LORRAINE BELGE

Deux montées consécutives de National en Ligue 1 et, à présent, la course au maintien parmi l’élite française : c’est peu dire que les trois dernières années d’Albert Cartier et de Dominique D’Onofrio n’ont pas manqué de piment. Flash-back et analyse d’une successstory peu banale.

Trois ans après avoir côtoyé l’enfer de National de trop près, Metz est de retour en Ligue 1. Plus proche du soleil, mais pas encore hors de tout danger, le club tente gentiment de réapprendre à sourire. Une gymnastique faciale qui symboliserait presque à elle seule la rémission entamée par un duo aussi complémentaire qu’improbable, il y a un peu plus de deux ans. DominiqueD’Onofrio et AlbertCartier. Le premier est Directeur sportif, le second, entraîneur principal. Les deux ont largement contribué à repositionner le FC Metz sur la carte du football français. Cela n’amènera sans doute pas beaucoup plus de monde à s’arrêter le long de l’autoroute du Soleil pour s’enfiler un bretzel géant ou un pâté lorrain, mais ça aura au moins permis aux deux hommes de se reconstruire. Au coeur du chef-lieu de la Moselle. Pas franchement très glamour.

Metz, c’est cet ancien bastion de la droite passé à gauche depuis 2008. DominiqueGros n’y peut rien, mais la date correspond parfaitement au début des années noires du club. Depuis, cette cité moderne, anciennement ville de foot, a appris à se passer du ballon rond pour égayer son quotidien. Dernière preuve en date, la cohue provoquée par l’ouverture d’une enseigne du géant Nespresso dans le centre-ville. Des centaines de personnes agglutinées en mode  » moltostretto  » devant un commerce encore fermé un mercredi soir glacial de décembre à quelques minutes du coup d’envoi du match entre Metz et Bordeaux, c’est aussi ça une ville en reconstruction sportive.

Snobé en Belgique

Il y a tout juste trois ans, on ne trouvait donc pas encore de capsule Nespresso à Metz. C’est pourtant à ce moment-là que Dominique D’Onofrio décide de s’engager dans ce qui ressemble alors à un énorme bourbier. Albert Cartier est, lui, né à Vesoul, un peu plus au Sud, mais a toujours gardé un oeil sur le FC Metz. Celui qu’il considère comme son club, même quand il chôme à plus de 300 kilomètres de là, en Belgique.

 » Quand Dominique est arrivé, le club était mort  » dit-il.  » Je venais parfois de Belgique voir des matchs et je voyais des gens lire le journal dans les tribunes. C’était la sinistrose. Alors que Metz, à la base, c’est une ville de foot.  »

À l’époque, Dominique D’Onofrio, fatigué de se voir snober en Belgique, accepte pourtant de se lancer dans ce projet qui sent la peur :  » Après 13 ans au Standard, je n’avais toujours aucune crédibilité  » observe-t-il.  » Quand je quitte Sclessin, il y a Gand, Genk, Bruges et Anderlecht qui cherchent un entraîneur mais à part une petite touche au Sporting Charleroi, je n’ai rien vu venir. Le fait est que je suis plus apprécié maintenant et ici que je ne l’ai jamais été et ne le serai jamais en Belgique.  »

On sent la cicatrice encore béante. On comprendra vite que trois ans à fréquenter les luxueuses chambres d’un hôtel situé mi-chemin entre le centre-ville piétonnier et le Stade Saint-Symphorien n’ont pas suffi pour oublier. Dans une galerie de souvenirs douloureux, les pires se rapportent souvent à la famille, c’est aussi le cas chez Dominique D’Onofrio.

