tacticien de ton ac…  »

– » J’ai voulu faire plaisir ! « , coupa Marcel désespéré.  » J’ai cru comprendre qu’ils en avaient tous marre des Jupiler en bouteille ! Il y avait une pompe à bière de réserve à la buvette : alors, hier lundi, vite fait bien fait, je l’ai installée dans notre vestiaire et je l’ai recouverte. Puis aujourd’hui avant l’entraînement, quand ils ont tous été là, j’ai enlevé la couverture et, heureux, j’ai crié : Noiseux-sur-Berwette, le seul club d’Europe où la bière est à la pression dans le vestiaire même ! Si tu avais vu alors comme ils m’ont tous regardé, c’était atroce…  »

– » D’un point de vue purement pragmatique, étant donné ce que vous sifflez après chaque match avant même d’arriver dans la buvette, c’est un réel investissement « , tenta d’argumenter Georgette.

– » Tu crois que ça peut amener des joueurs à avoir envie de défendre les couleurs de Noiseux la saison prochaine ? « , interrogea Marcel dont les pupilles s’étaient soudain remises à briller.

– » Va en paix, mon Marcel ! « , pensa Georgette en l’absolvant.

Bernard Jeunejean

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