 » On m’a tout fait en Belgique. À 7-0 contre le Lierse, je fais monter mon fils 2 minutes et tout le stade le hue. Est-ce que c’est normal ? Il n’y peut rien, c’est un gamin. À la fin, j’avais constitué une carapace autour de moi. J’étais le frère de l’autre, je le serai toujours en Belgique.  »

Homme de réseaux

La fuite vers la France s’imposera donc d’elle-même. Contacté en novembre 2011 par le président messin BernardSerin, D’Onofrio signe en décembre et commence en janvier 2012.  » On a eu 7 ou 8 réunions à Liège, parce qu’il faut savoir que mon président, c’est le patron de CMI, (Cockerill Maintenance & Ingénierie, ndlr) que son entreprise est à Seraing et qu’il a une loge au Standard de Liège.  »

Confirmation que si D’Onofrio est aujourd’hui à Metz, ce n’est pas un hasard. Dominique D’Onofrio est avant tout un homme de réseau. Quatre mois après son arrivée, le nouveau Directeur sportif du club se retrouve d’ailleurs à sillonner la planète foot pour se reconstruire une équipe.

 » Sans finance !  » souligne-t-il.  » On est reparti de moins de zéro en National. On a perdu 23 joueurs professionnels, on en a recruté 10 et on a mis des jeunes autour. La condition de survie du club, c’était la remontée immédiate pour garder le statut professionnel. C’était un fameux challenge, et c’est là qu’Albert est arrivé.  » Albert Cartier, le BrianDePalma du football moderne.

Après avoir dépouillé la petite quinzaine de candidatures reçues, le consensus autour de Cartier s’opère. À la plus grande satisfaction de l’enfant de la maison :  » J’avais quelque chose en tête depuis un petit temps  » affirme ce dernier.  » Je voulais revenir un jour au FC Metz. C’est au mois de mars que j’ai appris par la presse que DominiqueBijotat partirait en fin de saison. À ce moment-là, j’ai fait une offre de candidature comme d’autres. On a eu deux réunions avec Dominique, et on s’est mis d’accord.  »

Le premier jour de la reprise des entraînements, le nouveau T1 se retrouve avec 11 joueurs dans le vestiaire. Parmi ceux-ci, 5 jeunes promus en équipe-fanion pour faire le nombre et un staff alors constitué des seuls Cartier et JoséJeunechamps, un autre ancien du Standard de D’Onofrio. Beaucoup se seraient enfuis, mais Cartier, lui, a toujours aimé les missions impossibles.

Caractère bien trempé

 » Il fallait remonter, c’était une obligation pour un club pro. Et en même temps, on avait une équipe de gamins, ils étaient tous blottis les uns contre les autres dans un coin du vestiaire.  » Ce qu’il manque à cette équipe de post-ados, c’est quelques salopards. Albert Cartier en veut au moins deux, Dominique D’Onofrio les lui trouve. Ce seront BrunoCirillo et GregoryProment. Deux vieux briscards pour combler le manque d’expérience de la classe biberon. Cartier est comblé et découvre petit à petit les avantages de travailler avec un D’Onofrio.

 » Dans ma carrière d’entraîneur, je n’ai jamais travaillé avec un homme qui avait autant d’expérience que Dominique dans le football. Aujourd’hui, je bosse vraiment avec quelqu’un de compétent, dans le club de ma ville, de mon coeur, c’est rare.  »

Il suffit de se rendre au Rond-Point, un soir de match, pour se rendre compte que le ressenti est réciproque. Cartier est clairement considéré comme l’enfant de la maison. On y retrouve même des anciens collègues d’auditoire. C’est le cas de Raphaël qui a côtoyé l’étudiant Cartier en Sport-études au milieu des années 1990.

 » Son premier passage à Metz s’était moins bien passé (après 8 ans comme joueur, et 4 ans comme coach de la réserve, Cartier avait entraîné l’équipe première entre décembre 2000 et janvier 2002, ndlr), mais depuis son retour on sent que si l’entraîneur a changé, l’homme, lui, est toujours resté le même.  »

Raphaël résume bien la pensée générale. Tour à tour strict, droit, travailleur pour les uns, mais aussi cool et détendu pour d’autres, l’entraîneur Cartier a, de fait, un brin changé depuis ses débuts en Belgique. Mais pas totalement non plus. Chassez le naturel et il revient au galop. À l’entendre expliquer son dernier stage estival, on comprend mieux pourquoi.

 » Cette année, on est partis en moyenne altitude au Chambon-sur-Lignon, à la limite entre l’Ardèche et l’Auvergne. Il a plu tout le temps, on a eu un stage très humide et on n’a pas beaucoup joué au foot. Les terrains n’étaient pas praticables, du coup on s’est entraînés sur des parkings. On a fait du foot à l’arrache.  »

Nouvelle méthode

Il faudra sans doute un peu plus que cinq mois de coaching en Ligue 1 pour changer complètement l’homme. Néanmoins, quand on creuse un peu, l’ancien souffre-douleur du football wallon reconnaît avoir évolué :  » L’esprit militaire, ça ne fonctionne plus, on le sait. Ce sont les joueurs qui doivent prendre le projet en main. Qu’ils en aient au moins l’impression. Si c’est toi qui le leur imposes, ça ne marchera pas.  » AlanHaydock ou GeoffrayToyes seraient heureux de l’apprendre.

Toujours est-il que la nouvelle méthode Cartier fonctionne. Deuxième derrière Créteil en National à la fin de l’exercice 2012-2013, Metz assure l’essentiel et réintègre la Ligue 2. D’un point de vue financier, la remontée directe était indispensable mais aussi attendue. Côté logistique, par contre, l’ancien Directeur sportif du Standard en serait presque venu à regretter ses déplacements romantiques du côté de Roulers ou Eupen.

 » Il faut bien se rendre compte qu’en National on joue sur des terrains de merde, dans des stades de merde avec des déplacements de merde  » souligne-t-il. La remontée directe assurée, le binôme va pouvoir envisager de voir autre chose. L’idée était de se stabiliser en Ligue 2. De quoi prendre le temps de pérenniser le projet mené par les deux hommes.

Mais tout va, en fait, aller beaucoup plus vite. Metz n’aura jamais le temps de prendre ses repères en Ligue 2 : le club finit déjà champion avec 11 points d’avance sur le RC Lens et doit maintenant se concentrer sur le maintien en Ligue 1. Deux ans plus tôt, Albert Cartier n’aurait sans doute pas imaginé qu’il reprendrait si vite l’avion pour aller jouer aux quatre coins de l’Hexagone.

Oui, parce qu’en Ligue 2 et en National, les déplacements se font en bus ou en train et occupent parfois jusqu’à la moitié de la semaine. Un vécu en forme de fierté à entendre l’ancien pompier du football belge :  » Ce dont on est le plus content, Dominique et moi, c’est d’avoir recréé cette identité et cette philosophie qui avaient disparu. Les résultats, on en est fiers, mais on ne les maîtrise pas toujours. C’est ce qu’il y a autour qui est important.  »

Bras long

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Des résultats sportifs qui dépassent les espérances et un club qui retrouve sa place parmi l’élite comme si elle ne l’avait jamais quittée. Au vrai, les deux hommes donnent parfois l’impression de s’imprégner du club bien au-delà de l’aspect purement sportif. Normal pour Cartier, l’enfant de la maison, plus surprenant pour D’Onofrio, Liégeois d’adoption.

Albert Cartier s’en amuse :  » Aujourd’hui, Dominique parle français, il dit vingt dieux, bordel,… Je ne l’entends plus dire oufti.  » D’Onofrio qui parle français sans accent liégeois, c’est presque ça. Sur les coups de midi, s’entend. Parce que dès que la nuit tombe, le Directeur sportif sérieux redevient un ambianceur à la langue bien pendue et à l’accent prononcé.

HansGaljé est un proche de Dominique D’Onofrio. Entraîneur des gardiens sous DD au Standard, ancien membre du staff de DickAdvocaat avec les Diables, il profite aujourd’hui de plages horaires plus dégagées pour venir rendre visite à son ami messin.  » Avec Dominique on ne s’ennuie jamais, il a toujours une anecdote à vous raconter. Travailler avec lui, c’est un plaisir parce qu’il se passe toujours quelque chose. Déjà au Standard, je vous promets qu’on savait s’amuser.  »

Et manifestement, le temps n’a pas d’emprise sur le caractère festif du personnage. RenéFranceschetti, actionnaire et administrateur du FC Metz ne connaît son Directeur sportif que depuis trois ans, mais le cerne déjà à la perfection :  » Il est venu à mon mariage et je peux vous dire qu’il a mis une ambiance extraordinaire. Il en fait parfois beaucoup, mais c’est un homme formidable. Dans le privé comme dans le sportif, Dominique amène une bonne humeur communicative.  »

Positif à l’extrême pour certains, fin négociateur pour d’autres, Dominique D’Onofrio a en tout cas réussi à faire son trou dans le carré Grenat réservé aux VIP du FC Metz. À l’extérieur du stade, le bulletin de notes n’est pas forcément moins bon, il est surtout moins fourni. Florian a beau avoir son écharpe grenat autour du cou, il ne connaît pas franchement le rôle exact qui lui est dévolu au sein de l’organigramme du club.

 » Pour nous, c’est un homme discret dans les médias, qui agit en interne  » dit-il. Plus loin, Michaël précise :  » D’Onofrio, c’est le réseau, le recrutement. C’est l’homme de l’ombre au bras long qui nous a amené nos meilleurs joueurs.  »

Malouda chahuté

Le seul point noir au tableau pourrait bien être le transfert le plus clinquant de l’ère Cartier-D’Onofrio : FlorentMalouda. Un quadruple champion de France vainqueur de la Ligue des Champions avec Chelsea aujourd’hui chahuté en interne, comme nous le confiait un proche du club :  » Ce n’est pas le joueur qu’il nous fallait. Il a beau être exemplaire à l’entraînement, ce n’est pas le leader technique qu’on espérait. Il n’a plus l’explosivité ni la vista.  »

Le discours officiel est moins rude, mais le malaise reste tout de même présent.  » Je trouve que Florent est un bon choix. On était tous convaincu, et nous le sommes toujours. Il va nous apporter quelque chose « , témoigne Dominique D’Onofrio, en touchant ostensiblement du bois.

 » Ce n’est pas seulement ses performances, c’est l’exemple qu’il apporte « , enchaîne Albert Cartier.  » Sa force, c’est qu’il ne parle jamais de ce qu’il a fait, mais du présent et du futur. C’est une humilité incroyable. Il porte les ballons, il porte les buts.  » Mais pas encore l’équipe. Dernière preuve en date, un penalty raté à la 87e minute contre Bordeaux début décembre (0-0).

Un raté qui privera Metz de deux points précieux dans la course au maintien. Albert Cartier ne s’en fiche certainement pas, mais a toujours préféré les hommes qui assument leurs responsabilités.  » Unjour, quelqu’un m’a dit que la peur de mourir venait de l’angoisse de ne laisser aucune trace dans l’histoire.  »

Les 14 premiers matchs de Florent Malouda n’ont pas encore laissé une trace indélébile dans l’histoire du FC Metz. Par contre, trois ans après l’arrivée de Dominique D’Onofrio à Metz, le binôme qu’il forme avec Albert Cartier a, lui, déjà convaincu pas mal de monde en Moselle. Reste à en faire de même à l’échelle hexagonale. Une autre paire de manches.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS: BELGAIMAGE/ DEHEZ

 » En Belgique, je serai toujours le frère de l’autre.  » Dominique D’Onofrio

 » Aujourd’hui, j’entends Dominique dire vingt dieux au lieu d’oufti.  » Albert Cartier

 » D’Onofrio, c’est l’homme de l’ombre au bras long qui nous a amené nos meilleurs joueurs.  » Michaël, supporter

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